«Toute opération
de commerce extérieur est désormais interdite aux sociétés détenues par un
actionnariat étranger en totalité ou en majorité.»
C'est le premier
constat que se font les banquiers qu'ils soient publics ou privés, nationaux ou
étrangers, après lecture du controversé article 58 de la loi de finances
complémentaire 2009. Après l'adoption de ce texte, ils se retrouvent en effet
interdits d'effectuer toute opération de commerce extérieur pour les besoins de
leur activité qu'il s'agisse de biens ou de services tant qu'ils n'ont pas
ouvert leur capital à hauteur de 30% à un ou à plusieurs nationaux résidents.
Ils sont ainsi unanimes à relever que l'effet rétroactif de cette disposition
n'est pas pour autant supprimé. «Il a été maintenu d'une manière détournée»,
disent-ils. Un patron de banque privée étrangère nous expliquait hier qu'«en
tant qu'entreprise de banque, après la signature de la récente loi de finances
complémentaire, on ne peut plus faire des opérations qui améliorent notre
fonctionnement parce qu'on n'a plus le droit de financer des opérations de
commerce extérieur». L'article 58 stipule en effet que «les activités de
commerce extérieur ne peuvent plus être exercées par des personnes physiques ou
morales étrangères que dans le cadre d'un partenariat dont l'actionnariat
national résident est égal au moins à 30% du capital social». Conséquence,
rappelle-t-il «les personnes physiques étrangères et les entreprises
constituées intégralement de capitaux étrangers ou majoritairement,
c'est-à-dire à plus de 70%, ne peuvent plus procéder à des opérations
d'importation».
Les banquiers précisent à ce sujet que
«toutes les opérations avec les étrangers pour le compte de nos clients, nous
les effectuons par le système Suift, un message entre les banques qui confirme
la réalisation ou l'ordre des opérations engagées. Avant, c'était par un télex
qu'on donnait ces instructions sur la base de notre code de déchiffrage, le
tout pour garantir l'authenticité du message». Aujourd'hui donc, le système
Suift est un code de message par voie électronique auquel adhèrent les banques
et paient des droits. «Si je dois appliquer strictement l'article 58, je ne
peux plus le faire parce que je paie par des transferts à l'étranger», nous dit
notre interlocuteur qui ajoute que les banques financent sur expertise
étrangère des formations continues pour les personnels algériens. «Des
formations que nous ne pouvons plus assurer», dit-il.
«A moins que les partenaires aient été déjà
choisis pour nous»
La manière détournée de l'effet rétroactif de
la disposition ordonnant l'ouverture du capital étranger à un national résident
est aussi signalée quand il s'agit pour les banques de réfléchir comment
financer l'importation des services qui leur permettent de se mettre aux normes
universelles (Bâle 2). «Sauf peut-être sur autorisation de la Banque d'Algérie
mais elle est appelée elle aussi à appliquer l'article 58 dans toute son
ampleur parce qu'il a force de loi», est-il expliqué. Pour l'instant, la loi de
finances n'a pas prévu de textes d'application de l'article en question. Les banquiers
étrangers s'interrogent en outre sur les délais qui leur sont impartis pour
procéder à l'ouverture du capital de leur entreprise. «La loi de finances
complémentaire n'en fixe aucun alors que le décret nous donnait jusqu'à
décembre prochain. Le plus dur aujourd'hui est de trouver un partenaire, on n'a
pas de temps de chercher celui qui nous convient véritablement, celui qui
voudrait placer 3 milliards de dinars dans la mesure où le capital minimum des
banques est de 10 milliards de DA soit 150 millions de dollars. On ne peut donc
prendre n'importe qui et même si la loi de finances nous donne le droit d'en
prendre plusieurs, il faut qu'on s'arrange pour avoir des partenaires qui
peuvent nous apporter quelque chose, pas uniquement de l'argent parce qu'en
règle générale, une fois créée, une société crée à son tour des richesses, une
valeur ajoutée, se fait un réseau de clientèle, alors tout partenaire nouveau
doit non seulement apporter 30% de capital mais doit payer des droits
d'entrée», expliquent nos interlocuteurs qui ajoutent que «ceci nous prendra un
temps fou sans compter celui que prendra la Banque d'Algérie pour accepter ou
refuser notre choix».
Les banquiers estiment que telle qu'elle a
été conçue, «la loi nous oblige à nous mettre en conformité certes, mais nous
empêche de le négocier en position de force, on doit donc tout accepter. A
moins que les partenaires aient été déjà choisis pour nous...» Les banquiers ne
réfutent pas le fait que la Banque d'Algérie doit statuer sur la qualité du partenaire
choisi, «cela, disent-ils, y va de la crédibilité du système financier algérien
et pour éviter les grossières erreurs du passé, mais le temps qu'elle prendra
pour le faire pénalisera lourdement les banques.» Selon eux, ces nouvelles
dispositions ne sont pas vraiment pour alléger la facture des importations
comme le soutiennent les autorités.
«Des dispositions pour alourdir davantage les
procédures»
«La structure des importations montre que les
marchandises importées sont en général des équipements pour la réalisation de
projets inscrits dans le programme quinquennal du président de la République et
d'autres pour le fonctionnement propre des sociétés. Les produits alimentaires
ou autres marchandises pour les besoins des ménages sont de bien moindre
quantité», soutiennent-ils. Nos interlocuteurs pensent plutôt que de telles
dispositions ont été prises pour alourdir davantage les procédures aux
investisseurs étrangers. Elles sont aussi pour pénaliser le consommateur. «Tout
investissement étranger doit être soumis au préalable au Conseil national
d'investissement (alinéa 4 de l'article 58), ceci qu'on demande ou pas
d'avantages dès lors qu'on est des étrangers», souligne un banquier qui note
qu'à ce jour «le Conseil ne s'est réuni que rarement». L'alinéa 5 stipule que
«les investissements étrangers directs ou en partenariat sont tenus de
présenter une balance en devises excédentaires au profit de l'Algérie pendant
toute la durée de vie de projet (...).»
