Algérie

Parole, d'où viens-tu'


saurait-on jamais répondre au destin contraire sans ne rien perdre de la profondeur de sa propre pertinence'Ecrit de sa main et joint à l'envoi de son livre L'Exil et la mémoire, Une lecture des romans de Taos Amrouche (*), Mme Djoher Amhis-Ouksel m'indique ce subtil proverbe kabyle: «Parole d'où viens-tu' De ma racine, Ay awal, ansi i d-tekkid' Seg uzar-iw.» Il s'agit évidemment de la plus haute parole, celle qui tire sa substance et sa forme des origines de l'être pensant et agissant. Chaque être humain a son passé au plus profond de soi, et c'est là que sa parole est prise et se tient et s'affranchit comme honorable ambition, c'est-à-dire que «chaque être humain peut s'accomplir sujet, et se dire tel». Justement, en cette veille du 8 mars 2012, Journée mondiale de la Femme, j'ai toujours le sentiment que chez nous la femme a assez de racine et l'homme aussi afin qu'une fleur identitaire vertueuse éclose dans quelque prochain Jardin extraordinaire de notre pays, In châa Allah.
En publiant «Une lecture des romans de Taos Amrouche» (Rue des Tambourins, 1969; Jacinthe Noire, 1947; L'Amant imaginaire, 1975; Solitude ma mère, 1995, roman posthume), Djoher Amhis-Ouksel tente de mettre en lumière la quête de l'origine et identité de cette femme auteure également de contes et de chants berbères, - ainsi qu'elle l'avait déjà fait pour Mouloud Mammeri (La Colline oubliée; Le Sommeil du juste), Mohammed Dib (La Grande maison), Malek Ouary (Le Grain dans la meule) ou Mouloud Feraoun (La Terre et le sang; Les Chemins qui montent).
Le travail tout pédagogique de Djoher Amhis-Ouksel, dont la longue carrière de professeur de lettres françaises et d'inspectrice à l'éducation nationale est connue, porte sur la présentation, l'étude et l'analyse des ouvrages de Taos Amrouche; son intention est d'aider la jeunesse à entrer, par la bonne lecture, dans la littérature algérienne. C'est en fait une stratégie éducative qui favorise la pratique de la lecture et, par conséquent, lire devient un plaisir, non une contrainte. En tout cas, c'est là l'objectif de Mme Amhis-Ouksel. Cette quête n'est pas seulement et spécialement orientée sur les questions fondatrices de l'origine et de la construction de l'identité de Taos Amrouche, mais l'intérêt capital est ici de montrer comment un destin, celui de cette «grande femme de lettres» est éminemment riche d'événements socioculturels et historiques dont les jeunes d'aujourd'hui devraient connaître les ressorts et la qualité de la stricte raison de sa personnalité. Et d'abord voici un bref rappel biographique de Taos Amrouche. Elle est née le 4 mars 1913 à Tunis où ses parents (Belkacem, son père est originaire de la Petite Kabylie; Fadhma Amrouche Ath Mansour, sa mère de la Grande Kabylie) ont été contraints à l'exil par l'effet des incertitudes et des conflits de l'histoire et sans doute de la naissance du père en un milieu familial qui, par une paradoxale nécessité de survie, avait été, à l'âge de cinq ans, confié aux Pères blancs et baptisé. Cependant, pour Taos, comme pour son frère Jean Amrouche, célèbre écrivain, comme pour leur famille, l'Algérie est restée chevillée dans leur coeur à la fois par croyance et identité, - en somme pour se nouer à eux-mêmes et à leur monde originel. Aussi, avons-nous dans les romans de Taos Amrouche, ainsi que dans ses contes et ses chants en tamazight repris de sa mère Fadhma (auteure d'une Histoire de ma vie, publiée en 1968, un an après sa mort), l'explication totale de son identité à partir de sa réalité propre dont les détails se retrouvent notamment dans Rue des Tambourins et Solitude ma mère.
Le thème général de la «séparation» au sens multiple, employé par Taos Amrouche, se résume dans ce que Jean Amrouche, son frère, avait écrit dans ses Chants berbères de Kabylie et que l'on découvre placé en épigraphe à la présentation de Rue des Tambou-rins: «La grande douleur est d'être et d'être séparés. Nous portons en nous, avec la joie d'être vivants, de nous sentir animalement existants, l'amer regret du non-être.»
