Algérie

Perdre gagnant



On avait l'habitude des annonces en grande pompe des résultats des examens scolaires de fin de cycles. Normal. Les bilans de manière générale ont rarement été reluisants en terme de qualité et donc de perspectives professionnelles et scientifiques, mais on ne peut pas empêcher un ministère de faire valoir l'unique chose à' faire valoir !
Les résultats des examens de sixième, du brevet et du bac font tellement d'heureux qu'il ne vient à personne l'idée d'aller jouer au rabat-joie en la circonstance. De toute façon, c'est peine perdue. D'abord parce que les motifs de satisfaction et les prétextes à la joie sont tellement rares qu'on jubile pour beaucoup moins que ça.
Ensuite, les élèves, comme leurs parents savent que l'avenir ne s'annonce déjà pas rose pour ceux qui réussissent leurs examens et gravissent tous les paliers. Alors ils imaginent le sort des recalés tout en savourant un bonheur au rabais. Ils en arrivent même à se dire à chaque passage de classe ou de cycle scolaire que «c'est toujours ça de pris», convaincus que «la rue» étant une fatalité pour les enfants, chaque année de «gagnée» est une victoire en soi. Cette année, comme par le passé, ministère, parents et bambins vont jubiler encore d'avoir arraché une autre saison à l'échec programmé.
Il reste encore les résultats du brevet et du bac, mais on a déjà ceux de la sixième. Comme par prémonition, on fait dans l'inédit, en annonçant, presque naturellement le nombre de recalés. Avec une rare précision, en plus. Il y aurait donc 142 893 recalés à l'examen de sixième.
Bien sûr que si le ministère de l'Education a cru bon de faire dans le chiffre exact, c'est pour donner à tout le monde la latitude de «comparer» et de calculer la proportion de réussite.
Il n'y a pas mieux que les chiffres précis pour apprécier une performance qu'on est tout fier d'afficher. Et on n'est pas au bout du bonheur, puisqu'il est prévu une session de rattrapage à la fin de ce mois, qui va naturellement étendre la liesse.
Un bonheur n'arrivant jamais seul, le directeur central de l'enseignement primaire et moyen au ministère de l'Education annoncera, dans la foulée, qu'il ne sera pas tenu compte de la question d'éducation religieuse qui a fait «polémique». Il a «expliqué», avec un rare détachement ,que le sujet de la question en' question a été enseigné «différemment», selon les établissements.
Alors que certains enseignants ont tenu à ce que leurs élèves apprennent une certaine sourate du Coran, d'autres se sont contentés d'en expliquer le sens.
Tout le monde l'aura compris, il s'agirait donc d'un «malheureux malentendu» qui n'engage en rien la responsabilité du ministère, et partant, personne n'aura à rendre de comptes.
On ne va pas gâcher un si grand bonheur pour si peu. De toutes façons, la question ne comptera que pour les élèves qui l'auraient bien traitée. Un peu à la manière de la réplique du ministre de l'Intérieur de l'époque, quand des parents évacués manu militari d'un bidonville de la banlieue d'Alger, s'inquiétaient pour la scolarité de leurs enfants arrachés à leurs classes au milieu de l'année scolaire : «Ne vous inquiétez pas pour ça, de toutes façons, j'ai saisi mon collègue de l'éducation pour que tous les élèves passent en classe supérieure !»
Au fait, dans la foulée de l'annonce des résultats de l'examen de sixième, le directeur de l'enseignement primaire et moyen du ministère de l'Education devait être très heureux quand il a tenu à «démentir les rumeurs» qui circulaient, ces derniers temps, sur un éventuel retour à un cycle primaire de six ans. «Il n'y a pas de projet de restructuration du cycle d'enseignement primaire», a-t-il «rassuré», histoire d'insinuer que c'est encore une année de gagnée, automatiquement, pour tout le monde et sans effort d'imagination particulier. Perdre pour perdre, il vaut mieux un maximum de réussites' avant l'échec. Sans jouer aux rabat-joie, de préférence.




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