Depuis les années de plomb de Boumediène, les années noires de Chadli, les années noires et rouges des janvieristes, les années de perversion et de rapacité du baril à 120 dollars, l’Algérie a tout enfanté : la famille révolutionnaire, des gardiens du temple vide des thawabites, des islamistes «modérés», des syndicalistes maison et une coalition de militants rentiers, qui se partagent la rente pétrolière pendant que les Algériens dans leur majorité naissent endettés, gênants à leur adolescence, dérangeants à leur jeunesse et enfin indésirables à l’âge adulte, quand ils ont eu la chance d’avoir échappé au sabre, au fusil, à la matraque, à la harga ou à l’immolation.
Vous qui avez instauré cette génétique maléfique, source de toutes les violences pour «sauver la République d’un imminent califat» et faire «échec à une régression programmée», êtes-vous prêts à recommencer, cette fois-ci, pour éviter toute contagion du syndrome démocratique du bon voisinage et le chemin de la Constituante '
Bien sûr, vous tablerez sur une radicalisation du mouvement pour mieux le réprimer. Vous pousserez l’adversaire à la violence et à la faute pour installer un climat de terreur. Tout cela pour nous replonger furieusement dans une des pages les plus sombres et les plus refoulées de notre histoire immédiate : «La sale guerre» des années 1990.
Par la voix de vos médias lourds, vous diffuserez un discours fascisant, opérant des retournements habiles. Vous n’avez pas qu’un discours, vous avez aussi sa pratique. Au plus fort des émeutes, vous instaurerez le couvre- feu, ferez témoigner des citoyens sur mesure en faveur de l’intervention policière, montrerez que vous êtes prêts à en découdre si tout ne rentre pas dans l’ordre. Outre votre efficacité pratique, vous avez disséminé tous les outils démocratiques de lutte pacifique. Les urnes, source de légitimité populaire et d’alternance au pouvoir, sentent Naegelen. Les marches pacifiques et encadrées sont interdites. Les grands projets structurants piétinent, gangrénés par la corruption.
A quoi vous attendez-vous ' Pourtant, la flambée de révoltes légitimes des jeunes Algériens, devrait vous sortir de votre torpeur et vous permettre de tirer de nombreux enseignements. Déjà, et ce n’est pas un hasard, les émeutes viennent d’une large frange de la société où les contradictions sont les plus flagrantes : mise à l’écart des jeunes, alternance entre violence diffuse et ouverte, précarité généralisée, corruption, chômage et impasse sociale. Malheureusement pour vous, l’impasse sociale a débouché sur une conscience politique : il suffisait de voir comment les jeunes émeutiers ont rejeté les partis politiques et certaines personnalités qui ont osé s’approprier le mouvement !
Les partis dits d’opposition, par manque d’anticipation et de réactivité, démontrent, et au-delà de leur léthargie et décalage chronique des préoccupations citoyennes, que le système a réussi sa division. Certains «militants officiels» se sont déclarés trop conscients pour se révolter et ont même justifié la répression.
Cette révolte, même ghettoïsée autour du bidon d’huile et du kilo de sucre, respirait l’aspiration à la dignité, à la liberté et à la démocratie. Des «mesurettes» circonstancielles ont été concoctées à la va-vite pour calmer le peuple avec à l’arrivée, une cagnotte spéciale pour soutenir les prix des produits de large consommation… jusqu’à la prochaine rentrée sociale.
Ainsi, les Algériens ne seraient plus que des tubes digestifs! Alors, si le Plan de Constantine du général de Gaulle avait été mis en œuvre avant 1954, aurait-il satisfait les indigènes, nos parents, au point d’abandonner l’idée d’indépendance et rester accrochés à «la mère patrie»' Jamais !Cette révolte des jeunes qui ne connaissent ni l’AQMI ni le FMI, pouvait être l’étincelle d’une rupture généralisée. Mais la peur de l’autre, et la peur non consciente produite par un système qui s’attaque progressivement à de plus en plus de monde, ne fait que retarder l’échéance. La pauvreté, la ségrégation sociale, la précarité ne sont plus l’apanage des laissés-pour- compte, elles se démocratisent et touchent désormais d’autres catégories d’Algériens. Vous avez chassé la pauvreté pour mieux installer la misère pendant que les avoirs des milliardaires algériens à l’étranger étaient dès la fin des années 90 estimés à 40 milliards de dollars*.
Ces comptes bancaires bien remplis peuvent aider à méditer et avoir le courage de prendre les décisions qu’il faut tout en laissant la Constitution, votre combustible que sont l’islamisme et l’Occident et Dieu…tranquilles.
La nation comptabilise trop d’échecs, trop de morts contre peu de réussites et peu d’espoirs. Vous qui êtes responsables de cette triste réalité partez ! Allez là où il fait bon vivre, été comme hiver, car cette fois-ci, le cataclysme populaire risque de tout emporter. Partez ! Et n’oubliez pas de prendre avec vous toute la clientèle du système rentier. Ces parasites en ont les moyens.H. S. L.
- Hanafi Si Larbi. Challenges, n°135, avril 1999
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Posté Le : 31/01/2011
Posté par : sofiane
Source : www.elwatan.com