La raison ou l?Etat
Tous les intellectuels français, furent-ils rongés par ce syndrome des échecs des guerres coloniales qui provoquait en eux un sourd ressentiment de revanche ? Mostefa Lacheraf tentera d?expliquer ainsi leur hostilité à s?engager contre la politique coloniale de leur Etat. C?est à la suite de la réunion de Rambouillet du 31 octobre 1954 que Lacheraf porte ce jugement incisif contre les intellectuels français, jugement un peu hâtif au regard de l?engagement anticolonial courageux de bon nombre d?entre eux qui alla croissant. Dans un récent ouvrage publié sous le titre L?Algérie coloniale, la raison ou l?Etat en 2001, l?historien Paul Marcus aborde ce problème et l?expose sans concession. Avec ses douze chapitres, son avant-propos et son épilogue documenté d?extraits de discours et de photographies à l?appui, ce livre expose entre autres questions celle cardinale des mouvements d?opinions chez les intellectuels français de renom sur le problème algérien à l?instar de A. Camus, J.-P. Sartre, F. Mauriac, R. Aron, M. Merleau-Ponty, A. Malraux, C. Levi-Strauss, Marrou ... « dont la densité des événements nourrissaient leur pensée ». Rappelant la tradition anticoloniale du Siècle des lumières, il souligne que les hommes politiques de la IVe République « étaient donc les derniers remparts de L?Empire français ». Et l?auteur d?évoquer les engagements constitutionnels de la IVe République reconnaissant des droits civils aux citoyens et des droits politiques aux peuples encore assujettis. Paul Marcus rappellera ensuite les contradictions de la France coloniale qui vota, le 25 avril 1946, un texte conférant la qualité de citoyen à tout ressortissant des territoires d?outre-mer, établissant ainsi un principe d?égalité et de fraternité, mais sans liberté ni indépendance. Ainsi aller se retrouver face à face des hommes politiques de renom et des intellectuels engagés de renommée. « La brillante génération intellectuelle (...) s?échelonne entre 1885 avec la naissance de Mauriac et 1913 celle de Camus... L?affrontement entre politiques et intellectuels sur le problème de l?Algérie mérite d?être d?abord cadré, brièvement, sur les plans historiques, institutionnels et géographiques. » Plus concrètement, il rappelle que Ferhat Abbas et Albert Camus travaillaient séparément mais dans le même sens à une espèce de fraternité et de cohabitation. A. Camus et F. Abbas, nous dit l?auteur, ont tous deux pratiqué le journalisme et donc partagé des idéaux communs. Le cas de F. Abbas illustrait parfaitement ces revendications d?émancipation que Camus affichait dans sa fameuse enquête sur la Misère de la Kabylie (1939). Après la guerre, F. Abbas reçu par le président V. Auriol demande des réformes rejetées et commence à parler d?une République algérienne associée à la France. Il finira par rejoindre le FLN en 1956 et devient le premier président du GPRA en 1958. Quant à Camus, la lutte politique allait le séparer de ses frères intellectuels préoccupés par la guerre froide. Puis, ce fut novembre 1954. Adieu fraternité, adieu égalité, adieu cohabitation. Un passage de génération reléguera Abbas et Messali au musée de l?histoire. Une nouvelle génération est présentée à travers les exemples des cinq victimes du détournement de l?avion marocain un jour d?octobre 1956. Avec l?arrivée de R. Lacoste en Algérie, l?option répressive prend le dessus sur l?option des réformes et de l?entente : « La raison d?Etat se vidait de son sens. » C?est alors que l?intelligence entre en lice. La classe des intellectuels se divise sur le problème algérien avec deux philippiques de moments éditoriaux forts : avec La tragédie algérienne après L?opium des intellectuels, Raymond Aron, célèbre sociologue, ouvre la voie à l?élite française en faveur de l?Algérie indépendante ne laissant aucun autre choix aux intellectuels de gauche qui ne pouvaient être en marge à l?exception de Camus, toujours viscéralement attaché à ses mythes et à ses racines algériennes parce que nourri d?un rêve jusqu?alors irréalisable. Pour l?Algérie, l?histoire allait donner raison au sociologue qui, même de loin, avait vu juste de manière quasi prophétique. De la décolonisation, la France s?était ressaisie, débarrassée d?une Algérie qui n?allait pas tarder à sombrer dans le chaos que nous avons vécu et que nous subissons encore. Paul Marcus, L?Algérie coloniale, édition Atlantica-poche, 2001, 145 pages.
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Posté Le : 13/01/2005
Posté par : sofiane
Ecrit par : M. Lakhdar Maougal
Source : www.elwatan.com