Algérie

Ouverture aujourd'hui du séminaire «Repenser l'Université» : Les préoccupations des universitaires



Aujourd'hui s'ouvre à l'IGMO, de l'Université d'Es-Senia, un séminaire portant l'intitulé «Repenser l'Université» et organisé par la Faculté des sciences sociales.
A la dernière minute, nous apprenons que ce séminaire va être inauguré par Mme Souad Ben Djaballah, ministre délégué chargée de la Recherche scientifique. Nous avons profité de la tenue de cette manifestation scientifique pour faire parler quatre professeurs. A chacun d'eux nous avons posé une seule question coïncidant avec son champ d'intérêt. Nous relevons l'humilité de certains d'entre eux, érigée en règle de conduite du chercheur.
Le Quotidien d'Oran: Vous travaillez depuis de nombreuses années sur l'université. Est-ce que vous estimez qu'un sérieux « état des lieux » de l'université algérienne doit être entrepris et en extrême urgence ' Qui doit l'organiser et qui doit y participer '
Le Pr Djamel Guerid : La chose à entreprendre n'est pas l'état des lieux de l'université seule mais celui du système d'enseignement dans son ensemble. Mais cet état des lieux ne peut avoir de pertinence que s'il est compris comme la première étape d'une réforme profonde devenue impérieuse. En raison du décalage école-société en Algérie et du décalage école algérienne-école internationale. Il s'agit alors de mettre l'école en adéquation avec nous-mêmes et avec notre environnement international marqué par les avancées de la démocratie, du savoir et de la technologie.
Dans les pays démocratiques, c'est une commission nationale composée de représentants de toutes les parties prenantes de la société qui propose un projet de réforme. Cette commission formée de membres au dessus de tout soupçon ne se réduit pas aux seuls spécialistes et sa tâche première est l'analyse de notre propre expérience comme les expériences des autres mais aussi la consultation et l'audition du plus grand nombre. La Commission Attali, par exemple, avait élaboré un rapport dont l'essentiel a été repris pour la fondation de l'université européenne.
En ce qui concerne l'enseignement supérieur, il est important de nous entendre d'abord sur l'idée d'université à promouvoir et sur l'université concrète à construire. C'est ce qui a existé avec la réforme Benyahia (1971) et c'est ce qui a manqué avec l'expérience LMD.
En Europe même, il faut savoir qu'il y a eu affrontement sévère entre les universitaires et les entrepreneurs et ce sont évidemment les entrepreneurs qui ont gagné c'est-à-dire qui ont imposé l'université de leurs intérêts. Il était évident, dès le début, que ce système ne pouvait nous convenir.
La conception universitaire, par contre, pouvait constituer pour nous une source d'inspiration d'une grande fécondité. De par son universalisme et son humanisme. En 1988, se sont réunis à Bologne, la ville qui a vu naître la première université du monde occidental (1088), environ 400 recteurs européens qui ont élaboré la Grande Charte des Universités. Dans cette charte, l'université est définie comme cette instance autonome qui, de manière critique, transmet la culture et le savoir à travers l'enseignement et la recherche. Deux conditions sont donc posées : l'autonomie et l'exercice de l'esprit critique. C'est dire que l'université est d'abord et avant tout affaire de société.
Q.O.: L'université algérienne vous doit l'introduction d'une discipline n'existant nulle part ailleurs : l'anthropologie de la santé. Au bout de vingt ans de recherches, combinant le travail de terrain à la théorie, couronnés par une reconnaissance de certaines organisations mondiales (OMS entre autres qui a sollicité votre expertise), est-ce que vous avez au moins l'impression que les pouvoirs publics en Algérie, à commencer par le ministère de la Santé, prennent connaissance des résultats des travaux de votre laboratoire '
Le Pr Mohamed Mebtoul : Quel que soit le champ de la recherche, la santé ou autre, il me semble que la modestie et l'humilité s'imposent pour reconnaitre la complexité des réalités socio-sanitaires, qui restent, malgré vingt ans d'investigations, encore à approfondir et à décrypter de façon encore plus fine et dans une logique de proximité et de longue durée avec les acteurs de la santé (professionnels de la santé, les malades, les associations, etc.). Autrement dit, l'investissement sur le terrain est une exigence fortement sous-estimée parce qu'il est plus aisé de se réfugier dans le conformisme intellectuel et les spéculations. Pourtant, nos savoirs doivent permettre de comprendre et de décrypter les sens profonds des contraintes et des attentes des personnes que l'on considère à tort comme de simples objets de recherche.
