PALESTINE Au bal des faux frères et des faux culs

Par Zineddine Sekfali
En janvier 2006, il s'est produit en Palestine, à la surprise générale croyait-on, un évènement pacifique considérable, en l'occurrence la victoire électorale des islamistes du Hamas et de leurs leaders Mechaâl et Haniyeh, sur le Fatah et les autres factions qui monopolisaient la scène politique palestinienne depuis une cinquantaine d'années.
L'évènement était cependant parfaitement prévisible. La vieille garde de l'OLP et du Fatah, minée par les luttes intestines et par l'affairisme, vieillie, usée jusqu'à la corde et qui de concessions en compromissions avait cessé d'être représentative du peuple palestinien, était invitée par les Palestiniens eux-mêmes à partir et à prendre sa retraite, une retraite bien méritée pour les anciens révolutionnaires et salutaire pour le peuple. En fait, c'est après cela que l'imprévisible et l'inconcevable se sont produits. Cela a commencé par un rapt sans précédent : Israël, que certains citent comme étant le seul pays démocratique du Moyen-Orient, a enlevé pour les séquestrer quarante-cinq députés du Hamas, fraîchement élus. Ce faisant, Israël qui calcule tous ses coups, bloquait le fonctionnement du Conseil législatif palestinien, qu'on venait à peine d'installer. Par la même occasion, Israël affichait aux yeux du monde entier, son mépris viscéral pour les Palestiniens et son infinie arrogance vis-à-vis de tous les autres peuples. Mais cette mise en garde sans frais ne suffisait pas : il lui fallait aussi «donner une bonne correction » aux Palestiniens parce qu'ils ont voté pour les candidats du Hamas, en leur coupant les voies et moyens de se procurer vivres et subsistance. Cela sera l'affaire de l'Europe, qui ne cesse depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale de venir à résipiscence et de faire amende honorable, pour toutes inquisitions et pogroms commis dans les temps anciens, et pour la Shoah et l'Holocauste des années 40. C'est en effet l'Europe qui prendra la décision de soumettre la Palestine à un embargo- blocus économico-financier scandaleux et injuste, qui au-delà de ses effets dévastateurs sur la population déjà affaiblie, aura des conséquences politiques graves. En effet, ne touchant plus leurs soldes, les «militaires», les policiers et autres fiers à bras de Fatah ont pris la décision d'entrer en rébellion contre leur propre gouvernement. Aux yeux des cadres du Fatah, le responsable du «coup de Jarnac» perpétré par les Européens et les Américains contre le peuple palestinien, ce n'est ni l'Occident ni Israël, mais leur gouvernement qui est issu d'une Assemblée parlementaire élue par les Palestiniens ! On est là en présence d'un cas typique de schizophrénie paranoïaque, maladie assez fréquente malheureusement chez les politiques arabes ! Alors que tout le monde sait d'où vient le mal, on se défoule sur ses propres semblables ! Le fait est qu'à la suite de ces graves injustices et après tant de manœuvres sournoises pour déstabiliser et isoler le parlement et le gouvernement hamas, des violences inter-palestiniennes ont fini par éclater et le sang a coulé en abondance, dans les camps chez les pro et chez les anti-Hamas. Les Palestiniens de Gaza comme ceux de la Cisjordanie ont, en outre, vu se commettre sous leurs yeux sinon un coup d'Etat pur et simple, du moins un stupéfiant «coup de théâtre». En effet, et comme pour couronner le tout, le président Mahmoud Abbas avait décidé de démettre le Premier ministre Ismaël Haniyeh pour le remplacer par un homme du clan de Fatah. Le Conseil national législatif ne pouvant se réunir ni fonctionner normalement par le fait d'Israël comme je l'ai dit indiqué ci-dessus, le nouveau gouvernement, composé «de copains et de compères», s'est mis au travail sans investiture parlementaire. Il y a des faux frères, même chez les non-barbus ! De plus, je rappellerais que, sauf erreur de ma part, on n'a vu aucun démocrate protester contre la magouille politique et les «combinazioni » des responsables palestiniens, qui ont abouti à priver le peuple palestinien de sa souveraineté. Pis encore, dans cette Palestine «si compliquée», où les gens se débattent «au milieu d'un enchevêtrement de facteurs », le conflit israélo-palestinien, conflit armé