Algérie

Ouzellaguen se remémore ses années de gloire Ce lieu historique a accueilli le congrès de la soummam le 20 août 1956



Ouzellaguen se remémore ses années de gloire                                    Ce lieu historique a accueilli le congrès de la soummam le 20 août 1956
On ne peut raisonnablement évoquer ce lieu historique sans se référer à l'événement majeur qu'il avait abrité un certain 20 août 1956, en l'occurrence le Congrès de la Soummam, acte fondateur de l'Etat algérien moderne et pilier déterminant pour la réussite de la révolution algérienne, où y avaient siégé ses grandes figures.
Sans nul doute, Ouzellaguen fut, ce jour béni, à la hauteur de l'événement. Ce souvenir immuable est à jamais gravé dans la mémoire aussi bien des habitants de la région que celle de tous les Algériens. Aujourd'hui, pour commémorer le cinquantième anniversaire de l'indépendance, l'association Horizon, ayant son siège à Ighzer Amokrane et animée par de jeunes et dynamiques enfants de la région, a pris l'heureuse initiative d'organiser une rencontre filmée, rassemblant des témoins et des acteurs sur le lieu où fut implanté l'hôpital militaire de l'ALN. Ont répondu présents à l'aimable invitation : Arab et Fatma Bendellali, le couple propriétaire de l'édifice qui avait spontanément mis à la disposition du service de santé de l'ALN non seulement sa maison, mais aussi leur personne ; Arab Agsous, responsable régional des services de santé ; Abdelmadjid Azzi responsable du secteur de santé d'Ouzellaguen et Mahmoud Kemiche «Bonarete», un aide infirmier originaire du village d'Aït Chilla.
Ont été également conviés, Ali Touahri «Ali N'Fournane», chef du nidhame du village de Fournane, et Aznague Ahmed, un moudjahid du douar. Le responsable de l'organisation des moudjahiddine de la commune d'Ouzellaguen, Hocine Medjkoune, était aussi présent sur les lieux, en tant que témoin, puisque lui-même avait été soigné dans cet hôpital, et aussi en sa qualité de coordinateur de l'Organisation nationale des moudjahidine de la kasma d'Ighzer Amokrane. Dans une courte allocution, Hocine Medjkoune a remercié les illustres invités pour leur importante présence, avant de donner le thème de cette rencontre souhaitée depuis longtemps par les moudjahidine, mais surtout par les jeunes d'Ouzelaguen qui désirent entendre la vraie histoire de leur commune racontée par les véritables acteurs. Ce retour sur le passé est considéré comme une thérapie par les nouvelles générations, qui méconnaissent la contribution importante dont avait fait preuve la population héroïque du douar, et qui fut vouée aux pires sévices pendant la dure et effroyable guerre. M. Medjkoune a également exprimé sa fierté en témoignant de la compétence des deux responsables présents pour les soins prodigués lorsqu'il avait reçu une méchante blessure qui l'avait immobilisé pendant longtemps.
Tour à tour, Arab Agsous et moi-même confirmions notre présence sur les lieux, l'objet de notre mission : la supervision du fonctionnement des hôpitaux de la région (Igram, Ivehlal et Ouzellaguen), et les soins prodigués aussi bien aux combattants qu'à la population civile. Nous rappelons que le service de santé avait d'abord installé son premier hôpital au village de Chehid, avant qu'il ne soit déplacé quelque temps après au village d'Aït Chila et plus tard à Tighilt El Kelaâ, au domicile du couple Bendellali, qui mérite tous les hommages en raison de son courage et sa totale disponibilité, et qui a vécu, avec nous, les mêmes dangers et subi les mêmes privations. Les Bendellali occupaient une chambre et nous cédant deux autres, dont la plus grande recevait les malades. C'est un endroit discret, retiré du village, situé près d'une clairière au bord du chemin muletier qui mène à Bouchibane. Personne, parmi les passants, ne pouvait suspecter la présence d'un hôpital de l'ALN, alors que des centaines de malades y avaient séjourné et reçu des soins. Nous poursuivons notre récit, en précisant le rôle que nous assumions, les responsabilités qui furent les nôtres à l'égard des malades et blessés admis à l'hôpital de Tighilt El Kelaâ, ainsi que les nombreuses et complexes difficultés rencontrées.
Nous signalons, en outre, l'existence d'un autre hôpital sous terre au lieudit Ouguerguour, dans les jardins en terrasse de Enza, qui font face aux villages dévastés de Semaoune. Cet hôpital a été conçu de manière à abriter une quinzaine de combattants, immobilisés par des blessures graves. Pour cela, il disposait d'un réduit où étaient cuisinés les repas et d'une source d'eau potable captée à l'intérieur même, avant qu'elle ne s'écoule à l'exterieur, dans un bassin où venaient se désaltérer les animaux domestiques. Les malades étaient conduits et admis dans cet hôpital, les yeux entièrement bandés, et n'en ressortaient qu'après une complète guérison. Mahmoud Kemiche ayant débuté avec nous, lorsque l'hôpital se trouvait encore dans son village, à Aït Chila, a apporté son témoignage sur le travail colossal accompli par le service de santé dans le secteur. Il avait appris, sur le tas, les gestes indispensables pour transporter un blessé et la manière de dispenser les petits soins (injection, pansement). L'hôpital de Chehid, où je fus soigné pour une grave blessure reçue pendant mon séjour dans la section de secteur, était dirigé par Lounis Merrar.