La question du rapport universités-institutions économiques et sociales ne peut être appréhendée de façon politique ou volontariste. Elle pose d'autres interrogations : nos institutions locales ou nationales, peuvent-elles réellement formuler sur des bases claires, des demandes sociales en étant d'une part peu autonomes et décentralisées, et en s'enracinant dans une économie rentière ' L'Université est-elle en mesure, en l'absence de travaux d'enquête approfondis, de formuler des problématiques qui répondent aux préoccupations de la société '
Malgré l'intérêt porté au regard anthropologique sur la maladie, la santé et la médecine, par une minorité de responsables sanitaires, depuis une dizaine d'années, en raison de la crise et de la fragilité du système de santé, les sciences sociales, de manière générale, représentent la petite cerise sur le gâteau, très peu intégrées dans les préoccupations des pouvoirs publics qui restent accrochés à l'urgence, à la paix sociale et à la reproduction à l'identique du fonctionnement de nos structures de soins. Pourtant, il semble essentiel de donner la priorité aux sciences sociales, particulièrement, quand on observe la crise de sens, l'absence de perspectives caractérisant les professions de santé, qui conduisent les acteurs à se focaliser sur la dimension strictement technique et médicale, alors que la crise est sociale, politique et relationnelle.
Q.O.: Parallèlement à votre carrière d'enseignant universitaire, vous êtes un expert international qui a tissé des relations étroites avec les managers des entreprises publiques et privées. Est-ce que vous estimez que la formation dispensée par l'université algérienne est en adéquation ou non avec la demande de l'entreprise en matière de compétence et de savoir-faire '
Le Pr Mohamed Bahloul : Il y a un constat général de plus en plus partagé par les entrepreneurs, les experts et les régulateurs: l'offre de ressources humaines répond de moins en moins à la demande des entreprises. C'est un point faible qui revient dans toutes les évaluations du climat d'affaires en Algérie. Il est fortement corroboré par les rapports de mise à niveau des entreprises publiques et privées. Les chefs d'entreprises, en particulier ceux du secteur privé, portent un jugement souvent plus sévère sur la qualité des produits de l'université et manifestent en toute occasion de grandes réserves. Ils parlent de ‘diplômés sans compétences' et mettent en relief l'investissement complémentaire qu'ils sont obligés de consentir pour rendre «opérationnelles» les nouvelles recrues de l'enseignement supérieur. Il faut en effet aujourd'hui de 12 à 18 mois de formation pour les compétences techniques (ingénieurs et techniciens) et de 24 à 30 mois pour les compétences économiques et managériales. Ce qui constitue un coût important que toutes les entreprises ne sont pas prêtes à payer.
Ce constat mérite cependant d'être nuancé. Le paysage universitaire algérien n'est pas uniforme. Il y a une diversité de l'offre qui se dessine à l'horizon. Les dynamiques concurrentielles se libèrent progressivement et des stratégies se mettent en place, timidement mais sûrement, pour se différencier et offrir des produits de qualité. Il en est de même du côté de la demande qui tend à intégrer le principe de transformation des connaissances (transmises par l'université) en compétences et à prendre en charge les conséquences en terme de construction de modèles de gestion des ressources humaines (GRH) et de budgets adaptés. Les grands groupes publics comme la Sonatrach, la Sonelgaz, etc. savent le faire depuis longtemps et réussissent à mieux capter et valoriser le potentiel de ressources humaines qu'offrent les universités algériennes. Il en est de même des grands groupes étrangers qui font de la sélection recrutement et de la formation la clé de voûte de leur démarche GRH. Certaines PME privées suivent le même cheminement. Ce n'est pas le cas de la masse critique des PME en Algérie qui, pour des raisons de coûts, d'organisation et de management ne disposent pas des mêmes atouts pour s'engager dans la même démarche. Ceci dit, le défi d'amélioration de la qualité des ressources humaines dans notre pays reste entier du côté de l'université comme du côté des entreprises et des pouvoirs publics.