Encore une fois, les banquiers étrangers font
état «d'aberrations». En terme de réalisation d'un projet, «on ne peut,
disent-ils, faire une projection sur 99 ans qui est la durée de vie légale
accordée en général à tout projet d'investissement. Du point de vue économique,
aucun expert au monde ne peut prévoir des résultas que sur une période de 4 ou
5 ans ! Au niveau de la formulation, les rédacteurs du texte ne sont pas
professionnels. Et quand le législateur parle d'investissements étrangers
directs ou en partenariat alors qu'il a ordonné l'ouverture du capital étranger
à des nationaux résidents, c'est une autre aberration ! Mais en entretenant le
flou, peut-être qu'on permet d'interpréter ces lois comme on veut et aussi de
prendre n'importe quelles décisions ou instructions et à n'importe quel moment !
» Pour nos interlocuteurs nationaux et étrangers, «ce sont là des décisions
politiques qu'on manipule comme on veut et quand on veut. Il est vrai que le
pays est souverain, mais il a beaucoup perdu en crédibilité à cause de
l'instabilité juridique qu'il semble entretenir sciemment.»
Les exemples d'investisseurs étrangers qui se
sont rétractés à la lecture de ces récentes dispositions sont nombreux. Celui
d'un Espagnol est édifiant parce qu'il aurait, selon nos sources, déplacé son
idée de projet au Maroc. «J'ai de grandes facilités pour le faire au Maroc, de
toute manière, un jour ou l'autre, les frontières seront ouvertes et
j'inonderais le marché algérien sans avoir à investir aucun sou», a-t-il dit.
L'on rappelle que le constructeur automobile Renault s'est installé au Maroc
mais vend plus en Algérie. Nos interlocuteurs se souviennent que durant les
années 90, un investisseur étranger avait rétorqué à un responsable algérien
qui lui suggérait de ne pas venir en Algérie à cause du terrorisme, «je sais me
protéger contre le terrorisme parce que j'ai investi dans des pays où il y en a
mais je ne sais le faire contre vos lois qui manquent de clarté et de
constance».
«Le crédit
documentaire, un mode de paiement plus long et plus cher»
Nos interlocuteurs commentent la dernière
note de la Banque d'Algérie à l'attention des PDG des banques leur demandant en
référence aux articles 50, 67 et l'alinéa 2 de l'article 69 de la loi de
finances complémentaire «de continuer à prendre en charge les opérations
d'importations des biens en cours, initiées avant la date de la signature de la
note en question». L'article 50, disent-ils, «interdit le dédouanement d'engins
rénovés alors qu'il existe des opérateurs qui en ont importés et même qui ont
importé des usines rénovées. Il est quand même malheureux de le savoir à la
dernière minute !» Si l'article 67 ne suscite pas de commentaire, l'article 69
surprend les banquiers. «Le paiement des importations s'effectue
obligatoirement au moyen du seul crédit documentaire», stipule-t-il excluant
ainsi le paiement par remise documentaire ou par virement simple. «Ce sont deux
modes de paiement qui facilitent la procédure d'importation, étant basés sur la
relation de confiance entre les partenaires concernés par l'opération, alors
que le crédit documentaire passe par une procédure beaucoup plus longue et
coûte plus cher», nous dit-on.
L'on relève à cet effet que «les grands
importateurs ne seront pas véritablement touchés parce qu'ils ont les moyens
financiers de le faire, mais ce sont les petits importateurs du container qui
assurent la fluidité du marché qui seront pénalisés. En évidence, c'est le
consommateur qui trinquera parce qu'il devra faire face à des pénuries ou des
hausses de prix vertigineuses.» Et s'il est reconnu que de telles mesures
pourraient freiner le flux des importations, l'on s'interroge cependant «pour
combien de temps ? On sait tous que les gens sont obligés de s'y adapter et ça
reprendra. A moins que le gouvernement mijote autre chose... Mais encore une
fois, ça ne fera pas sérieux !» L'article 75 interdisant les crédits aux
particuliers étonne les banquiers puisque, disent-ils, «il pénalise le
consommateur parce que si le législateur a voulu nous pénaliser, nous
investisseurs étrangers, c'est raté parce que le crédit aux particuliers ne représente
qu'entre 20 et 30% de notre activité globale, prêts véhicules compris.» Ils
estiment que le gouvernement aurait dû cibler.
Par ailleurs, si l'article 75 permet l'octroi
du crédit immobilier aux particuliers, l'article 99 l'accorde aussi aux fonctionnaires
mais, est-il précisé, «le bénéficiaire du prêt supportera un taux d'intérêt de
1% l'an, une bonification, relèvent les banquiers que l'Etat aurait dû assurer
à tout le monde». En plus, en interdisant les prêts aux particuliers, l'Etat
pourrait pénaliser les entreprises nationales de l'électroménager puisque
beaucoup de ménages achètent «local». L'on est persuadé ainsi que l'Etat s'est
plutôt mis dans la peau des banques pour ne prêter qu'aux riches.
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Posté Le : 09/08/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ghania Oukazi
Source : www.lequotidien-oran.com