Algérie

Papa j'ai eu mon bac


C'est ce que tu voulais et je viens d'obtenir mon bac. Tout le monde dit que cette année c'est quand même louche d'avoir un taux aussi élevé et un nombre aussi important de bacheliers.

Ces gens sont soit des jaloux, soit ils en veulent à Benbouzid, soit ce sont des grévistes qui sont sortis vainqueurs de leur combat contre une fiche de paie seulement, ou alors il s'agit de gens qui ont des enfants adultes, des enfants en bas âge ou pas d'enfants du tout. Ils ne veulent tout de même pas que j'aille remettre mon bac à l'académie sous prétexte qu'il est louche ! Qu'est-ce qui ne l'est pas dans ce pays ? Même Sonatrach est louche, l'Etat est louche, les élections sont louches, les élus sont louches, l'Histoire et même la géographie sont louches. Quand on arrive à ce niveau, que représente comme danger mon bac pour l'avenir du pays, aussi louche soit-il ? Non je le garde et je n'ai nullement l'intention de jouer aux héros. D'ailleurs les héros meurent jeunes et beaux dans ce pays ou alors vivent très peu. C'est écrit dans les livres d'Histoire avec photos à l'appui. Les autres, non seulement ils vivent longtemps, mais ils laissent à leurs enfants et arrière petits enfants de quoi enterrer ceux des héros vivants.

 Merci monsieur le Ministre de l'Education Nationale vous êtes le seul à avoir compris les lycéens et surtout leurs parents. De grâce ne remettez pas le tablier et ne vous laissez impressionner ni par les grèves, ni par ceux qui affirment que vous êtes inamovibles. De toutes les façons vous n'êtes pas le seul. Papa j'ai eu mon bac et j'attends de toi plus de sérieux à mon égard et un respect dû à mon rang. Finies les manipulations pour me faire oublier tes promesses sous prétexte que ma mention ne sert à rien et que je fais partie des 52% d'insatisfaits par Harraoubia, alors que je fais partie des 61,23% de satisfaits par Benbouzid. Pourquoi j'insiste sur les chiffres après la virgule ? Juste pour te montrer mon soucis du détail et que je fais partie d'une génération qui ne laisse rien au hasard. Ma génération papa, ne rêve plus de mots, elle a créé une langue avec des chiffres en voyelle et d'autres en consonnes. Une langue qui lui est propre, la vôtre est devenue incompréhensible de mensonges. C'est une génération qui a fuit ta langue parce qu'elle n'a pas la senteur des fleurs, ni de lumières et ses images ne sont qu'une succession de bégaiements par trop d'hésitation à dire la vérité.

 La vérité papa, c'est que je n'ai pas et n'ai jamais eu envie de faire des études tellement vos phrases sont incomplètes et trébuchantes, sur le moindre petit caillou, chaque fois que vous mettez à marcher de droite à gauche ou d'arrière en avant. La virgule papa fait la différence entre le mensonge et la vérité et pour peu que les chiffres changent de place par rapport à la virgule je n'aurai pas obtenu mon bac. J'aurai été tout au plus un simple homonyme condamné à cacher ma vraie vie pour faire disparaître ton nom auquel tu tiens tant. Le nom papa n'est pas une question de bac, c'est bien plus sérieux que ça. Le nom est une question de conquête, de souffrances et de douleurs pour que naisse enfin un sourire de satisfaction après de longues nuits de veille et d'éveil. Le nom empêche de dormir quand on sait l'écrire. Quand l'état est civilement responsable. Chaque matin tu te pointais au pied de mon lit pour me réveiller par mon prénom, pour que je te continue, mais j'avais envie de dormir, pour continuer un rêve de passage dans ma couche, le mien, le seul que dans lequel je me retrouve. Dans ce rêve qui se répétait chaque soir de cette année de terminale, il y avait des étrangères, blondes. Je rêvais de blondes tellement blondes que j'en oubliais l'espace d'un sommeil les foulards de mes jeunes camarades serrant leurs petites t$êtes arrondies. Les blondes papa c'est la vie et je l'ai senti à ta façon de zapper sur la télécommande, à ta façon de toiser ma mère entre deux soupirs. Tu vois bien que ton bac est louche aussi. D'ailleurs tu n'as pas cessé de me rappeler cette fameuse supériorité d'un diplôme du temps de ton père aujourd'hui disparu, sur le bac et même sur le doctorat. Ce Certificat d'études dont ta génération est si fière niant ainsi le nombre d'années passées à parvenir péniblement en terminale. Je refuse maintenant d'admettre cette supériorité, elle n'était pas vraie. Ou plutôt elle n'est vraie que par rapport aux enseignants d'avant qui étaient plus sérieux, mieux formés dans les écoles normales et amoureuses de leur métier.

 La comparaison ne peut se faire que si on prend tout en considération faute de quoi on ne peut que se tromper ou tricher sur les conclusions. Non ce n'est pas une insulte mais une simple mise au point pour te montrer que je suis maintenant un homme et que je dois prendre mes responsabilités devant les mots d'abord et avant tout. Si tu as commencé à travailler jeune c'est qu'il y avait du travail tout simplement et non pas parce que tu étais le meilleur. Les meilleurs d'ailleurs sont partis il y a déjà longtemps. Partis vers les pays qui savent reconnaître la valeur des meilleurs et qui leur offrent les conditions de leur épanouissement ainsi qu'à leurs enfants. Tu avais peur pour nous je le sais, mais je ne peux le comprendre, car tu as toujours peur pour nous ici. Ta peur n'est pas la mienne. La mienne c'est de ne pouvoir faire ce que j'aime et que tu sois obligé de me rappeler chaque jour tes sacrifices.

 Je ne t'ai pas demandé de mettre au monde tout comme tu n'as pas eu d'autre choix que d'être mon père. Nous devons donc nous supporter et essayer ensemble de trouver la meilleure voix d'utiliser notre bac maintenant qu'il est là sous tes yeux. Papa je veux devenir médecin. Pourquoi ? Parce que j'aime la médecine et qu'elle me rapproche des êtres humains. Je veux soulager la souffrance de l'autre. Je ne peux pas je le sais mais c'est là que ton rôle commence. Alors dis-moi comment faire, un bac avec mention dans une main, alors que l'autre main retient mon menton accoudé que je suis sur la table des matières ? Car au cas où tu n'y croirais pas, papa j'ai eu mon bac et c'est ce que tu voulais.








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