Algérie

Pain subventionné Comment lutter contre le gaspillage


Pain subventionné Comment lutter contre le gaspillage
Publié le 12.12.2022dans le Quotidien l’Expression
Par Mahmoud Chaabane*

C'est souvent, selon la conjoncture et les circonstances, que certains responsables en panne d'arguments et de solutions pour juguler l'intolérable gaspillage du pain qui choque tout le monde, assènent via des médias, des données chiffrées pour souligner l'importance de ce gaspillage par les citoyens traités au passage de gaspilleurs d'une denrée rare importées moyennant devises. C'est aussi une occasion pour ces derniers de stigmatiser copieusement les braves étudiants (les étudiants et les moutons occupent selon leurs détracteurs, le hit-parade des gaspilleurs de pain) accusés par-là même d'avoir perdu le sens des valeurs culturelles et civiques qui faisaient la fierté de nos aïeux.
Pourtant, tout un chacun sait que les damnés de la chaîne quotidienne du pain ordinaire subventionné, comme son compagnon d'infortune le litre de lait reconstitué, que certaines personnes qui ne vivent pas chichement regardent avec mépris, savent par expérience, que s'ils ne prennent pas le pain ordinaire à l'heure de le consommer, il devient immangeable, indigeste, ceci d'une part et d'autre part, il est souvent introuvable le restant de la journée.
Cette réalité criarde vécue et déplorée au quotidien par les citoyens m'amène à poser les pertinentes et incontournables questions suivantes:
Pourquoi une baguette de pain faite de farine de blé tendre sur trois échouerait dans la poubelle et ce au mépris de notre culture qui proscrit tout acte de jeter de la nourriture? Un chiffre que connaît d'ailleurs, tout le monde. On l'aura remarqué, une nette augmentation surréaliste durant le mois sacré du Ramadan marqué, hélas, par une coûteuse frénésie consumériste qui laisse tout le monde pantois.
Pourquoi la baguette de pain dite «la parisienne», est jetée si elle n'est pas consommée dans les heures qui précèdent sa cuisson?
Pourquoi nos incontournables plats nationaux préparés avec amour, le couscous et le métlou3, pour ne citer que ces deux mets, faits à base de semoule de blé dur essentiellement et d'orge, n'échouent jamais dans nos poubelles?
Pourquoi la création de boulangeries, rarement le fait de maîtres boulangers bien formés et jaloux de leur profession et exigeants, recourant essentiellement à une main-d'oeuvre formée, ne proposent que très rarement du métlou3 (galette)? Pour ne pas dire pas du tout!
En filigrane de ce questionnement, il est loisible de comprendre pourquoi des moutons des hautes plaines nourris jusqu'à un passé récent, aux herbes et chih transformés en viandes parfumées, goûteuses et sans graisse insipide qui agresse le palais, sont nourris de baguettes de pain dites «la parisienne», un sacrilège que nos authentiques éleveurs amoureux de leur dur métier ne digèrent pas. Et à force d'être nourris de ce pain dont regorgent les poubelles, nos moutons sédentarisés, avachis, ne ruminent plus.
Tout un chacun sait qu'un marché informel consistant a détourné à des fins de spéculation une partie de la farine de blé tendre subventionnée s'installe allégrement autour de cette dernière destinée originellement à la panification du pain ordinaire vendu à un prix réglementé pour soutenir le pouvoir d'achat des citoyens. Les auteurs de cette action répréhensible utilisent sans état d'âme la farine détournée de sa destination originelle pour préparer des baguettes de pain dit amélioré (sans en afficher les améliorations supposées apportées), des croissants, de la pâtisserie dite occidentale... vendus à des prix libres.
Pour ce faire, des boulangers dénués de scrupules ont recours à une pratique qui consiste à réduire la production de pain ordinaire pour écouler leur pain dit amélioré fait, bien entendu, à base de farine de blé tendre subventionnée, et présenté sous différentes formes et appellations fantaisistes (exemple; baguette de pain scoubidou). Alléchés et insatiables qu'ils sont, cette action frauduleuse permet à cette faune de fraudeurs d'engranger sur le dos du consommateur et du Trésor public de consistantes indues plus-values.
