Algérie

«Permettre aux citoyens de se porter partie civile» Mustapha Atoui. Président de l'association nationale de lutte contre la corruption (AnlcC)



-Quelle lecture faites-vous de l'étalage public du scandale Sonatrach '
Personnellement, ce scandale ne m'étonne pas du tout. Mais il ne faudrait pas qu'il soit l'arbre qui cache la forêt. Il ne faut pas qu'il nous fasse oublier les autres affaires. Aujourd'hui, l'absence de toute volonté politique réelle de lutter contre la corruption, l'absence de sanctions et les poursuites judiciaires contre les personnes convaincues de corruption encourage les gens à dilapider nos richesses. Il faut ajouter à cela la limitation des prérogatives des instances de contrôle. Je salue, à ce titre, le courage des magistrats de la Cour des comptes qui viennent de dénoncer les pressions auxquelles ils font face.
-Mais ne pensez-vous pas que leur réaction soit un peu tardive '
Mieux vaut tard jamais. Nous ne devrions pas rentrer dans ces considérations sinon on n'avancera pas. Vous savez que les enjeux de l'élection présidentielle et la lutte des clans poussent les uns et les autres à se manifester. Mais, je pense néanmoins que le geste de ces magistrats sera un signal fort, espérons-le, pour les autres secteurs pour qu'ils leur emboitent le pas.
-Mais si une institution comme la Cour des comptes chargée justement du contrôle ne peut pas mener cette mission, que reste-t-il comme moyen de lutte contre la corruption '
Tout est lié à la nature du système. Tant qu'il n'y a pas de volonté politique et de changement de régime, tous les organes de contrôle n'auront pas les prérogatives nécessaires pour faire aboutir les actions de lutte contre la corruption. La Cour des comptes ou l'Inspection générale des finances peuvent faire des contrôles, mais leurs rapports resteront au fond des tiroirs, ou alors ils seront utilisés par l'un des clans au pouvoir comme moyen de chantage ou de pression contre d'autres clans. Le problème qui se pose est donc d'abord lié à l'absence d'une volonté politique, en raison d'un régime illégitime. Ensuite, l'impossibilité des organes de contrôle de faire bouger l'appareil judicaire.
Enfin, l'absence d'une indépendance de la justice. Un juge ne peut pas par exemple activer les poursuites judiciaires et l'exemple frappant est l'affaire Khalifa. Lorsque le secrétaire général de l'UGTA a reconnu en pleine audience avoir falsifié un document, la juge lui a signifié qu'il était entré au tribunal en tant que témoin et qu'il en sortirait en tant que tel. Elle n'avait pas les prérogatives pour le poursuivre, mais le procureur général le pouvait. Toutefois, il n'a rien fait parce qu'il dépend du ministère de la justice, qui lui dépend du président de la République. Tant que le régime restera en place, la lutte contre la corruption sera un leurre et même le dossier de Sonatrach n'aboutira à rien.
-Pour que la justice se fasse, sommes-nous condamnés à attendre que des actions soient menées par des gouvernements étrangers '
En tant que citoyens, nous devons faire quelque chose parce que l'argent qui est détourné est le notre. Si aujourd'hui il y a un problème de logement ou d'emploi, cela est aussi dû à cet argent détourné au lieu d'être utilisé pour régler ces problèmes. Tout le monde, associations, partis politiques, intellectuels, journalistes, etc. doit s'engager dans cette lutte contre la corruption, car nous savons que le système en place ne fera jamais rien dans ce sens. Mais l'objectif final doit être un changement de système car en l'état actuel des choses, on ne peut pas éliminer la corruption avec un système corrompu. Mais on peut au moins essayer d'en réduire l'ampleur.
-Pensez-vous qu'il faille revoir les textes de loi existants en matière de lutte contre la corruption '
Oui, je le pense. Même si le citoyen a la volonté de déposer plainte, la loi ne l'autorise pas à se porter comme partie civile. J'ai personnellement essayé de le faire, mais je n'ai pas pu. Le juge n'a pas également le droit de s'autosaisir. Il n'y a que le procureur qui a cette prérogative, or ce dernier dépend du pouvoir politique. Au niveau de notre association, on est en train de penser à une solution. Mais il faudrait une réforme des lois pour permettre à un groupe de citoyens de se porter partie civile et de déposer plainte parce qu'au final, l'argent qui est dilapidé c'est l'argent public. Il est censé appartenir à tout le peuple. Cela a été possible en Tunisie et au Maroc. Il n'y a qu'en Algérie où ce n'est pas possible parce qu'il n'y a aucune volonté politique.
-Pensez-vous qu'il y a une quelconque possibilité pour que les personnes impliquées dans des affaires de corruption mais non inquiétées soient un jour rattrapées par ces affaires '
Il faut être optimiste. Notre objectif est d'arriver à faire bouger les choses, même d'ici 10 ans, 20 ans. Nous lançons un appel au président de la République afin qu'il agisse parce qu'il a toutes les prérogatives en tant que premier magistrat du pays de le faire. Il faut qu'il donne instruction au ministère de la Justice pour agir, car il n'y a pas que l'affaire Khalifa. Tous ceux qui sont impliqués dans des affaires de corruption doivent répondre de leurs actes tôt ou tard. Le président peut faire quelque chose. Le fait que la justice ne soit pas saisie correspond à une protection d'une manière indirecte de ces gens. La presse doit également être impliquée dans la lutte contre la corruption à travers des investigations, mais cela suppose un droit d'accès à l'information. Nous voudrions que ce droit soit institutionnel.


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