Algérie

Paris, l'autre désert de Mohamed Mokeddem, (Roman) - Éditions Mokeddem, Paris 2007



Paris, l'autre désert de Mohamed Mokeddem, (Roman) - Éditions Mokeddem, Paris 2007
Présentation

Egus, un chien du XXIe, kidnappé par Ali, se retrouve, dans le XVIIIe, un monde qui ne lui ressemble pas.
Pendant ce temps, Fouzi, un scénariste algérien exilé, bossu, SDF, a rendez-vous avec Djamel, un ami d'enfance, qui, partant en voyage, l'a invité à séjourner dans son studio, en son absence.
A la Colline Oubliée, lieu de leur rendez-vous, Djamel, s'apercevant de la présence de deux policiers, Petit-Gros et Grand-Maigre, s'éclipse en confiant les clés à Ali avec consigne de les remettre à Fouzi. Ce qu'il fait, y ajoutant du coup Egus, devenu marchandise encombrante, arguant : pas de clés sans le chien ! une condition de Djamel.
La cohabitation commence mal entre ces deux être déracinés de leur milieu social. Mais peu à peu, Egus découvre un écrivain drôle mais démuni financièrement, et Zizi connaîtra un chien qui se prend pour Victor Hugo, et qui le considère comme Quasimodo.
Désormais compagnons inséparables, ensemble, ils font face à la faim et à un groupe d'islamistes, à leur tête Djamel qui ne l'avait invité chez lui que pour mieux l'impliquer dans le convoyage de fonds collectés en France, vers l'Algérie.
L'histoire de Egus et Fouzi, entrecoupée par celle d'Esmeralda, leur voisine, une beurette fille-mère, c'est tout Notre-Dame de Victor Hugo, revisitée.

Extrait

Soixante euros ? Il s’en fallut de peu que Zizi s'empoignât avec le vitirinére ! Quel culot d'exiger une telle somme pour une piquouse et un diagnostic débile ? Monsieur, votre chien est stressé et dépressif, son état actuel exige le repos et la bonne chair. Il ne faut ni l'énerver, ni le brusquer ni le choquer, ni le laisser trop marcher ! Un mot de plus et Zizi l'aurait tué. Soixante euros ? Une semaine de bouffe partie en fumée pour une histoire de chien. T'fou ! Tous les mêmes ces Français ! Après la pute, voilà le chien qui le mettait sur les jantes. Véra lui avait fait les poches pendant qu'il était sous la douche. Dire que chez nous c'est une révolution d’admettre un kelb dans la cour de la maison ! Il reste dehors pour monter la garde, et il doit assurer s'il veut mériter les restes ! Je sais, avait répliqué cyniquement le Dr Schaller, en Chine, c'est encore pire, il passe à la casserole !
- Les futés vivent avec des blondasses et moi j’élève un chien. La honte ! Sur la tête de ma mère que t'auras plus une miette de fromage à partir d'aujourd'hui, plus un bout de jambon ni de croquettes ni de lolo. De l'eau et du pain sec, le ramadhan malgré toi, jusqu'à ce qu'on amortisse !
Il marchait vite et à grands pas dans les couloirs du métro, ressassant, comme un joueur de loto rendu fou par un énorme gain : soixante euros ! Soixante euros ! Je soupçonnai ses nerfs de lâcher d'un moment à l'autre et zou l'Egus, aplati contre un mur à cause de soixante malheureux euros !
- Et merde ! siffla-t-il tout à coup en s’arrêtant net, et me posant brutalement par terre. Dix contrôleurs blancs de la RATP, Les Grenouilles Vertes, étaient devant nous et vingt Scarabées, les rabatteurs noirs, derrière, chargés d’encercler et de pousser les usagers hésitants vers les premiers.
- Nigouss, malade ou pas, tu vas montrer ce que t'as dans les pattes. Allez zou, je compte sur toi et sur Allah pour nous sortir de leurs griffes !
Dans pareille situation, je devais foncer vers la sortie et lui me poursuivre en criant : Mon chien, mon chien ! Une technique infaillible pour semer la zizanie et en profiter pour franchir le tourniquet. J'évaluai la distance qui nous séparait des Grenouilles Vertes et de la sortie : trois cent mètres, soit un élan de cents mètres pour atteindre une pointe de cent à l'heure afin que personne ne puisse m'attraper. Je n'atteins cette vitesse sans prendre d'élan que lorsque j'ai un écureuil sous le museau ou un pitbull au cul.
- Et attention, ta limite c'est le trottoir, tu ne traverses pas la rue sinon ils vont dire que je t'ai poussé au suicide. Si tu meurs, on dira un Arabe a tué un Français !
Il m'arrive rarement de courir mais quand je m'élance, impossible de m'arrêter, plus de freins aux pattes avant de cogner un mur ou les roues d'un bus. La mission s'avérait ardue, autant dire impossible cette fois-ci car je n'avais ni écureuil droit devant ni pitbull aux fesses, sans compter le risque d’une défaillance musculaire des pattes, la fièvre qui me ferait chavirer, ainsi que la trop grande densité d'Arabes, de Noirs et de touristes au mètre carré, difficile à fendre en ligne droite, sans trop de zigzags. Le risque étant trop grand, il n'était donc pas question de courir. Je m'allongeai par terre. M'empoignant par le dos, il me remit sur les pattes.
- Cours !
- Non !
- Si !
- Non !
- Pour la dernière fois : tu cours, oui ou non ?
- C’est non, non et non !
Les badauds commencèrent à s'arrêter et à entourer un chien qui pleurniche et un homme qui aboie.
- Lève-toi !
- Aïe, lâche-moi, tu me fais mal espèce de brute !
- Vas-y merde, bouge ton cul !
- Non !
- Tu refuses ?
- Oui !
- Sur la tête de ma mère, si tu ne te lèves pas sur le champ, je te file au premier bridé de passage pour le plaisir de t'entendre hurler dans un four à vapeur, ou au premier schnock du XVIe qui te tiendra en laisse le restant de ta vie !
- C'est du chantage ! Pourquoi c'est toujours moi qui dois te sortir d'embarras ?
- Parce que c'est toujours moi qui paie le vétérinaire et les coquillettes !
- Je suis malade, je te dis, je peux pas courir !
- Tu dois courir ! Il le faut !
- Non !
Vaincu par mon entêtement, il perdit de sa superbe.
- Egus mon frère, je te jure que je n’ai plus un sou à donner à ces salauds ! J’ai tout donné à ton vétérinaire, il ne me reste plus rien, j’ai tout sacrifié pour ta santé ! Allez, lève-toi, comme ça ce soir t’auras des croquettes de chez Fauchon...
- Hé, héhéhé, moi aussi j'ai niqué des gusettes pour toi alors que j’en avais pas envie ! C'est pas vrai ça, hein ? En plus de donner tout notre argent à Véra, tu m'as flanqué hors du lit pour la niquer, et j'ai dû passer la nuit sur le parquet ! C'est pas vrai ça, hein ? Moi, sincèrement, j'en ai marre, marre, marre de cette vie à la con où on est toujours obligé de courir ! Basta ! T'as qu'à te débrouiller tout seul ! Prends-toi une amende puis va vendre la came qui est dans l'appart au lieu d'être tout le temps sans le sou et de te plaindre ! Sinon, cours toi-même !
- En plus des croquettes, je te le jure sur la tête de ma mère, je te rends ton jambon, ton fromage et ta piquette mais tu te lèves et tu cours !
- Non, je peux pas, j'ai un pneu crevé je te dis ! Tu comprends pas l'arabe ou quoi ?
- Par Dieu, si tu ne te lèves pas je te nique ta mère à coups de pieds au cul !
- Nique ta mère toi-même ! Si tu me touches, je raconte tout à Molosse !
- Lève-toi, kelb zebi !
Il poussait, je m'accrochai au sol.
- Lâche-moi merdeeeeeuuu !
- Grouille-toi, merde, ils sont presque là !
- A l'aide ! Au secours !
Il perdit la tête et m'asséna un coup de pied là où il l'avait prévu. J'avais poussé un tel hurlement de douleur qu'une vieille dame en eut le coeur déchiré. Elle intervint et exigea de Zizi qu'il cessât de brutaliser le pauvre petit chien sur le champ.
- Mêlez-vous de ce qui vous regarde la vieille !
- Quoi ? La vieille ? Lâchez ce pauvre chien et filez avant que j'appelle la police ! hurla-t-elle en m’arrachant du sol.
- C'est mon chien et j'en fais ce que je veux ! tonna Zizi en m’arrachant à son tour d’entre les bras de la dame.
- On est en France ici, un chien ça a des droits !
- Zebi !
- Espèce de sagouin !
- Vieille bique !