Il serait sage de reconnaître que la nécessaire décision des pouvoirs publics de subventionner la baguette de pain parisienne ordinaire, d'administrer avec les yeux fermés et les bras croisés le prix de celle-ci, faite de blé tendre importé essentiellement, au détriment du métlou3 national, au demeurant très apprécié pour ses qualités diététiques et organoleptiques, offre un terrain gazonné favorable à ces insatiables brouteurs de deniers publics et booste l'importation de ce produit agricole de base.
Les solutions existent. Elles relèvent tout simplement du bon sens paysan basé sur l'observation de ce qui l'entoure, le besoin de comprendre pour agir efficacement, le ressenti, l'instinct de protection du vivant et la lecture des comportements... Naturellement, le paysan refuse d'être assez crédule pour se laisser entraîner par le discours qui consiste à dire que l'ennemi d'hier qu'il avait de surcroît humilié, se comporterait en bon samaritain au point de partager avec lui le progrès pour améliorer la rentabilité de son exploitation et lui fournirait, si besoin, ses semences, ses intrants... et sa pitance. Ce piège tendu, visant à faire de lui un «tube digestif», une «cigale», lui qui a toujours était «fourmi», est inopérant pour tout paysan qui se nourrit fièrement du fruit de son labeur et de la sueur de son front. Partant de là, il est permis d'affirmer et même de soutenir que le retour à la normale, passe par une politique hardie et volontariste visant à:
Réinstaller la culture ancestrale de blé dur dans ses zones de prédilection jusque-là «squattées» par ce blé tendre envahissant, de surcroît néfaste à la santé des citoyens, pour augmenter substantiellement la production de la semoule de blé dur utilisée pour manufacturer des pâtes alimentaires, rouler le couscous, pétrir du metlou3.
Ne plus soutenir la farine de ce blé détournée au profit de produits spéculatifs à forte valeur ajoutée, particulièrement les pâtisseries, les croissanteries et les pizzérias. Pour ceux qui tiennent à leur «parisienne», il y a lieu de les rassurer en leur disant qu'une baguette faite avec un mélange subtil de semoule de blé dur et de son (pain complet) de meilleures qualités diététiques et gustatives, ferait mieux l'affaire.
Prendre sérieusement et nécessairement en considération les raisons médicales, économiques, politiques, culturelles, civilisationnelles, agronomiques... qui requièrent la réduction drastique de l'usage de la farine de blé tendre produit localement ou importé.
Élaborer et mettre en oeuvre les mesures et les mécanismes appropriés pour permettre à notre métlou3 national de reconquérir sa place injustement spoliée par la «parisienne».
Parmi ces mesures, il y a lieu de citer, à titre indicatif, la nécessité de subventionner en lieu et place de la farine de blé tendre, la semoule destinée à la manufacture des pâtes alimentaires et la panification du métlou3, ces aliments de base de la population, d'en fixer les prix publics pour protéger le pouvoir d'achat des citoyens.
Mettre en place une réglementation appropriée rendant obligatoire la déclaration de la composition de chaque produit alimentaire manufacturé destiné à la vente de manière à mettre ainsi fin à la «chimisation» débridée des produits de boulangerie et de pâtisserie, qui dénature la qualité gustative des produits alimentaires de large consommation, et génère des conséquences préjudiciables à la santé des citoyens.
À travers la mise en oeuvre de ses propositions, éventuellement enrichies par les pouvoirs publics, il est attendu, à l'évidence, de mettre de l'ordre dans ce segment vital de notre économie nationale au demeurant extrêmement sensible qui nous concerne tous. Et c'est aussi une façon salutaire de protéger la santé et le pouvoir d'achat des citoyens et de les soulager de ce rendez-vous quotidien avec l'humiliation, les vexations, les chaînes interminables entretenues sciemment par certains commerçants, de réduire à sa plus simple expression le gaspillage de cette précieuse denrée alimentaire, de permettre au blé dur de reconquérir sa sole de prédilection et de réaliser des économies substantielles en devises et en dinars. Le but ultime étant la réalisation de l'indépendance alimentaire sécurisée du pays et son corollaire le renforcement de la souveraineté nationale.
*Agronome

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