Une pensée exquisément terrible. On comprend alors pourquoi Taos Amrouche a voulu «se raconter» dans toutes ses activités d'écrivain ou d'artiste, et jusqu'à sa mort le 2 avril 1976 à Saint-Michel-L'observatoire, en France. «Elle prend conscience, écrit Djoher Amhis-Ouksel, de la singularité de son destin.» Et quel!
Incompréhensiblement - mais pourquoi et pour quel objectif méthodologique ou est-ce, plutôt, par simple maladresse de fabrication du livre' - on passe immédiatement, sans avant-propos ni introduction, à l'objet du travail de la lectrice en chef sur les quatre romans annoncés.
L'analyse du premier Rue des Tabourins est ample et traite avec justesse et émotion d'une vie de femme entre fiction et réalité, entre espoir et déception, - à propos de ce livre, son frère J. Amrouche a écrit: «C'est bien plus une opération de salut qu'une opération proprement littéraire.» Dans Jacinthe Noire, c'est la notion d'échec qui ronge Taos Amrouche. Djoher Amhis-Ouksel fait l'inventaire de tout ce qui se rapporte au personnage central de l'oeuvre: «L'auteure veut tenter de se dévoiler dans toute sa vérité, pour elle-même et aussi pour les autres.» Reine, l'héroïne de ce roman, ressemble, par sa souffrance, aux «jacinthes d'un bleu presque noir», apprenons-nous, qu'elle avait pu cueillir dans le jardin lors de son séjour à Tunis. Dans le troisième roman, L'Amant imaginaire, Taos Amrouche continue de développer son idée maîtresse: «Se comprendre et se faire comprendre.» Mme Amhis-Ouksel s'attache à dégager les tourments et les angoisses de l'héroïne Aména qui ne veut pas arrêter «la poursuite de l'impossible», l'impossible amour de Marcel, l'écrivain, qui «se consacre entièrement à son travail». Plusieurs extraits de chapitres rapportent cet amour passionné qui rencontre l'indifférence de l'autre. Enfin, Solitude ma mère, quatrième et dernier roman présenté par Mme Amhis-Ouksel, serait, selon cette dernière, «un appel au secours». «L'auteure, écrit-elle, se confie à une mère rassurante pour exorciser son désarroi.» L'idée de «l'inaptitude au bonheur» est en quelque sorte revue et corrigée, mais elle demeure.
Le prologue et l'épilogue limitent exactement l'évolution de l'héroïne dans une société dont elle ne comprend pas souvent les codes. Taos Amrouche tire une grande conclusion de son parcours: il n'y a pas de fatalité à ce qu'elle a vécu; «Elle dénonce, explique Amhis-Ouksel entre autres exemples, le viol de la colonisation qui lui fait perdre ce qui est essentiel pour sa personnalité: être soi.» Oui, «être soi»: à la fois le début et l'aboutissement d'une personnalité authentique.
Des «Annexes» suivent les analyses de ces quatre romans. On les lira avec attention, car elles complètent les explications judicieuses et souvent intéressantes par leur subtile audace à ouvrir d'autres pistes de lectures profitables.
En effet, il y a des proverbes recensés dans L'Amant imaginaire, quelques thèmes importants suggérés que chacun pourrait développer à sa guise pour se former le portrait de Taos Amrouche, une notice biographique de cette femme de lettres.
Et tout particulièrement cette frappante citation qui mérite méditation: «Je ne suis banni ni de mon village ni de mon pays. Mon algérianité n'est pas à prouver. Par mon père, j'ai un pied en Petite Kabylie, par ma mère j'ai un pied en Grande Kabylie et moi, j'ai les deux pieds solidement plantés en Algérie.»
En conclusion, tous ceux qui s'intéressent à la lecture et, tout spécialement, les enseignants qui doivent apprendre à lire eux aussi pour apprendre à lire à la jeunesse, trouveront sûrement dans le travail de Mme Djoher Amhis-Ouksel - cette militante de la littérature algérienne - quelques procédés pédagogiques pour donner le goût de la lecture aux récalcitrants jeunes et adultes.
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