Algérie

«Pardonner pour aller au-delà de l'usure émotionnelle avant tout»



M. Lounès LALLEM, docteur en psychologie clinique, enseignant-chercheur à l'université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou, au Soirmagazine :«Pardonner pour aller au-delà de l'usure émotionnelle avant tout»
Dans cet entretien, M. Lounès Lallem, docteur en psychologie clinique, enseignant-chercheur à l'université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou, nous apporte son éclairage sur la notion du pardon. Il nous explique aussi son rôle et son processus ainsi que le profil type de ceux qui ne s'excusent pas.
Soirmagazine : Pardonner, c'est quoi '
Lounès Lallem : Pardonner ne signifie pas oublier. Au contraire, il faut se souvenir de l'offense pour pardonner. Mais, à l'inverse de la vengeance qui refuse l'oubli pour inscrire éternellement une dette de haine, le pardon nous délivre d'elle, nous libère d'un passé qui n'arrive pas à passer. D'où son utilité pour chacun tout au long de la vie.
Est-ce naturel de demander pardon '
Certainement, car ça fait référence à tout acte de courage par lequel nous laissons de côté l'amertume qui nous tenaille et nous rend captifs pour accepter ce qui est arrivé et nous permettre ainsi d'avancer. Il s'agit également d'une restructuration du «moi», d'un parcours psychologique où la réparation des dommages et des émotions négatives permet de trouver progressivement, au quotidien, la paix intérieure.
Qu'est-ce que cela apporte de demander pardon, notamment sur le plan psychologique '
Pardonner pour aller au-delà de l'usure émotionnelle avant tout? Beaucoup d'entre nous peuvent avoir une épine enfoncée, un compte à régler avec un événement de notre passé affectant notre bonheur actuel, lequel réduit notre capacité à construire un présent beaucoup plus satisfaisant. Car, finalement, pardonner, c'est apprendre à tisser l'interpersonnel pour réinventer un moi ayant toute la gratification narcissique qui assume le passé, mais qui se voit fort afin de vivre l'instant présent, sans pour autant être tout le temps sur les traces mnésiques relatives aux blessures narcissiques d'un passé offensant. Quant au plan psychologique, l'homme d'aujourd'hui dispose de multiples exutoires sur ce qu'est pardonner ou non, ainsi que sur la manière dont nos sociétés et ce monde si rempli de conflits tout au long de l'histoire n'a pas toujours été en mesure d'avancer en ce sens : une dimension qui est également fondamentale pour notre bien-être mental car, finalement, le pardon est généralement une forme de concession angulaire de toute relation, qu'elle soit de couple, de parents, d'amitié, etc.
Quel est le déclic ou ce qui nous pousse à demander pardon '
A mon sens, ce qui déclenche l'action/pensée «pardonner» est le fait de faciliter le deuil du ressentiment, de retirer progressivement les amplificateurs de la colère, l'intensité du désespoir et le blocage qui nous empêche de prendre du recul et, surtout, de capitaliser un retour de sentiments et de ressentis afin de faire face au double jeu de l'amour et de la haine face à l'événement offensant.
Pourquoi dans certaines situations une personne ne peut demander pardon par fierté ou autres motifs '
Une chose est sûre, on n'est pas toutes et tous capables d'offrir le pardon, car, à la base, la raison réside dans le fait de considérer le pardon comme une forme de faiblesse, et puis avoir trop de fierté amplifie le narcissisme de la personne ce qui induit par conséquent au blocage. Il s'agit ici d'une erreur de postulat dans le lien à l'autre et le rapport à la réalité. En revanche, une des meilleures idées que nous offre le pardon est que le faire, franchir le pas, outre le fait de nous permettre d'avancer avec plus de liberté dans notre présent, nous donne l'opportunité d'intégrer dans notre être de nouvelles valeurs, de nouvelles stratégies pour affronter n'importe quelle source de stress et d'anxiété.
Y a-t-il un profil type de personnes qui ne s'excusent pas '
Le profil type est celui qui concrétise ces cinq indicateurs :
1 - Celui qui n'arrive pas à prendre conscience qu'il cause du mal à autrui.
2 - Celui qui n'arrête pas de blâmer les autres.
3 - Celui qui joue tout le temps le rôle de victime.
4 - Celui qui ne se confronte pas à l'autre, du moment que l'altérité est pervertie au service de ses demandes et ses exigences.
5 - Celui qui ancre la haine et l'incapacité à recycler ses émotions face à l'intersubjectivité.

Et de l'autre côté, est-il facile de pardonner ou y a-t-il un processus '
Quantifier le pardon en intensité ou au degré près n'est certainement pas le problème. En Algérie, on n'évoque pas ce thème en groupe, sans doute parce qu'il renvoie aux convictions les plus intimes de chacun. Parfois, il devient un enjeu fondamental entre les membres d'une même famille : quand l'un est sur le point de pardonner, ses proches le rejettent. Le pardon est alors la marque de l'évolution intérieure de la personne qui se différencie de sa «tribu». D'autre part, les gens confondent trop souvent «pardonner» et «comprendre». Or, les deux peuvent aller l'un sans l'autre.
Un dernier mot?
Le pardon n'est pas un concept dont on se sert en clinique. Pour ma part, en qualité de psy, il peut générer une confusion entre les victimes, qui en arrivent à s'interroger sur leur propre part de responsabilité, et les coupables, qui ne sont plus clairement désignés comme agresseurs ; confusion aussi entre un travail de type analytique sur la culpabilité inconsciente des victimes et leur simple faculté d'introspection? Le pardon correspond bien à notre époque où, se voulant zen, on ignore les dimensions inconscientes de la relation à l'autre et à la réalité interne et externe.


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