Ouverture démocratique rime souvent avec excès. Les débordements les plus
visibles sont, comme souvent, l'Å“uvre d'islamistes radicaux qui justifient, par
l'absurde, la légitimité des régimes autoritaires antérieurs.
Cela se passe dans le fameux «Sa'id», cette
Egypte du sud, réputée fruste et arriérée. Une église est incendiée, et
l'administration locale de la province ne semble pas faire preuve d'un zèle
particulier pour rechercher et punir les coupables. La communauté copte, exaspérée
par ces incendies à répétition, organise une manifestation, qui dégénère.
Le reste est connu : 25 morts, 200 blessés, et des doutes sérieux sur la
nature des incidents. Des éléments armés ont provoqué les militaires, qui
auraient riposté de manière aveugle. Le chef de la communauté copte lui-même, Chenouda III, affirme qu'il y a eu provocation de la part
d'éléments infiltrés dans la manifestation. Qui sont ces éléments infiltrés ? Services
spéciaux ? Eléments de l'ancien régime ? Islamistes radicaux voulant déclencher
une guerre sainte ?
La situation est, en tout cas, suffisamment explosive pour pousser la premier ministre égyptien Issam
Charaf à tirer la sonnette d'alarme. L'Egypte est en
danger, dit-il. Et pour donner des gages à la communauté copte, un homme, condamné
à mort pour le meurtre de fidèles coptes en 2010, a été a été pendu
cette semaine.
Plus à l'est, en Libye, on parle aussi de religion. Il y est notamment
question de la restauration d'une synagogue, opération décidée par un juif
libyen revenu au pays à la faveur des bombardements de l'OTAN, peut-être aussi
encouragé par le militant sioniste Bernard Henry-Lévy,
qui a accompagné Nicolas Sarkozy lors de sa visite en Libye
La décision est vivement contestée, et une foule s'est massée dans la
zone concernée pour exprimer son refus envers cette décision, provoquant un
début d'émeute. Les islamistes, très présents dans différentes structures du
CNT, n'ont pas encore arrêté une position définitive dans cette affaire de la
synagogue. Ils savent qu'ils sont encore totalement dépendants d'un occident
très pro-israélien. Il y a cependant fort à parier
que le ressentiment anti-israélien, très répandu dans les sociétés arabes, reprendra
le dessus dès que la situation sera normalisée. A moins que la situation
n'évolue de manière beaucoup plus grave : des wahabites,
près de 200, semble-t-il, lourdement armés, ont attaqué une mosquée à Tripoli
même, et y ont détruit tout ce qui s'apparente, selon eux, au soufisme. Ils ont
notamment saccagé les tombeaux de deux saints vénérés dans cette mosquée
traditionnelle.
En Tunisie, c'est une chaine de télévision, «Nessma», qualifiée de moderniste, qui a été attaquée par
des centaines d'islamistes à majorité salafiste. Ceux-ci
protestaient contre la diffusion d'un film iranien, jugé blasphématoire. Il a
fallu l'intervention de la police pour protéger le siège de la chaine de télévision. Mais la Tunisie a basculé sur les
plans politique et psychologique. De pays de la révolution du jasmin, installé
dans une certaine euphorie, elle est passée au statut de pays où les islamistes
radicaux imposent publiquement un climat de menace permanent au sein de la
société.
En Egypte, comme en Tunisie et en Libye, théâtres de bouleversements
majeurs, les plus importants depuis des dizaines d'années, des crispations
liées à la religion menacent la transition vers un nouveau système politique. Après
avoir poussé vers la sortie Zine El-Abidine
Ben Ali et Hosni Moubarak, après avoir contraint Maammar
Kadhafi à opérer une retraite désespérée, ces pays redécouvrent un élément
central sur lequel bute la transition dans le monde arabe et musulman : la
religion.
Celle-ci a servi de moteur à certaines étapes historiques, notamment au
moment de l'éveil nationaliste, durant la première moitié du vingtième siècle, avant
de prendre progressivement un autre contenu, pour se transformer en un facteur
de crispation identitaire. Ceci a naturellement ravivé les autres sentiments
identitaires : face au musulman, s'est réveillé le copte, le chrétien maronite,
le chrétien orthodoxe, mais aussi le kurde, le chiite, le berbère, etc.
Il serait faux cependant de lier les incidents liés à la religion aux
seuls pays qui vivent une révolution démocratique, comme la Tunisie, l'Egypte et la Libye. En fait, le
phénomène est très étendu. En Palestine, une mosquée a été brûlée cette semaine
encore, sans provoquer de réaction particulière de la part des autorités
israéliennes, ni ailleurs dans le monde d'ailleurs. Mais ceci est d'une grande
banalité car, en Palestine, toutes les violations sont permises, à une seule
condition : que les palestiniens en soient les victimes. On peut y profaner les
tombes, dans des cimetières chrétiens ou musulmans, ou détruire les lieux de
culte. En toute impunité.
En Irak, pays supposé vivre une transition vers une démocratie importée
dans les chars, une guerre ouverte oppose Chiites et sunnites. Une guerre atroce,
dans laquelle une faction est portée à bout de bras par les occupants, qu'il
s'agisse des américains, qui occupent le pays militairement, ou des Iraniens, qui
en assurent la gestion en sous-main.
C'est dire si le facteur religieux reste prépondérant dans ces sociétés. Mais
dans une phase aussi fragile que la transition, où le moindre accroc risque de
détruire le projet, les crispations religieuses et identitaires deviennent un
handicap parfois insurmontable : c'est l'islamisme politique qui a joué un rôle
central dans l'échec de l'expérience de démocratisation algérienne. Vingt ans
après le dérapage algérien, on a l'étrange sentiment que ce scénario se répète
méthodiquement dans les autres pays de la région.
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Posté Le : 17/10/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com