qui perdure depuis presque soixante-dix ans, a viré en une guerre civile, tantôt patente et tantôt latente. Se détournant désormais de l'essentiel, qui consiste à libérer un territoire occupé et à le restituer à son peuple, on ne ménage désormais aucun effort, tant en Occident que dans le monde arabe, et bien sûr en Israël et même au sein de la «vieille garde» révolutionnaire palestinienne, pour créer et monter en épingle le conflit «palestino-palestinien», en opposant la Cisjordanie à Gaza, l'Autorité palestinienne aux élus palestiniens, les démocrates aux islamistes, les laïcs aux religieux, etc. Il y a des faux frères partout ! Le tout se déroule bien évidemment à la satisfaction non dissimulée de ceux qui sans vergogne se prétendent les «vrais amis» de la Palestine. De plus et afin que la tension ne baisse pas entre les Palestiniens d'une part et entre les Arabes et les Palestiniens d'autre part, des spécialistes en coups tordus fomentent de temps à autre, ici et là, quelques tueries fratricides. On ne peut pas à ce propos ne pas rappeler que c'est dans cette partie du Proche- Orient, appelée Terre Sainte, que fut commis le fratricide inaugural, en l'occurrence l'assassinat d'Abel par son frère Caïn. L'humanité ne finira d'expier cet horrible fratricide que lorsque «l'œil d'Abel cessera du fond de la tombe de fixer Caïn». Il ne faut pas non plus oublier que Tsahal est intervenue à plusieurs reprises et avec force contre Gaza ; elle y a chaque fois laissé derrière elle, beaucoup de morts et encore plus de ruines. Les images que les télévisions du monde dit civilisé diffusent à ces occasions sont sélectionnées et passées de façon aussi furtive que possible ; il s'agit pour ces médias d'éviter que les téléspectateurs ne soient pris de pitié pour les victimes de ces boucheries et dévastations à répétition. A force de le répéter, à tous les niveaux et dans toutes les enceintes internationales, tout le monde finira bien par comprendre que ce que fait Israël, elle a le droit de le faire. Qu'elle occupe des territoires qui ne sont pas les siens, qu'elle annexe des terres agricoles privées, qu'elle bombarde tout ce qui bouge, qu'elle enlève et qu'elle séquestre des gens par paquets entiers, qu'elle dévaste des villes et des villages arabes : on nous le répète sans cesse de Washington, de Paris et de Berlin et de bien d'autres capitales, «Israël ne fait qu'exercer son droit de légitime défense» : c'est quasiment un droit divin ! Les Palestiniens n'ont qu'à bien se tenir ! Mais ce qui fait le plus mal, ce sont les déplorables «contre-sens» et «hors sujets» que commettent certains, qui sous prétexte de traiter de la question palestinienne, voire de compatir avec les malheureux Palestiniens, s'en prennent outrageusement aux Arabes et à l'Islam, donnant ainsi du grain à moudre aux anti-Arabes et aux islamophobes. Rien qu'avec les titres récents de certains journaux et quelques «morceaux choisis» extraits d'articles de presse, on est en mesure de composer un épais «bêtisier». Pour conclure sur une note humoristique, voici trois titres qui me paraissent dignes de figurer dans un tel bêtisier. Le premier est ainsi rédigé : «Gaza bombardée, les pétromonarchies continuent à détruire la Syrie !» ; on se perd en conjectures sur l'amalgame qui y est ainsi fait entre la lutte de libération menée par les Palestiniens contre l'occupant israélien d'une part, et la révolution syrienne contre le régime despotique de Damas, d'autre part. Dans le second titre proposé, on semble découvrir la duplicité de l'Occident, car il y est écrit qu'à : «Gaza : l'hypocrisie internationale mise à nu». Excepté les demeurés, les lecteurs les moins politisés savent que les «faiseurs d'opinions », les médias et les observateurs politiques, sont eux aussi remplis de faux culs ! Mais la médaille de la bêtise est à attribuer au quotidien français Le Figaro qui a publié le 17/11/2012, un article sous le titre : «La galaxie djihado- islamiste qui menace Israël» ; tout est dit dans ce titre : le choc des civilisations est en marche, et Israël est le bouclier de l'Occident chrétien contre l'Islam envahisseur et barbare. La droite française, en se lavant de son antisémitisme légendaire, proclame ainsi haut et fort son islamophobie : c'est pathétique.