Algérie

Oran, Santa Cruz, la résurrection



Fleuron de l’architecture militaire de l’époque et gloire du patrimoine d’Oran, le fort de Santa Cruz, bâti par les Espagnols au XVIe siècle pour protéger la ville, retrouve petit à petit son aspect d’antan.

Mieux encore, ce fort sera érigé en musée du vieil Oran, regroupant un centre d’archives algéro-espagnol, des ateliers d’arts et d’architecture et un observatoire d’astronomie amateur. De quoi donner un nouvel essor au tourisme de la région, d’autant que le téléphérique fera son retour prochainement. En cours de restauration par l’entreprise Affou Patrimoine, ce splendide ouvrage de fortification qui surplombe la cité à 400 mètres de hauteur, offrant un panorama unique sur Mers El-Kébir, la ville, les collines du Sahel et la grande Sebkha d’Oran, ressuscite après une longue disette.

Construit par l’armée espagnole, il y a plus de quatre siècles, et restauré par les militaires français, de 1854 à 1860, ce fort qui a survécu aux nombreux avatars du temps, dont le puissant tremblement de terre qui frappa Oran en 1792 et qui fit quelque 2.000 morts, était menacé et appelait à une restauration. Des dizaines de pierres taillées ont été tronquées du monument par des pilleurs pour servir de matériaux de construction à des maisons érigées à flanc de montagne et tant d’objets authentiques ont été volés. Le fort, peu protégé, voire délaissé par les autorités durant la décennie noire, a été endommagé et dépouillé par les pillards et les saboteurs, en dépit des appels pressants lancés par Bel Horizon, une association qui oeuvre depuis des années pour la sauvegarde et la réhabilitation du patrimoine historique et qui a néanmoins limité les dégâts par ses multiples campagnes de sensibilisation et de volontariat, mais aussi à travers son ingérence positive dans toutes les affaires qui concernent le fort de Santa Cruz en vertu de son statut d’association domiciliée dans ce fort.

La décision salvatrice est enfin venue: l’Etat accorde 3 milliards de centimes pour la restauration et la mise en valeur du fort. Affou Patrimoine, un restaurateur réputé par son expérience et sa compétence technique confirmée dans le domaine, sera retenue pour l’exécution du projet, dont le délai contractuel a été fixé à 18 mois. Les qualifications de l’entreprise (une centaine de certificats de bonne exécution: restauration de l’ancien hôpital de Ghardaïa, barrages et systèmes de partage des eaux, rempart de Beni-Esgen, marchés traditionnels de Ghardaïa, Beni-Esgen et Mlika, passage Couve, façades du centre-ville El-Atteuf, restauration d’anciens immeubles à Alger, etc., sans oublier de nombreux projets BTP) ont pesé lourd dans la soumission du fort de Santa Cruz.

Mars 2006, la forteresse se transforme en chantier où chaque petit recoin est passé au peigne fin par les restaurateurs. Mais la tâche ne sera pas de tout repos et les restaurateurs auront fort à faire pour venir à bout des difficultés. A commencer par le problème d’électricité: le poste de transformateur installé près du fort est en panne (chute d’une phase de courant), privant le chantier de l’énergie électrique. La route conduisant au site ne permet pas un acheminement rapide et sûr du matériel lourd vers le chantier, à ceci s’ajoute le manque de sécurité sur ce sentier qui serpente dans la forêt. Mais c’est l’approvisionnement en tuffeau qui va donner du fil à retordre à Affou Patrimoine. Des recherches antérieures ont établi que les Espagnols avaient bâti ce fort avec une matière première locale: le tuffeau de l’ancienne carrière de Kouchet El-Djir. Authenticité oblige, il fallait donc extraire des dizaines de blocs de tuffeau de cette zone pour en façonner des centaines de pierres taillées de différentes formes et dimensions afin de remplacer les éléments dégradés du fort.

Cependant, les bidonvilles qui ont poussé à Kouchet El-Djir ont formé un enclos autour de la carrière, rendant très difficile l’accès au gisement, ce qui n’a pas été sans poser des tas de problèmes au restaurateur. En revanche, pas de problèmes pour ce qui est de la chaux et des briques en terre cuite. Les restaurateurs sont actuellement en train de dresser l’échafaudage pour réhabiliter les façades du fort, une phase qui s’annonce ardue et laborieuse car la raideur, l’obliquité des murs lisses et qui n’offrent pas d’aspérité et des points d’ancrage posent des problèmes pour la pose d’échafaudage.

