Commentaire Pour la fillette algérienne, Paris - ou Baris, elle ne sait pas - doit être beaucoup plus loin que la France, puisque la France se trouve de l'autre côté de la mer. En fait elle ne connaît que son douar, la pauvreté et le monde des femmes : la mère épuisée par le travail et la grand-mère qui raconte des histoires fabuleuses. Son père est parti combattre pour l'Indépendance. Un jour, il lui faut partir, aller en France, plus loin que Paris, découvrir d'autres coutumes, participer à la vie d'une nouvelle communauté... Le livre de Ghania Hammadou relève du roman d'apprentissage, écrit au féminin, dans une langue colorée et lumineuse.
Un père sans visage Alors Lila murmura à Meriem : “Bientôt vous irez vivre à Paris : c’est encore plus loin que la France, c’est Khalti Fettouma qui le disait hier après-midi.”
Comparé à l’impressionnante bibliographie littéraire née de la Seconde Guerre mondiale, le nombre d’ouvrages, tous genres confondus, alimentés par notre Guerre de Libération nationale est carrément ridicule.
Aujourd’hui encore, il est rare qu’un catalogue éditorial français ne mentionne pas le récit ou de roman évoquant ou relatant, fût-ce en arrière-fond d’une intrigue fictive, des événements liés à l’occupation allemande.
On considère que c’est là une façon parmi d’autres d’éviter que les mémoires ne s’effacent au point que les peuples soient tentés de ressusciter les monstres qui ont embrasé le monde durant plusieurs années. Certes, la littérature n’a jamais eu la puissance d’empêcher les grands affrontements — en a-t-elle eu seulement la prétention ? — mais on peut lui contester sa contribution à la réflexion sur la paix et la grande part qu’elle a prise dans le dévelopement de la connaissance et de la compréhension mutuelle entre les hommes.
Certains penseurs algériens observent non sans raison que nous n’avons pas su raconter à nos enfants cette immense épopée dont l’épilogue a été achevée il y a près de quarante ans. Ils ajoutent même que nous l’avons si mal racontée — le nous regroupant les écrivains, les historiens, les dramaturges et les cinéastes — que, tout compte fait, il n’est pas plus mal que nous n’en parlions plus.
Là-dessus, écrivains et poètes, historiens et dramatruges, cinéates et paroliers se répandront en raisons toutes plus valables les unes que les autres de cette défaillance singulière, de la médiocre qualité des fictions inspirées par la Guerre de Libération, de leur pouvoir d’évocation souvent dérisoire, de leur crédibilité douteuse … La politique n’est jamais loin à laquelle s’alimente la propension obstinée au récit glorificateur.
L’incapacité chronique de la (des) langue (s) à susciter l’intérêt du lecteur et du spectateur pour ces périodes du vécu national, n’est pas étrangère, non plus, à cet état de fait. En fin de compte, l’existence de quelques œuvres — prose, poésie, films et pièces de théâtre — de facture acceptable, est bien insuffisante pour faire oublier la désolante vacuité du champ artistique en rapport avec la lutte armée et les situations qui en ont procédé.
C’est dire que la parution de romans comme celui que vient de publier Ghania Hammadou mérite d’être saluée comme un événement. Car, dans cette intrigue au titre plutôt curieux (*), évolue une ronde de personnages dont l’âme est marquée par la Guerre de Libération nationale. à des niveaux de profondeur variables, certes, mais ils en portent une empreinte qui les affecte dans leurs actions, paroles et comportements.
L’auteur, dont nous connaissons le parcours professionnel dans la presse algérienne, fait vivre ce petit monde au centre duquel se trouve Zahra, la mère, mais aussi une figure emblématique : la vénérable dame familièrement appelée Oumeyma, ce symbole d’une permanence et d’une certitude qui la désignent comme l’incarnation du pays.
Au départ, le personnage de Azzedine, le père, comme des dizaines de milliers de ses concitoyens précipités dans la tourmente au lendemain de l’embrasement de Novembre.
Azzedine qui gagne le maquis, laissant mère, épouse et enfants. Et c’est l’image de ce père absent que s’acharnera à faire vivre en elle Mériem, s’escrimant à le composer et rectifier en convoquant sans cesse tous les souvenirs de son enfance paysanne.
Le récit sur fond d’occupation armée fait place à de nombreuses situations visiblement cueillies dans la réalité, les chroniques ayant continué à passer de bouche à oreille avant que d’autre tempête ne vienne substituer ses actes sanglants à ceux d’un passé où l’on croyait avoir atteint le summum de l’horreur.
À l’arrivée, la métamorphose de Zahra, cette campagnarde que le destin a arrachée à sa terre natale pour la déposer dans la banlieue d’une ville de la France septentrionale où, par la force des choses, elle contraindra son âme et son corps à s’acclimater.
Ghania Hammadou sait raconter et sait parfaitement ce qu’elle raconte. Le voile de la fiction romanesque s’effiloche souvent au cours de la narration pour laisser entrevoir dans ce récit marqué par le souci du détail et la connaissance parfaite de la vie rurale algérienne, des scènes appartenant à un vécu direct ou emprunté qui confère à l’ouvrage une incontestable valeur documentaire.
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Posté Le : 24/11/2001
Posté par : nassima-v
Ecrit par : M. A
Source : www.liberte-algerie.com