Algérie

"On se dirige vers un simulacre d'élection"



Adlène Mohammedi est chercheur en géopolitique et journaliste à Paris. Il est né à Alger et y a grandi. Dans cet entretien, il donne sa vision sur la campagne électorale en cours dans le pays.Liberté : La campagne électorale entame sa deuxième semaine. Quelle lecture faites-vous de la situation '
Adlène Mohammedi : Je pense qu'il n'y a pas de véritable campagne électorale. Ce qui se déroule actuellement ne ressemble ni de près ni de loin à une campagne électorale. C'est une campagne fictive et virtuelle. Fictive, car elle ne correspond en rien à la réalité du pays. Virtuelle, parce qu'elle est presque intégralement simulée sur des écrans. Pour cela, le pouvoir peut compter sur des télévisions ni vraiment publiques (aucun service public délivré) ni vraiment privées (lien systématique entre les oligarques qui détiennent les chaînes et le pouvoir).
Ces télévisions sont en train de fabriquer une Algérie parallèle où les candidats donnent l'impression de faire vraiment campagne, alors qu'on voit très bien qu'ils ne peuvent même pas se balader tranquillement dans l'Algérie réelle. Cette résistance populaire au matraquage télévisuel est miraculeuse. Les discours du chef d'état-major et cette campagne télévisuelle sont un travestissement ostentatoire du réel.
Il s'agit d'une entreprise frauduleuse revendiquée. Je ne pense pas qu'il faille attendre le résultat de cette fausse élection pour parler de fraude. La fraude a lieu sous nos yeux. Bourrer des urnes paraît presque dérisoire à côté de ce mensonge permanent : l'Algérie se soulève contre le régime en place et refuse ? à raison ? toute élection émanant de dirigeants qui ont déjà trahi le peuple dans un passé pas si lointain, et on veut faire croire à un engouement. Ignorer à ce point le consentement populaire relève du viol. Je ne trouve pas d'autre mot.
Malgré les manifestations et le rejet de l'élection présidentielle, le pouvoir poursuit son agenda. Pourra-t-on organiser l'élection dans les conditions actuelles '
Disons qu'un pouvoir qui a si longtemps gouverné à l'abri du peuple n'hésitera pas à organiser une énième élection à l'abri du peuple. Après deux élections avortées (avril et juillet), les dirigeants ont peur d'annuler le scrutin de décembre pour deux raisons : pour ne pas perdre la face (c'est une question d'orgueil) et pour en finir au plus vite avec la révolution en cours.
Cela montre bien que nous n'avons pas affaire à un pouvoir à la hauteur de ce moment politique. Sinon, pourquoi ne s'est-il appuyé que sur des diplomates et des militaires depuis le début du soulèvement ' La politique se pratique aujourd'hui à distance du pouvoir, essentiellement dans la rue. On se dirige donc vers un simulacre d'élection.
Une annulation ne sera pas impossible si la pression populaire se maintient et s'accentue, mais le pouvoir est capable de tricher jusqu'au bout, de s'appuyer sur une poignée d'Algériens et de façonner quelques images. Mais admettons qu'il aille au bout de sa folie et qu'il sorte de son chapeau un faux taux de participation et de faux résultats. On sait tous que la contestation populaire est inévitable. C'est donc une impasse qui rappelle la vision court-termiste des dirigeants algériens.
Si l'élection a lieu, est-ce que ce sera la fin de la crise politique '
Non, je ne le pense pas. Ce simulacre d'élection n'est en rien une réponse à une quelconque crise. D'ailleurs, je ne pense pas qu'on ait affaire à une "crise". On a affaire à une révolution populaire : à une volonté affichée d'en finir avec un régime mafieux et corrompu. Un régime qui révèle aujourd'hui sa véritable nature : une junte.
D'ailleurs, ce ne sont plus les militaires qui se cachent derrière les civils, mais les civils qui se cachent désormais derrière les généraux. Comment pourrait-on penser une seconde qu'il est porteur de véritables réponses politiques ' Et, surtout, comment pourrait-on le croire précisément au moment où des citoyens honnêtes et des opposants courageux se retrouvent en prison pour des drapeaux, des pancartes ou des idées ' Le chef d'état-major veut à tout prix son élection, non pas pour sortir le pays de je ne sais quelle crise, mais pour préserver le régime et quelques intérêts privés.
Les dirigeants algériens ne le cachent même plus : le but est d'éviter toute transition, c'est-à-dire tout changement de régime. Je pense que la pression populaire peut faire échouer l'élection du 12 décembre (soit en l'annulant, soit en la contestant avec la témérité à l'?uvre depuis février), et la transition s'imposera alors. J'imagine mal une nouvelle tentative d'élection avec des conditions objectivement similaires depuis le début. Il faut donc penser cette transition à l'abri du régime, pendant que celui-ci pense son élection à l'abri du peuple.

Entretien réalisé par : Ali Boukhlef


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