La foule affluait. On riait. Un groupe de beurs mit de l'ambiance en applaudissant et entonnant, allez, allez Zizou, allez allez ! pour encourager un compatriote et niquer les nerfs de la mémé afin que la sauce pimente encore plus. La foule des curieux grossit autour de nous. Pour tous, un Arabe voulait piquer un chien à une Française !
Et j'étais là au milieu, la vieille s'accrochant à ma tête, Zizi me tirant vers lui par la queue et les pattes arrières, et je me demandais qui des deux allait se résoudre à assommer l'autre afin de me libérer de l'écartèlement. Zizi craqua et bouscula la dame qui tomba sur son séant, hurlant : Terroriste ! Ce fut aussitôt la panique et je fus emporté par le flot des fuyards qui ne retrouvaient plus le sens de la sortie et tournaient en rond dans les couloirs. Zizi me poursuivait en me sommant de m'arrêter.
La dame courait après Zizi en hurlant : Terroriste ! Sa voix de soprano résonnait d'un couloir à l'autre, se répercutait, trouvait écho et s'amplifiait pendant qu'une autre voix, nasillarde, beuglait dans un micro : Attention... terroriste... islamiste... bombe... ! La voix gonfla Zizi, le clona par dix, trente, en fit une légion de terroristes surarmés qui avaient investi le métro de Barbès.
Nous courions. Les gens s'écartaient sur notre passage. Policiers, vigiles et contrôleurs surgirent de nulle part et nous encerclèrent. Les badauds rebroussèrent chemin pour consolider l'étau se refermant sur nous. Il ne manquait plus que les gens de la télévision pour que toute la France, l'Europe et le reste du monde sachent qu'on avait démantelé un groupe de terroristes algériens parmi lesquels un chien irlandais.
A l’aide ! Au secours Zizouuuu ! Terroriste ! Terroriste !...


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