Algérie - Ouenza

Ouenza (Tébéssa) - VILLE MINIÈRE: La pollution a fait des ravages



Ouenza (Tébéssa) - VILLE MINIÈRE: La pollution a fait des ravages


Nous marquons une petite halte à la ville d’El Méridj, située à deux kilomètres des frontières algéro-tunisiennes, avant de se diriger plus au nord dans la wilaya Tébessa, à destination de la ville d’Ouenza, la ville qui abrite la plus vieille mine d’exploitation du minerai de fer en Algérie.

D’un détour à un autre et sous un ciel assombri de poussière, apparaît la première ville minière d’Algérie, dominée par un gigantesque relief en gradins, une carrière à ciel ouvert bordée par d’énorme haldes à stérile. Nous arrivons à l’entrée de cette ville écrasée par le soleil d’un automne chaud. À première vue, elle semble une ville morte, une ville fantôme offrant par ses couleurs ternes un paysage désolant, triste digne du Far West.

À peine arrivés au centre-ville, nous entendons une forte déflagration qui secoue les maisons éparpillées ici là. Très effrayés, on avait cru à un attentat à la bombe? On apprend finalement qu’il s’agit tout simplement d’un tir de mines.

Le premier constat qu’on peut faire de cette agglomération de plus de 100.000 habitants est qu’elle est en pleine extension. De nouvelles cités et des infrastructures de base ont été érigées aux quatre coins de la ville formant un brassage architectural avec d’anciens quartiers coloniaux.

Parmi les curiosités de la ville figurent le quartier Socolon central, une salle de cinéma et cette église transformée en mosquée. De petites villas bâties dans le passé pour abriter les mineurs venus d’Europe, de Tunisie ou du Maroc font leur apparition.

La poussière couleur de fer est omniprésente. On la retrouve sur les infrastructures de la mine, sur les toits des maisons. Même les feuilles des arbres ont perdu leur couleur verte pour s’adapter au décor.

Contrairement à d’autres régions de la wilaya de Tébessa, celle de Ouenza abrite une population cosmopolite et diversifiée qui fait d’elle une ville dynamique et ouverte. Mais à l’instar des autres villes de cette wilaya, située à l’extrême Est de l’Algérie, elle s’enlise dans les difficultés par l’inexistence d’infrastructures génératrices d’emplois et le manque criant de commodités les plus élémentaires. Sa population est fragilisée par les retombées de la précarité.

Par manque du respect des normes environnementales et la déficience des mesures de protection de la santé humaine, la population de Ouenza est résignée, malade, où 10% de celle-ci est atteint de silicose et d’autres maladies respiratoires à cause des rejets de la mine. Une mine perçue comme une malédiction par cette population laissée pour compte.

- Plus de 10.000 cas de silicose

Au fil du temps, les poussières résultant de l’exploitation du minerai de fer ont causé de nombreux effets sur la santé des habitants de la ville d’Ouenza, notamment les enfants et les personnes âgées. Et les conséquences sont graves. On enregistre ces dernières années une hausse des hospitalisations, mais aussi de nombreux décès.

Mais la maladie qui fait plus de ravages demeure la silicose, une maladie pulmonaire incurable causée par l’inhalation de poussière contenant la silice cristalline libre, selon une pétition signée par une dizaine d’associations activant à Ouenza, envoyée récemment à la présidence de la République. Plus de 10.000 personnes atteintes de silicose ont été enregistrées ces derniers temps dans cette ville.

«J’ai passé plus de 40 ans au service de la mine où j’ai occupé plusieurs postes à commencer par un simple administrateur; et le résultat une atteinte de la silicose depuis des années. En plus de tout cela, j’ai un début de cécité sans doute à cause de la poussière», a fait savoir Youssef, un ancien travailleur à la mine de Ouenza.

«La réduction du couvert végétal est une des causes de cette hausse des émissions de poussière dégagées par l’excavation, le transport du minerai par convoyeur à bande ou les haldes à stériles, le fait de dénuder un terrain favorise l’érosion éolienne», a expliqué un médecin contacté à cet effet.

