Parution d'un opus co-signé par Somia et Djamel Oulmane

Longtemps occulté par l'Histoire, Cheikh Abdelkader El-Medjaoui a vu sa mémoire réhabilitée grâce au travail de longue haleine effectué par l'une de ses arrières-petites-filles, le Dr Somia Oulmane qui, après plusieurs années de recherches dans les archives familiales et nationales, a pu faire revivre l'engagement de ce personnage illustre dont l'oeuvre intellectuelle était et reste entièrement vouée à l'Algérie.Après un premier ouvrage biographique, paru en 2013 chez l'ONDA et intitulé Le rôle de cheikh El Medjaoui et son livre Irchad al moutaâlimin dans la résistance intellectuelle en Algérie, l'auteur revient dans ce second opus sur la carrière journalistique de Cheikh El-Medjaoui.Paru aux éditions Thala, avec le soutien du Musée national des Beaux-Arts, cette publication intitulée Cheikh Abdelkader El Medjaoui, fi fadjr essahafa fi El Djazaïr-Maqalat li irchad al moudjtamaâ (1903-1910) est le fruit d'un important travail de recherche et de défrichage effectué par le Dr Somia Oulmane et son époux, le Professeur Djamel Oulmane.Des articles, un contextePour comprendre la portée du message délivré par Cheikh El-Medjaoui à ses compatriotes à travers ses écrits journalistiques, il faut en situer le contexte de parution. C'est, en effet, dans un pays colonisé, maintenu dans la misère, l'indigénat et l'analphabétisme qu'El-Medjaoui naquît et grandit. Les Français qui veulent imposer leur hégémonie à tout un peuple ne se contentent pas de le spolier de ses biens, ils parviennent au fil des décennies à faire de l'Algérien un paria, un gueux, un miséreux.Face à l'ordre colonial établi, Cheikh El-Mokrani, Cheikh Ahaddad, Lalla Fadhma N'Soumeur, Cheïkh Bouamama et d'autres encore se révoltent et mènent des batailles farouches contre l'occupant français. Mais lorsque la lutte armée s'est avérée insuffisante, il fallait recourir à l'autre forme de lutte : le combat intellectuel et politique. Les intellectuels se joignent, dès le début du XXe siècle, au combat de leurs aînés par la plume, conscients du rôle qu'ils ont à jouer dans l'éveil des consciences populaires.C'est dans ce contexte socio-politique que paraît l'oeuvre engagée de Cheikh Abdelkader El-Medjaoui, l'une des figures de proue de l'islahisme algérien. Né à Tlemcen en 1848, Abdelkader Ben Abdallah El-Medjaoui el Idrissi el-Hassani étudie à El-Qaraouiyiine avant d'enseigner la langue et l'exégèse coranique dans les médersas de Constantine puis d'Alger. Selon l'auteur, Somia Oulmane «l'action pédagogique mais aussi politique de Cheikh El-Medjaoui s'est déroulée pendant une période particulière de l'histoire de l'Algérie, entre 1870 et 1914, c'est-à-dire entre la fin de la révolte d'El-Mokrani et la Première Guerre mondiale.Avec une présence coloniale de plus de quarante ans, toute une génération d'autochtones ne connaissait alors que l'Algérie colonisée ; la «pacification» de l'Algérie était largement amorcée (... ). Pour cela, il s'agissait pour El-Medjaoui, de sauvegarder les principaux éléments identitaires et idéologiques qui caractérisent le peuple algérien et de transmettre un ensemble de valeurs que l'occupation voulait ef facer car constituant les principaux leviers de la volonté d'un peuple de se libérer de son colonisateur et les principaux remparts contre l'hégémonie colonialiste christianiste.»Lui-même le dira dans Irchaâd El-Moutaâllimin (Directives aux instruits), paru en 1877 : «Ce que je vois en ces temps m'en tourmente : l'exode des intellectuels et des enseignants de ce pays, au point que s'est accumulé sur nos frères constantinois, algérois et oranais, l'ignorance. S'ils se dispersent, ils hurlent tels des chacals, s'ils se rassemblent, ils se comportent tels des hérissons recroquevillés.»Porteur d'un projet de sociétéAprès s'être adressé à l'élite, à travers différentes publications notamment sur al-aâquida, l'économie politique, les dangers du nouveau système économique..., Cheikh Abdelkader El-Medjaoui qui était porteur d'un projet de société, voulait avoir un impact sur la population pour la sortir de son marasme. Dès 1877, il publie dans la presse de l'époque, notamment dans Kawkab Ifriquia ou Al Maghrib dont il fut l'un des membres fondateurs, des articles autour de thématiques diversifiées, au travers desquels, il s'adressait à la population en distillant en filigrane des messages moralisateurs, éducatifs et nationalistes.Face à la prégnance du discours d'El-Medjaoui, le Dr Somia Oulmane a décidé de réunir les articles d'El-Medjaoui publiés entre 1903 et 1910, répartis en trois chapitres (Islamiyate, Akhlakiyate et Idjtimaîyate) afin de permettre au lecteur d'aujourd'hui d'appréhender une autre facette de ce grand personnage de l'Histoire de l'Algérie, un intellectuel dont les publications peuvent être lues avec un ?il nouveau, tant il était porteur d'idées révolutionnaires et novatrices qui peuvent être transposées à notre époque.-Le Dr Somia Oulmane et le Pr Djamel Oulmane, Cheikh Abdelkader El Medjaoui, fi fadjr essahafa fi El Djazaïr-Maqalat li irchad al moudjtamaâ (1903-1910), éd. Thala, avec le soutien du Musée national des Beaux-Arts, Alger 2016, 264 pages.Erratum-Une malencontreuse erreur s'est glissée dans l'article sur Cheikh El-Medjaoui, paru dans la page culturelle d'hier. Il fallait lire «...figure de proue de l'islahisme algérien» et non «...de l'islamisme algérien». Nous nous excusons auprès de l'auteur du livre ainsi que des lecteurs et nous republions l'article corrigé.