C'est dans ce village que, quelques jours après, une femme s'était vaillamment distinguée en me transportant sur son dos, avant de me cacher aux yeux des ennemis, au cours d'une opération de ratissage. C'est aussi dans ce village que fut réalisée la première amputation de jambe réussie, sous anesthésie générale, par une équipe médicale chevronnée et sans la présence d'un médecin en titre. Cette équipe était formée de Hamid Mezaï, Khelil Amrane, Merrar Lounis, Kaci Hassam, Arab Agsous, Mohand Larbi Mezouari et Abdelmadjid Azzi. Le chef nidham du village de Chehid, Abderrahmane Arezki et son épouse, veillaient inlassablement afin que nous ne manquions de rien, jusqu'au jour où les installations furent découvertes par l'ennemi. Par mesure de sécurité, il fallait donc le déplacer au village d'Aït Chila. Hocine Aït El Djoudi, un autre miraculé, raconte les souffrances éprouvées lors de son tragique accident. Ce dernier, atteint gravement au visage par une décharge de chevrotine, témoigne à son tour des soins décisifs prodigués par ces deux «docteurs» qui l'avaient arraché à une mort certaine, vu la gravité de la blessure, dont il porte encore aujourd'hui de profondes stigmates. Quant à Arab Bendellali, très ému par la présence de ses anciens hôtes, confirme avoir effectivement mis sa maison et sa famille au service de l'ALN, en accueillant avec honneur et fierté l'hôpital et ses malades.
Fatma, son épouse, qui préparait les repas et lavait le linge des malades raconte, troublée par l'émotion, les sévices endurés courageusement pendant sa détention. Elle affirme n'avoir à aucun moment ressenti la peur. Confiante et ayant la foi, elle était profondément convaincue que son destin était entre les mains de Dieu. Le chef nidham de Fournane, Ali Touahri, nous rappelle le dur épisode de l'opération «Jumelle», particulièrement lorsque Arab Agsous et moi-même, pour survivre au blocus alimentaire, suivions à la trace les soldats ennemis de manière à ramasser les restes des boîtes de rations, inutilisés et laissés sur place, tels que fromage, sachet de soupe, conserves, etc. que nous destinions à l'alimentation des malades de l'hôpital d'Aguerguour. Ce jour-là, Ali Touahri était parmi nous lorsque, soudain, nous nous sommes trouvés entourés par les soldats ennemis qui avaient bivouaqué dans les ruines du village de Tighilt. Nous avons, néanmoins, échappé de justesse aux tirs nourris grâce au sang-froid dont nous avions fait preuve.
Par ailleurs, il y a lieu de signaler la présence, parmi nous, du vice-président de l'APC d'Ighram, Idir Balit, ainsi que d'Idir Akkouche et de Smaïl Aoudia, membres de l'organisation nationale des enfants de chouhada, venus exprimer leur solidarité à leurs voisins d'Ouzellaguen où tombèrent au champ d'honneur de nombreux djounoud originaires de leur commune. Cependant, il faut reconnaître à l'actif du service de santé de l'ALN, dans cette région comme ailleurs, des prouesses et parfois même des miracles méconnus mais que personne n'arrive encore aujourd'hui à expliquer. C'est, à chaque fois, un défi pour affronter les maladies les plus diverses et les blessures les plus compliquées devant lesquelles il ne fallait jamais hésiter ni montrer une quelconque faiblesse, le prestige de l'ALN étant en jeu. De toute évidence, et nous le disons sans forfanterie, l'équipe médicale de l'ALN fut, dès lors et très souvent, capable, à des conditions identiques, d'égaler, dans certains cas, les meilleurs chirurgiens.
Je n'oublierai jamais que c'était à proximité du village de Bouchibane, pendant l'opération Jumelle, que fut abrégée cette prodigieuse épopée en tombant, ce jour-là, entre des mains ennemies à cause de la reddition d'un officier de l'ALN. L'explosion de la grenade offensive introduite dans l'abri, où étaient entreposées, faute de munitions, deux mitrailleuses MG 42 et que l'officier félon était venu chercher comme gage de sa loyauté, entraîna, inévitablement, la mort de l'aspirant Lounis Merrar et m'occasionna des blessures. Belkacem Djerroud «Behouasso» fut, lui aussi, en ce jour funeste, victime de cette opération qui avait mobilisé des centaines de parachutistes.
Tous ces souvenirs inoubliables, qui remontent à cinquante-quatre ans, nous ont profondément marqués au fer rouge. Ils prouvent l'engagement manifeste et indéfectible des habitants de ce douar et leur solide attachement aux valeurs prônées par la révolution en faisant preuve d'abnégation et en sacrifiant leurs biens et le plus souvent leur vie pour l'indépendance et la liberté. Les moments de gloire indicibles que nous avons vécus dans cette commune, au milieu de ces 14 villages entièrement détruits et leurs habitants voués au sinistre camp de regroupement. Les grandes batailles dont elle fut le théâtre sanglant, ses martyrs qui reposent au panthéon de l'Histoire, sont une grande fierté pour l'Algérie. Ces montagnes majestueuses qui, en ce temps-là, renvoyaient l'écho du bruit du canon et le fracas des bombes, ont constitué un rempart infranchissable en empêchant l'armée coloniale de réaliser ses sinistres desseins. Si Ouzellaguen fut, manifestement, le lieu de prédilection des chefs de l'ALN, dont quelques-uns, des héros, y avaient perdu la vie dans des batailles mémorables, il avait aussi vu naître de nombreux combattants et des chefs prestigieux. Sa longue Histoire est jalonnée de faits de guerre héroïques au point d'être, à eux seuls, en mesure de remplir des dizaines de manuels.


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