L’impact de l’exploitation du minerai de fer n’a rien d’anodin. Au fil du temps, des conséquences graves sur la santé sont perceptibles, notamment pour les citoyens vivant à proximité de la mine et du convoyeur à bande.

«Mon père est mort des suites de la silicose; il n’a jamais été pris en charge; cette maladie n’épargne personne, mon père n’a rien avoir avec la mine, il était instituteur», a fait savoir le jeune Abdelmajid rencontré au quartier Socolon.

- Nuisances sonores

Outre la poussière de fer qui se dégage lors des tirs de mine et le chargement du minerai dans les concasseurs qui polluent l’atmosphère, on ajoutera les nuisances sonores diverses suite au mouvement des camions de chargement du fer depuis la carrière jusqu’au convoyeur à bandes, mais aussi au niveau du concassage.

On compte pas moins de 300 camions de gros tonnage qui entrent chaque jour dans la ville de Ouenza pour assurer l’acheminement du minerai de fer vers le complexe sidérurgique d’El Hadjar dans la wilaya d’Annaba.

«Ces camions commencent à opérer depuis 5 heures du matin jusqu’au 18 h, moi qui habite à la sortie de la ville, je n’arrive pas à me reposer chez moi à cause du bruit. C’est invivable», s’est indigné un habitant.

«La question qu’il faut poser est pourquoi le transport du fer se fait par camions, alors qu’avant, l’acheminement du minerai se faisait par train, moins coûteux, et un seul wagon peut transporter la contenance de 5 camions. Qui a intérêt à cela? La question est adressée à la direction du complexe d’El Hadjar», s’est interrogé Bachir Ammari président de l’association Echourouk.

Avant l’arrivée de la multinationale Arcelor Mittal, les mesures étaient respectées.

«Avant on faisait quotidiennement l’arrosage des pistes pour atténuer la montée de la poussière. On respectait à la lettre les mesures de sécurité. Lorsqu’il y a du vent, les tirs de mine et le transport du minerai sont souvent annulés pour éviter que la poussière ne se répande sur la ville», a évoqué notre interlocuteur.

Avec l’arrivée de la multinationale, c’est une course contre la montre pour atteindre une production maximale sans se soucier de la santé de la population d’Ouenza.

«Cela fait plus de sept ans que la mine d’Ouenza est passée dans le giron de l’État, mais la situation environnementale est toujours la même», a ajouté le président de l’association Echourouk.

- Des associations qui bataillent

Des associations continuent à batailler pour améliorer la situation environnementale dans la ville. Plusieurs actions de protestation ont été menées à la carrière et devant la direction des mines à Ouenza, sans résultat. Mais rien n’est perdu pour l’association Echourouk.

«Nous allons continuer notre bataille pour une juste cause et nous finirons par l’emporter», a précisé son président.

Tout le monde se souvient quand deux activistes ont été arrêtés par la police et placés en garde à vue parce que tout simplement ils avaient en leur possession des dossiers sur l’impact environnemental sur la ville et qu’ils allaient remettre à Fatima Zohra Zerouati, alors ministre de l’Environnement et des Énergies renouvelables. C’était dans le but d’établir un statut particulier environnemental pour les zones minières.

Lors de sa visite à Tébessa en août 2018, la ministre de l’Environnement avait déclaré: «Il est temps de parler d’un statut particulier environnemental pour les zones minières; ce qui permettra de cerner les problèmes non d’une manière copier/coller, mais selon les spécificités et l’activité minière de chaque zone».

Un statut qui ne verra pas le jour, et la situation demeure inchangée. Devant ce silence complice des autorités compétentes, la population de la plus vieille ville minière d’Algérie continue à subir les conséquences d’une pollution qui prend de l’ampleur.




Photo archive ajoutée par Akar Qacentina pour illustration: La ville de Ouenza et sa mine (Tébéssa)

Lakehal Samir


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