Papillon semoule
par Kamel Daoud
Chaque fois qu'il y a des idées de réformes en Algérie, il y a des pénuries alimentaires. Cela remonte aux années 80. On peut être extralucide, fin observateur, raisonnable assis, cette idée s'impose à chaque fois : dès que quelqu'un parle de réformes en Algérie, même fausses, dans une entreprise ou au sommet du Pouvoir, cela se traduit par des disfonctionnements des réseaux alimentaires, d'essence, d'argent liquide ou d'huile moteur et des intestins. Comme si le lien entre le gastrique et le politique reste le lien le plus direct qui soit dans l'histoire de cette nation. La moindre secousse en « politique » touche directement, par un effet papillon de semoule, le réel, la vie quotidienne et l'inquiétude du repas du cosmique. La moindre secousse se traduit par une menace et une manip sur les circuits de la dévoration et du rassasiement. Un jour, un industriel de la farine a expliqué au chroniqueur que beaucoup ne payent pas, dans le secteur, l'électricité ou certaines charges et ne déclarent même pas tous leurs employés aux assurances, mais l'Etat ferme les yeux. Pourquoi ? Parce que le prix de la baguette est dérisoire mais très « politique » mais aussi pour une autre raison. Le Régime ne touchera jamais à ceux qui peuvent soulever le peuple en seulement trois jours de rupture dans les boulangeries. Là, on est dans le hautement stratégique et le profondément vital. L'Algérie est l'un des pays qui importe le plus de blé et les Algériens sont parmi les peuples qui mangent le plus de pain et de terrains.
Reste que, pour le moment, les pénuries s'installent : celle de l'huile Naftal depuis l'été, celle de l'argent Dz depuis deux étés, celle de l'essence à l'ouest et celle des médicaments. Un bon paranoïaque algérien, né pendant le congrès de la Soummam et que la balle de Boudiaf a raté et que le MALG n'a pas recruté, peut expliquer patiemment la chose par la théorie du complot. Complot ou pas, cependant, le « politique » est psychosomatique en Algérie. Les troubles de la tête touchent directement l'estomac et le mécanisme de digestion et salivation. L'équilibre de la nation est bâti sur les circuits d'approvisionnement et pas sur les institutions. Le rassasiement est le but collectif, pas la grandeur, ni la conquête de la lune. La concurrence politique se fait sur la base d'attentats contre le tuyau majeur qui va du puits au dock et du dock à la bouche. Celui qui contrôle la mastication a le pouvoir. Article 1 de la Constitution durant les temps préhistoriques.
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Posté Le : 09/01/2012
Posté par : Fadhel222
Ecrit par : Kamel aoud - Photo Fadhel222
Source : Le Quotidien d'Oran 09/01/2012