La recrudescence, ces derniers temps, d’ouvrages sur Kateb Yacine, montre qu’il continue à susciter une formidable fascination, autant pour sa plume que pour son personnage.
C’est le cas de Ismaïl Abdoun qui l’a connu de près, comme en témoignent les photos présentes dans son ouvrage Lecture(s) de Kateb Yacine publié récemment*. Abdoun a réuni les éléments du travail qu’il a mené durant des dizaines d’années pour faire connaître ce pilier de la littérature algérienne : cours prodigués à l’université, travaux de recherche, réflexions diverses, lectures, interprétations de certains textes fondateurs… En parcourant ce travail académique, on est saisi par le souffle de passion qui le traverse. Ceux qui connaissent l’auteur ne peuvent être étonnés outre mesure. Abdoun, en effet, nous donne à comprendre la richesse de Kateb Yacine qui, homme d’un seul roman, fut aussi poète, journaliste, dramaturge, commentateur, conférencier et conscience de la société algérienne dont il avait une certaine idée et qu’il désirait libre et belle. Les différents articles et cours rassemblés dans la première partie sensibilisent le lecteur et tentent de montrer la continuité et l’unité de l’œuvre katébienne. Trois axes de l’œuvre sont abordés. D’abord l’énoncé lyrique qui est en quelque sorte la genèse du personnage de Nedjma. Qui est-elle ? Quelle est l’origine de cette femme inspiratrice ? Quelles sont les premières ébauches d’écritures qui parlent de cette femme sublime et sublimée ? La rêverie, le corps de la femme désirable, désirée mais inaccessible. Ce personnage de Nedjma construit l’œuvre littéraire de Kateb Yacine. Elle est la mère, la cousine, l’institutrice et tant d’autres. Cette Nedjma, femme sauvage, issue d’une union adultérine entre une Française juive et un membre de la tribu des Keblout, représente toutes les femmes rêvées. Figure récurrente et fascinante, Nedjma symbolise finalement cette Algérie multiple. Vient ensuite l’énoncé historique qui convoque l’histoire de l’Algérie avec pour fondement la dénonciation de l’univers colonial. Enfin, l’énoncé mythique rappelle les ancêtres, le clan, la tribu qui peut se transformer en énoncé idéologique. Il y a aussi l’appartenance de l’Algérie à l’Afrique en tant que réalité bien présente (qui rejoint ma communication sur « L’Afrique dans l’œuvre de Kateb Yacine » au Colloque international d’Alger sur l’écrivain en 1990). Kateb Yacine a puisé, nous dit Abdoun, dans le patrimoine algérien en utilisant le personnage mythique de J’ha, porte-parole de la verve satirique du peuple. La seconde partie de l’ouvrage consiste en un choix d’extraits choisis par l’auteur selon ses coups de cœur et, lorsqu’on sait la cherté ou la rareté des livres, l’initiative est louable. Ce choix judicieux apporte une vision globale de l’œuvre katébienne : Soliloques, Nedjma ou le poème ou le couteau, La première apparition, Nedjma dans ses appartements, Nedjma enfant précoce. Abdoun a retenu aussi la fameuse scène où Nedjma sort du bain, sublime morceau d’anthologie, des extraits du Polygone étoilé, du Cadavre encerclé, rappelant le massacre du 8 mai 1945, ainsi que des morceaux de Les ancêtres redoublent de férocité, de L’homme aux sandales de caoutchouc, qui n’est autre que Ho Chi Minh, et de La poudre d’intelligence. Sont inclus aussi des extraits de la revue Dialogues et des entretiens où Kateb exprime notamment son point de vue, en 1963, sur la langue française et sur l’opportunité et la chance du multilinguisme en Algérie, passages qui devraient être lus ou relus par les concepteurs des programmes linguistiques scolaires. L’écrivain et le pouvoir est une réflexion de Kateb Yacine qui clôt ce choix de textes et où il affirme avec pertinence trois principes : l’écrivain doit se méfier de n’importe quel pouvoir, il ne doit jamais perdre son esprit critique et, enfin, il ne doit surtout pas se prendre pour un homme politique. Cet ouvrage incite donc à lire ou à relire les écrits de Kateb Yacine, à donner envie d’aller au-delà de la première lecture, ou de la simple prise de contact, avec le texte katébien car, comme nous le dit Abdoun, « la littérature a quelque vertu, entre autres, d’exhausser notre imaginaire au-delà des platitudes du quotidien pour nous faire imaginer l’inimaginable ». Cet ouvrage illustré en couverture par une œuvre du peintre Mohamed Khadda est un véritable outil didactique pour des lecteurs intéressés par une littérature qui allie beauté et message, pour des étudiants et des lycéens qui prendraient, il faut l’espérer, la relève d’une écriture belle et rebelle, pour la construction de cette Algérie plurielle que certains veulent étouffer.
* Ismaïl Abdoun, Lecture(s) de Kateb Yacine. Casbah Editions, Alger, 2006.
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Posté Le : 15/02/2007
Posté par : hichem
Ecrit par : Benaouda Lebdaï
Source : www.elwatan.com