Algérie

Parcours atypique d'un jeune martyr


Par Mohamed BEDREDDINE*
Evoquant la révolution de novembre 1954, soixante ans après l'indépendance de l'Algérie, c'est parler sans ambages de cette jeune génération de l'époque qui a rejoint le maquis pour combattre le colonialisme français.
De ces jeunes qui ont répondu présent au devoir national, on citera Bedreddine Yahia, qui faisait partie de ces valeureux combattants dont le poids des conditions de vie, marquées par l'injustice de l'administration coloniale et des caïds, a forgé chez eux des sentiments de révolte contre l'ordre établi. «C'était la naissance du nationalisme, puis du patriotisme qui couvait au fond de chaque Algérien depuis des décennies», comme tenait à le souligner feu Djoudi Attoumi dans son ouvrage Chroniques des années de guerre en Wilaya III».
Engagement dans les rangs de l'ALN
Yahia Bedreddine, natif d'Amalou le 6 octobre 1932, fils de Mohand Mouhoub et d'Ait Merzegue El Djida a, après avoir accompli son service militaire, été encore rappelé comme plusieurs jeunes de sa génération. Sa démobilisation, coïncidant avec le déclenchement de la guerre de Libération nationale, a été le déclic de l'amorce d'une nouvelle étape de sa vie.
À peine rentré au village natal (Taourirt), il a reçu le message du Moudjahid El Hadj Ahmed du village Ighil Ntala l'invitant à rejoindre le maquis. Sans hésitation aucune, et malgré l'absence de son père se trouvant en France, le jeune Yahia Bedreddine, confie sa femme, ses soeurs ainsi que son petit frère à son oncle Bachir et sa tante Fatima et s'engagea dès 1956 dans les rangs de l'armée de libération nationale (A L N).
Agé d'à peine 24 ans, il intègre la section de Mohand Outayeb de son vrai nom Abdelouhab Mohand Akli dit «l'Indochine» en raison de sa participation à la guerre d'Indochine (Vietnam, 1946-1954). Ce jeune combattant intègre le troisième secteur qui couvre les localités d'Ath Aidel, Seddouk et Azrou Nbechar, un secteur relevant de la zone «Une» de la Wilaya III historique. Durant les trois années de lutte passées au maquis (1956-1959), il sillonne les monts et ravins ainsi que les villages et douars de cette région d'Ath Aidel, située sur la rive droite de la vallée de la Soummam. Il est utile de souligner que l'élan de la guerre de Libération nationale a pris une nouvelle dimension avec l'arrivée d'Amirouche Ait Hamouda désigné par Krim Belkacem dès 1955, pour organiser la lutte armée dans la vallée de la Soummam. Cette partie de la Kabylie dont la zone I, s'est distinguée par l'intensité des actions armées menées par les troupes de l'ALN. Une zone qualifiée par Djoudi Attoumi, dans son livre Le Colonel Amirouche entre légende et histoire» de «fleuron de la Wilaya III, en matière d'actions militaires réussies contre les forces ennemies».
Face à cette offensive militaire, la réaction de l'ennemi fut immédiate. Il y eut l'apparition des bombardiers américains de la Seconde Guerre mondiale qui larguèrent leurs bombes de 5 quintaux non seulement dans les forêts et les massifs montagneux, mais aussi dans les villages peuplés à l'égard de Bouthouab, Bouhamza, Tizi Aidel... etc». N'ayant pas réussi à étouffer l'élan de la révolution dans cette région, l'armée française lance le 27 mai 1956, l'opération Espérances avec la participation de plus de 30000 soldats dirigés alors par le colonel Henri Dufour. Dans son livre consacré Si H'mimi Oufadel (Feddal Ahmed): Un chef de la Wilaya III, paru aux éditions
El Amel, Ali Bettache rapporte le témoignage du commandant
Si Hmimi qui parle d'une «opération infernale», où «l'armée française procéda à la destruction des villages et à l'assassinat de 365 civils et seulement 30 moudjahidine». En compagnie des moudjahidine de la région, notamment ceux de Taourirt, d'Amalou ainsi que des villages environnants, Yahia Bedreddine a pris part à plusieurs batailles et accrochages avec l'ennemi aux côtés de valeureux moudjahidine de cette zone «Une» dirigée alors par Fedal Hmimi dit Hmimi Oufadel qui a vu sa promotion par la suite au rang de commandant.