Q.O.: Vous êtes enseignant et syndicaliste, puisqu'après votre départ du CNES vous venez de mettre sur pied une nouvelle organisation appelée «Solidaires». Quel peut être l'apport du syndicat à l'université dans une période de crise multidimensionnelle '
Le Pr Kaddour Chouicha : Tout d'abord deux précisions :
- La première pour préciser que c'est la majorité des sections CNES qui ont mené la grève de 2006 contre l'appareil du CNES qui a décidé de mettre sur pied une nouvelle organisation syndicale.
- La deuxième concerne le fait que notre choix du mot « solidaires » indique que nous pensons et espérons voir les enseignants universitaires être partie prenante et solidaires non seulement à l'intérieur de l'université mais aussi en dehors vu justement la crise multidimensionnelle que traverse le pays.
Pour ce qui est de l'apport de ce nouveau syndicat à l'université algérienne, nous espérons faire en sorte que la primauté revienne au scientifique et au pédagogique au sein de l'université algérienne car actuellement il y a une hégémonie de l'administratif même si c'est une particularité de ce secteur, ce sont des enseignants qui font l'ossature de l'administration.
L'intervention du syndicat se déclinera suivants trois axes :
1) Le premier est la défense des intérêts moraux et matériels des enseignants et des autres composantes de la communauté universitaire et ce en intervenant sur les conditions sociales dans lesquelles se déroulent les pratiques des différents intervenants. A cet égard nous espérons voir s'installer de nouveau une ligne syndicale revendicative et démocratique qui sera un contre-pouvoir nécessaire si l'on veut libérer les initiatives et les volontés au sein de l'université algérienne.
Il reste à souligner que si la prise en charge reste nécessaire, l'expérience du CNES montre que cela est insuffisant dans un pays comme le nôtre qui considère les salaires et autres revenus comme une partie de la rente et non pas comme la contrepartie d'un travail.
2) C'est pourquoi le deuxième axe consistera à redonner la priorité à l'activité scientifique et pédagogique en libérant l'université des liens de cooptation et de clientélisme qui se sont installés et en remettant à l'ordre du jour la rigueur dans le travail et le respect de l'éthique qui manquent tellement au sein de l'université.
Le pays est orphelin d'une réflexion sérieuse sur la place et le rôle de l'université (pas seulement l'université) et de son articulation avec le secteur économique (qui lui-même est complètement désarticulé). A l'heure où le secteur de l'éducation (en particulier l'enseignement supérieur) est vu comme une marchandise, nous prônons une autre vision du rôle et de l'utilité de l'éducation en général et de la recherche en particulier. Nous pensons qu'il y a lieu d'interroger sérieusement l'option qui est faite de lier la formation aux besoins d'un type de gestion économique, il y a lieu de revenir sur l'introduction du système LMD sans réflexion ni concertation et de ses retombées maintenant claires et évidentes sur la reproduction d'une élite culturelle (la culture étant prise ici comme appropriation de connaissances qui sont désignées comme savantes jusqu'à présent parce qu'elles n'ont pas été intégrés par la majorité de la population).
3) Enfin un troisième axe qui même s'il se déploie en dehors de l'université aura un impact sur la place de l'enseignant universitaire et de l'université au sein de la société. Cela parce qu'il est vain d'espérer voir l'université devenir un îlot autonome où ne s'exercera pas la cooptation, le clientélisme et même l'arbitraire au sein d'un pays ravagé par ces maux. C'est pourquoi nous avons décidé d'intervenir sur les questions qui intéressent le citoyen algérien et qui de par leur importance influent sur la configuration de tout le pays et corollairement sur l'université. Nous pensons que les questions d'autonomie des acteurs sociaux, de la séparation des pouvoirs, des droits et libertés, de la corruption ainsi que d'autres doivent être appréhendées par les universitaires.




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