La première responsable de la Direction de la culture, le maître d’ouvrage, a récemment visité le fort en compagnie d’architectes et des représentants de Bel Horizon et a apprécié la qualité du travail de remise en état du site et le taux d’avancement du chantier. Elle a toutefois insisté sur la nécessité de prévoir les commodités de base nécessaires aux activités prévues dans ce futur musée (l’installation électrique, tuyauterie, sanitaires...). Même souci pour le président de Bel Horizon, Metair Kouider, qui a formulé des réserves, le 16 septembre, dans une lettre adressée au maître de l’ouvrage. Il l’a notamment averti sur les conséquences de la suppression du système d’alimentation de la bâche d’eau de 275 m3 du château, demandant aussi le rétablissement du système de récupération des eaux usées.

Il a, en outre, fait remarquer qu’un câble électrique de grosse section doit être tiré en souterrain pour déboucher jusqu’à la grande salle avec un point intermédiaire au 1er niveau, et ce pour permettre une flexibilité dans l’utilisation de l’énergie électrique sans porter préjudice à la structure. En somme, il veut apporter des rectificatifs à l’étude, qui est lacunaire sur certains points, selon lui, tant que cela est encore possible. De son côté, le restaurateur, qui veille à la conformité du travail qui lui a été confié et tient à ce que la restauration ne tourne pas au simple lifting, se dit favorable à tout ce qui peut servir l’intérêt du projet.

L’Espagne a, pour sa part, exprimé à maintes occasions qu’elle souhaitait apporter sa pierre à l’édifice. L’Algérie accepte volontiers. Et les avis des uns et des autres convergent vers la création d’un centre d’archives algéro-espagnol au sein du fort de Santa Cruz. Mieux encore, l’Ambassade d’Espagne à Alger a affirmé par la voix de son conseiller de la culture que son pays était prêt à décorer le fort avec des toiles authentiques, des fresques, des statues, des armes de l’époque, outre la dotation d’archives d’Oran, cette ville fondée au Xe siècle par des marchands andalous-maures, occupée par les Espagnols en 1509 avant d’être en possession de la Sublime Porte (Empire ottoman) de 1708 à 1732 puis de 1791 à 1831. L’Espagne est également favorable à l’envoi de ses experts et chercheurs à Oran pour donner des cours et des conférences dans le futur musée de Santa Cruz, mais aussi pour mener des recherches archéologiques et historiques sur Oran.

La chapelle de la Vierge Marie, ce sublime monument érigé au pied du fort de Santa Cruz, est l’autre ingrédient de la beauté et du mystère du site. Cette chapelle qui accueillit la statue de la procession bénéfique, qui délivra Oran de la terrible épidémie de choléra en 1845, est régulièrement visitée par de nombreuses familles algériennes et des pieds-noirs, qui y passent des journées pleines d’allégresse, de gaieté et de distraction. Ce site est en bon état mais nécessite quand même quelques travaux: peinture, pavage, revêtement, lambris, électricité, serrures, etc. Le plateau de Moulay Abdelkader, situé à quelques encablures du fort et de la chapelle, ce lieu de culte et de rite pour les uns, espace de détente et de loisirs pour les autres et source de bien-être de l’âme et du corps pour tout un chacun, ajoute saveur, fraîcheur et splendeur au mirifique site qui se niche dans le bosquet des pins et des chênes.

Oran a certes la chance de disposer de ce site inédit et les Oranais sont tout aussi bienheureux d’avoir hérité des chefs-d’oeuvre qui perpétuent des souvenirs et témoignent des civilisations qui se sont succédé dans leur ville, mais le visiteur du mont peut malheureusement remarquer des choses indignes du site historique et relever plusieurs manquements. A commencer par l’éclairage public qui n’est pas fonctionnel depuis deux ans à cause du vol des câbles souterrains. Les tas d’ordures générées par les pique-niqueurs manquant de civisme, notamment sur le plateau de Moulay Abdelkader, est un autre point noir. Bien que ce site fasse partie du circuit de la collecte des ordures de la commune qui y a installé des bacs, le passage de la benne tasseuse par ce point est hypothétique. Parfois, plus d’un mois, voire deux mois séparent deux collectes.

L’endroit n’est, par ailleurs, pas encore entièrement sûr. La nuit, il devient un coupe-gorge, d’autant qu’il n’y a pas de lumière. Le déploiement de quelques gardes communaux au niveau de la chapelle et du fort a, il est vrai, ramené un peu de sécurité, mais l’effectif présent reste de loin insuffisant. Le renforcement du dispositif s’impose pour mieux sécuriser le périmètre afin que le site puisse renouer avec le grand rush d’antan. Il faut aussi réhabiliter le réseau routier desservant les lieux car il est dans un état très dégradé, notamment le tronçon qui descend du fort jusqu’au bassin versant de Mers El-Kébir.




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