Le chef de la SAS d'Akourma éliminé
Connu pour son excès de zèle et son arrogance, le lieutenant Jean de Pouilly (25 ans), chef de la section administrative spécialisée «SAS» d'Akourma, s'est distingué également par ses défis lancés à plusieurs reprises à l'encontre des troupes de l'ALN. L'exemple le plus frappant de cet officier zélé, est celui de son déplacement tout seul au village Tizi Lemnaâ, où il a tenté de semer son discours propagandiste dénigrant ceux qui ont pris les armes pour combattre l'armée française en les qualifiant de «fellagas» et «hors- la- loi» et en jetant sur eux toute sorte d'injures visant à priver les troupes de l'ALN du précieux soutien populaire. Les responsables locaux de la révolution décident alors de mettre fin à cette attitude provocatrice. Un commando de quatre jeunes moudjahidine composé de: Yahia Bedreddine, Idir Khenoun Smaïl, Hamouche et Aziez Chenna est chargé de cette mission qui consiste en sa neutralisation pure et simple. Une fois la date et le lieu minutieusement choisis, ils lui ont tendu une embuscade sur le chemin carrossable reliant le centre d'Amalou vers la commune mixte d'Akbou. Le lieu exact s'appelle «Hardich», il est situé à environ deux km à l'ouest du village Taourirt. Au matin du 16 avril 1957, au moment où le chef de la SAS était sur ce chemin menant au centre d'Amalou appelé à cette époque Akourma, il est abattu par le commando mettant fin ainsi à une étape d'injustices et d'arbitraires commis par cet officier de l'armée coloniale. Makhlouf Balit, l'un des 17 moudjahidine d'Amalou encore en vie et que nous avons pu rencontrer le 11 février 2022, témoigne avec fierté de cette action héroïque réalisée par ce groupe de l'ALN dont les mem-bres sont promus suite à cette opération, au rang de sergents. Comme conséquence directe à cet événement, l'administration coloniale a procédé à la réalisation d'une nouvelle piste dite
«sécurisée» passant par le village de Biziou et reliant le centre d'Amalou à la commune mixte d'Akbou et ce, en remplacement de celle où s'est déroulée l'embuscade du 16 avril 1957. Il est à rappeler également que les sections administratives spécialisées «SAS» créées durant les années 1955-1956 pour administrer les populations locales, visent à isoler le FLN et l'ALN de leurs bases arrières et les priver de toute forme de soutien populaire. Aussi, les SAS dirigées par des responsables militaires et civils, agissent localement et à l'aide des actions de proximité afin de réaliser les objectifs de l'armée coloniale qui consistent en la mise à l'échec de la révolution.
Conduite exemplaire
Tous les témoignages recueillis convergent à dire que, Yahia Bedreddine jouit de qualités humaines remarquables. En famille, personne ne garde de lui un mauvais souvenir. Au village, il s'est toujours distingué par le respect, la modestie et la servitude. Une fois au maquis, il ajouta à cela, le courage, l'héroïsme et le sacrifice. Qualifié par Makhlouf Balit cité ci-dessus, de «Moudjahid complet», Yahia Bedreddine s'est consacré pleinement à la cause nationale et a mené son combat contre l'ennemi jusqu'à la fin de ses jours.
Tout en étant membre de l'ALN, il garda le lien avec son village et organisa à plusieurs reprises chez lui des soupers aux moudjahidine. Cela se passait bien qu'à quelques mètres de sa demeure soit érigé un poste avancé de l'armée coloniale. «La restauration des moudjahidine était un rituel. Les villageois se faisaient un plaisir et un honneur de les recevoir», comme le décrivait Djoudi Attoumi.
