Algérie

Où allons-nous'



Le peuple a réussi en quelques semaines, ce que les partis avaient échoué à réaliser en 20 ansLes Algériens ont libéré leurs élites, mais ces dernières ne parviennent pas à traduire la volonté du peuple en un projet sérieux et concret. Résultats: après 12 semaines de Hirak, ça coince encore...
Il y a deux jours, les Algériens ont brisé un verrou. Ils ont vaincu les voix qui misaient sur l'effet «démobilisateur» du Ramadhan sur le mouvement populaire. En émergeant dans un débat d'où il était exclu, le peuple a retourné la table sur un système qui se complaisait dans une sorte de «mise en scène». La machine de la présidentielle était lancée, les candidats réunissaient les parrainages. La lutte était au sommet et au sein du système. Cela pour remettre cette révolution dans son contexte historique. A la veille du 22 février 2019, personne n'envisageait le chamboulement qu'allait vivre le pays. Le premier test était déjà un grand succès. Ce fut d'abord une immense surprise. Dans tous les salons, les think thanks et autres instituts stratégiques, en Algérie et dans le monde, l'on ne s'attendait pas à cette irruption populaire qui a rebattu les cartes. Les slogans, la tenue des marcheurs, leur civisme, le caractère pacifique des manifestations, les signes d'un haut niveau de conscience politique... bref, les manifestations du 22 février avaient tous les attributs d'un mouvement organisé et mûr. Une seule revendication traversait les marées humaines: pas de cinquième mandat. Les partis et les candidats qui avaient leurs dossiers de candidature sous le bras et prêts à se rendre au Conseil constitutionnel, se ravisent et prennent le train en marche. Les Algériens ne voulaient pas d'un cinquième mandat pour Abdelaziz Bouteflika, les élites ont suivi. De tergiversation en tergiversation qui recevait la réponse à chaque vendredi, l'ancien président a fini par lâcher prise. Le peuple a réussi en quelques semaines, ce que les partis avaient échoué à réaliser en 20 ans. Un certain 2 avril, Bouteflika démissionnait. Ce fut la preuve que les luttes pacifiques payent. Mais cette deuxième grande victoire après l'annulation pure et simple du 5e mandat, ne constituait pas, pour autant, la fin du système. La barre des revendications est de fait surélevée d'un cran. La prochaine présidentielle ne sera pas organisée par les caciques du système finissant, disaient les Algériens. Les Belaïz, Bensalah et Bedoui, sont de fait, disqualifiés.
La pression populaire a fait démettre le président du Conseil constitutionnel. Ce fut une autre victoire. Mais pas suffisante au regard du mouvement qui agit comme une sorte de «nébuleuse» intelligente. Pas de porte-parole, mais des animateurs qui se gardent d'afficher une quelconque velléité de représentativité, au risque d'être éjectés du mouvement populaire, dont on n'arrive d'ailleurs pas à lui trouver un nom, tellement il s'illustre par son particularisme. Il n'est pas coloré, ni parfumé et encore moins guidé. On lui a collé le patronyme de Hirak, mais sans conviction, car il est immensément plus «volumineux» que l'épisode contestataire du Rif marocain, qui a inspiré cette dénomination.Inclassable, le mouvement populaire est sans direction identifiée, mais se distingue par une cohésion, rarement constatée ailleurs. On peut toujours disserter sur le mystère de la nouvelle révolution algérienne, mais le fait est qu'elle impose son agenda aux décideurs. La lutte contre la corruption et le grand déballage auquel on assiste, ces dernières semaines, est l'une des conséquences directes de la pression permanente qu'exerce le Hirak sur les représentants actuels de l'Etat. Mais les Algériens ne sont pas dupes. Et pour cause, ce n'est pas parce que la justice, qu'ils ont libérée, rouvre des dossiers de détournement de deniers publics que les millions de manifestants ont rejoint leurs foyers. Non, pour le mouvement populaire, l'objectif final n'est toujours pas atteint, tant que les contours de la nouvelle République ne sont pas visibles.
Et c'est justement là où le bât blesse; entre la solution strictement constitutionnelle qui a les faveurs de la présidence de l'Etat et de l'armée, et l'approche politique, qui rend obligatoire une période de transition, l'on n'arrive pas à trouver le juste milieu. La cacophonie, qui résulte de cette mésentente, met le pays dans l'impasse. Les Algériens ont libéré leurs élites, mais ces dernières ne parviennent pas à traduire la volonté du peuple en un projet sérieux et concret. Résultats: après 12 semaines de Hirak, ça coince encore...


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