Algérie

PATRIOTES 90


Par Mohamed Safar-Zitouni
Je décide de marcher, toujours en plein milieu de la route, et essaye de retrouver, peu à peu, ma respiration. La route est droite et large en cet endroit. Au bout de celle-ci, j'aperçois une berline blanche qui aborde la descente.
Je lève mes mains et commence à crier : «Sauvez-moi, sauvez-moi, prenez-moi avec vous». Le véhicule fait demi-tour et disparaît, puis un autre, puis un troisième. Je ne comprends pas pourquoi les véhicules ne s'arrêtent pas ' Je continue ma marche. Arrivé au groupement, j'entends crier de l'intérieur de la guérite de l'entrée : «Baisse ta tête». Je continue ma marche. Un cri plus fort et plus insistant fuse : «Baisse ta tête, Bon Dieu !» Je comprends que c'est à moi que l'on s'adresse. Je me jette, à ma gauche, dans le fossé qui longe le campement et là, en rampant, j'essaie de me rapprocher de la guérite d'où partait la Voix. A plat ventre, je contrôle tant bien que mal ma respiration tout en faisant gaffe de ne pas avaler la poussière et les saletés qui tapissaient le fossé. Une fois ou deux je ne sais plus je me suis adressé à la Voix «Pourquoi ces insultes, pourquoi '». Une, deux, peut-être trois, minutes passent. Sur ma gauche, un capitaine et cinq soldats se dirigent vers moi. «Que se passe-t-il '» me dit le capitaine. J'explique d'une seule traite, que j'étais tombé dans un faux-barrage, que j'ai pu sauver ma peau mais pas mon véhicule, qu'un car de voyageurs était en train d'être mitraillé, que s'ils ne faisaient pas vite, c'était foutu. Le capitaine fait un signe aux soldats et s'escorte vers le lieu du drame, à pied, empruntant le chemin inverse de celui que je venais de faire il y a à peine quelques minutes. Après le départ des soldats, une Patrol blanche avec des «civils» à l'intérieur freine à mon niveau. L'occupant de droite demande quelque chose à la Voix puis la Patrol démarre en trombe. Quelques secondes après, c'est un 4x4 de la gendarmerie qui passe à toute vitesse. Puis une ambulance. Puis une autre. Puis un camion de pompiers. Personne ne me voit dans mon fossé. Une voiture blanche s'engouffre dans le casernement. En sort «un civil». Il pénètre dans une tente et ressort quelques minutes après en «parachutiste», une impressionnante arme de guerre sur les épaules. Rambo remonte dans son véhicule et fonce vers le lieu du drame. Je me lève et me dirige vers la guérite. Je repère en bas de celle-ci, en plein soleil, une bouteille de plastique remplie à moitié d'eau. Je la mets à ma bouche et avale en une seule gorgée le liquide brûlant. Un élixir, une eau de jouvence, un plaisir des sens, une âme qui revient après avoir quitté le corps. Tout cela à la fois. Dans la guérite, je découvre la Voix. C'est un adjudant de carrière, grand, la quarantaine, complètement paniqué. Me voyant apparaître à l'entrée, il m'ordonne de m'écraser dans un des coins du minuscule espace et me lance : «On nous tire dessus, mais je ne sais pas d'où '» A ses côtés, un jeune du service national, plutôt calme, suit à la lettre ses instructions. Au risque de récolter une balle, il ajoute un sac de sable par-ci, un sac de sable par-là ou tente un regard à l'extérieur pour savoir d'où venaient les tirs adverses. De lui-même, l'adjudant me demande des excuses pour ce qu'il avait dit tout à l'heure. Je fais semblant de comprendre. Dehors, les véhicules recommencent à circuler. Je décide de sortir de mon cagibi. Sur le bord de la route, j'arrête une Mazda bâchée chargée d'oignons verts. Je grimpe à côté du chauffeur. Ça pue l'oignon. Quelques dizaines de mètres plus loin, le chauffeur s'inquiète du peu de fluidité de la circulation. Je lui explique la situation. Quelques minutes plus loin, la Mazda n'avance plus. Plusieurs véhicules sont arrêtés devant. Leurs occupants, dehors, en petites grappes, discutent. Je descends, claque la portière et me dirige vers l'endroit d'où j'ai pris la fuite. La Golf n'est plus là où je l'ai laissée. Elle a été déplacée. Je la vois, un peu plus loin, en proie à des flammes dont certaines langues dépassaient la toiture. Quelques mètres au-delà, il ne reste du car qu'une carcasse de cendres encore fumantes. Un camion des pompiers est à côté. Autour des deux véhicules en combustion, des gendarmes ont dressé un cercle de sécurité qu'ils interdisent à toute personne non autorisée. Je m'y risque. Un gendarme m'en éloigne fermement. Dans le cercle interdit, je ne vois aucun corps de victimes. Je n'en vois pas non plus en dehors. Quant aux assassins pyromanes, «ils» ne sont plus là depuis longtemps. C'est comme si la terre, d'un seul tenant, avait avalé tous les acteurs du drame ne laissant que le car cramoisi, la Golf en feu et Moi. Quelqu'un m'appelle par mon nom. Il reconnaît la Golf et me demande ce qui se passe. Je l'aborde, j'explique encore une fois que j'y étais, lui demande de l'eau, verse le contenu d'une bouteille sur ma tête, le prie de me monter à Médéa, évite une grappe de curieux, occupe la place du mort et demande instamment au chauffeur de démarrer.


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