Il arrive même qu'un voisin prenne en charge l'opération mais le lieu préféré pour servir le souper était la modeste demeure de ses parents située à l'extrémité du village Taourirt et dotée de plusieurs portes facilitant ainsi l'évacuation des éléments de la troupe en cas de repérage par l'ennemi.
Intenses bombardements sur Ath Aidel
Dans son ouvrage consacré à la guerre de Libération nationale en Wilaya III, Yahia Bouaziz cite un témoignage de feu Abdelhafidh Amokrane (Commissaire politique puis officier et assistant du colonel Amirouche) dans lequel il affirme que la zone «Une» de la Wilaya III, a subi d'intenses attaques militaires depuis 1956.
Plusieurs villages ont été simplement anéantis par des bombardements et même du napalm. Cet acharnement dut principalement à l'activité des troupes de l'ALN dans cette circonscription visant à la fois les positions de l'armée coloniale et les résidus des messalistes qui se sont refugiés à Ath Yalla, Ath Halla et Feraoune, s'est soldé par des centaines de victimes civiles et militaires. Ce même ouvrage, cite également un rapport établi par le colonel Amirouche qui fait état des bombardements subis par cette région durant la période allant de mars à octobre 1956.
Les détails de ce rapport figurent dans le journal La résistance édité par le FLN en Tunisie. D'autres attaques ont bien eu lieu après ces dates et ciblant d'autres villages de cette région résistante à l'égard du village Asrafil bombardé en octobre 1956 et dont il ne reste que des ruines témoignant de la sauvagerie de l'attaque qu'il a subie. Les rescapés de ce village ont été contraints par l'administration coloniale de s'installer dans d'autres localités pour éviter tout contact avec les moudjahidine, qui utilisent cet endroit comme zone de repli.
Tombé au champ d'honneur en 1959.
Après près de trois années de lutte armée contre l'ennemi, le parcours révolutionnaire de Yahia Bedreddine, a pris fin en été 1959 dans cette même région d'Ath Aidel. Les témoignages recueillis convergent tous à citer une certaine journée du mois de juillet 1959 où il se trouvait près du village Tadarth Ouedda en compagnie de plusieurs moudjahidine de la région et d'ailleurs, lorsqu'ils sont repérés de loin par l'ennemi avant de les bombarder à l'aide de mortiers et d'obus, ce qui causa sa mort ainsi que celle de plusieurs moudjahidine qui étaient en sa compagnie. Tombé au champ d'honneur à l'âge de 27 ans, il rejoint la liste des chouhada du village Taourirt qui compte à elle seule 11 chouhada.
Un chiffre que nous a communiqué Makhlouf Balit, responsable du bureau de l'Organisation nationale des moudjahidine «ONM» de la commune d'Amalou.
Enterré avec ses compagnons par les villageois non loin du lieu du bombardement, au lendemain de l'Indépendance nationale, sa dépouille mortelle fut déplacée au chef- lieu d'Amalou où elle est enterrée au Carré des martyrs, rejoignant ainsi le reste des valeureux martyrs qui se sont révoltés et pris les armes pour se libérer du joug colonial.
Selon Makhlouf Balit, responsable du bureau de l'ONM à Amalou, cette commune qui a vu l'engagement dans les rangs de l'ALN de près de 450 moudjahidine durant la révolution, n'a recensé que 75 moudjahidine en vie au lendemain de l'Indépendance nationale. En outre, 367 de ces valeureux moudjahidine sont tombés au champ d'honneur et ce, sans compter les centaines de victimes civiles qui ont fait les frais de cette guerre. Ces chiffres témoignent à la fois: du plein engagement des enfants d'Ath Aidel dans la révolution, et de l'intensité des actions armées ayant lieu sur le territoire de cette région durant les années de la guerre de Libération nationale.
À l'heure ou nous rédigeons cette modeste contribution, seulement 17 moudjahidine sont encore en vie. Nous leurs souhaitons longue vie, pleine de bonheur et de santé.
Gloire à toi mon frère Yahia et à tous les martyrs de la révolution. Que Dieu vous accueille dans Son Vaste Paradis.
*Journaliste
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