Algérie

Performance loghorréique



Quand un chef du gouvernement, pardon un Premier ministre (la nuance est désormais fondamentale dans notre pays), monopolise la télévision nationale ' et pas seulement une chaîne ' pendant plus de quatre heures, c'est qu'il a, au-delà d'un certain habillage démagogique indispensable à tout propos venant d'un officiel, quelque chose de super important à nous dire. Vous vous rendez compte, plus de quatre heures à discourir superbement sur un ton monocorde, sans la moindre altération du rythme du débit oratoire, avec ce souci du petit détail nécessaire à l'argumentation générale, de la recherche du mot qu'il faut à la place qu'il faut pour essayer de lever les équivoques assassines, de l'exaltation des chiffres et des statistiques comparatives, des clins d''il aux formules de dérision pour contrer tous ceux qui ont l'art, selon lui, de ne voir que du noir dans un tableau presque idyllique... Pour convaincre surtout et montrer que lui, l'homme qui a la réputation de maîtriser les dossiers, tous les dossiers, est incontestablement dans le vrai, contrairement à ce que prétendent ses détracteurs. L'épreuve, assurément, aura été aussi physique que cérébrale. On appelle sûrement cela une performance loghorréique qui n'est pas à la portée de n'importe quel quidam. Seul Fidel Castro, qui s'est d'ailleurs retiré de la scène politique, aurait pu, s'il était toujours en possession de ses moyens, relever un tel challenge et faire même plus puisqu'il était arrivé à tenir très aisément le crachoir pendant plus de six heures d'affilée. De quoi assommer les plus endurants, sauf les Cubains qui ont l'habitude. Notre Ouyahia, dont on savait qu'il avait du souffle dans ce genre de confrontation publique, a donc cette fois crevé l'écran (mais pas dans le sens où on l'imagine) en se laissant aller devant les députés dans une intervention traînant pitoyablement en longueur, qui s'avéra fort ennuyeuse et, par conséquent, sans grand effet sur l'auditoire puisque, d'une part, les trois quarts de la salle, surpris par la caméra, avaient du mal à dissimuler leur envie de somnoler et, d'autre part, les téléspectateurs qui prêtaient au départ une oreille attentive au discours du Premier ministre ont vite fait d'abdiquer en changeant de chaîne. A quoi bon les grandes envolées lyriques si elles sont de portée restreinte. On comprend que les parlementaires auxquels le Premier ministre a fait subir cette corvée protocolaire n'avaient pas d'autre choix que d'applaudir, mais le téléspectateur en ce qui le concerne n'était pas obligé de se farcir ' quand bien même le voulait-il ' une prestation télévisée qui lui semblait trop surréaliste par rapport aux problèmes qui rythment le quotidien des citoyens, d'autant que le fait de monopoliser de manière aussi flagrante l'écran est toujours ressenti comme une marque de mépris envers les consommateurs potentiels de l'image, lesquels ont heureusement aujourd'hui la possibilité de s'évader ailleurs.Ces téléspectateurs ont envie de dire : « Rendez-nous notre télé », à chaque fois que celle-ci est réquisitionnée par les hommes politiques pour satisfaire en priorité leurs ambitions. Dans le cas de la sortie parlementaire de Ouyahia, qui devait présenter son bilan, le trop long accaparement du petit écran national a été perçu avec un sentiment réel de frustration qui confirme la mainmise du pouvoir sur ce média. Au demeurant, si dans les pays développés les télévisions, qu'elles soient publiques ou privées, n'accordent que le temps d'une synthèse aux discours officiels, et encore faut-il que celle-ci présente un intérêt aux yeux du public, chez nous, et bien sûr dans le monde arabe, on continue de privilégier les vieilles méthodes de communication qui n'ont plus aucune prise sur l'opinion ou qui, fait plus grave, obtiennent l'effet contraire. Dans l'intervention du Premier ministre, l'acharnement dont il a fait preuve pour démontrer que l'économie du pays se porte bien, que le programme du Président est la panacée à tous nos maux et qu'un troisième mandat de ce dernier, qui ne fait aucun doute, reste encore le meilleur des choix politiques des Algériens, est vraiment impressionnant. En bref, côté gouvernement, les défis sont relevés avec panache et méritent toute la confiance du peuple. S'il y a des ratés, il faut les attribuer aux autres... Conclusion, quand on est dans la sphère du pouvoir, on n'est responsable de rien. Ouyahia a mis plus de quatre heures pour nous le rappeler. Et il avait de la suite dans les idées. Sauf que si vous vous amusez à demander autour de vous s'il y a quelqu'un qui a retenu quelque chose de spécial du discours fleuve du Premier ministre, vous risquez d'être drôlement déçu. C'est finalement ça l'art de la politique. Parler, parler, parler...


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