Algérie

«On me pressait pour signer les décisions»



Au deuxième jour du procès dans le dossier du montage automobile, Youcef Yousfi, ancien ministre de l'Industrie, a rejeté l'accusation d'octroi d'indus avantages aux opérateurs, reconnaissant qu'il y avait des erreurs qu'il impute au manque d'expérience dans une activité qui venait d'être lancée en Algérie.Karim Aimeur - Alger (Le Soir) - Le procès dans l'affaire dite de montage automobile et de financement occulte de la campagne électorale de Bouteflika pour un cinquième mandat, qui implique deux anciens Premiers ministres, d'anciens ministres et des opérateurs dans l'activité de montage automobile, s'est poursuivi, hier dimanche, à la cour d'Alger. La séance a repris avec l'ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, dont l'audition entamée avant-hier samedi a été poursuivie avec une seule question qui reste à l'ordre du jour : les biens de Sellal. Ce dernier a affirmé qu'il avait un appartement à Constantine qu'il a vendu il y a 15 ans et un autre à Alger, également vendu après avoir été réaménagé. « J'ai un compte bancaire où je reçois ma retraite et je n'ai rien à l'étranger », a-t-il dit. Sellal, un peu amaigri, est appelé à reprendre sa place dans le box des accusés. Lui succédera à la barre l'ancien ministre de l'Industrie, Youcef Yousfi, auditionné pendant plus de deux heures sur les accusations de « détournement de deniers publics », « abus de pouvoir », « corruption dans les marchés publics » et « octroi d'indus avantages ».
D'emblée, Yousfi rejette toutes les accusations, contestant le rapport d'expertise de l'IGF qui est, selon lui, « orienté » et contient « des contre-vérités et de grossières erreurs ». La juge interroge l'ancien ministre à propos de 14 décisions techniques qu'il avait signées en faveur des opérateurs qui ont été admis pour exercer l'activité de montage automobile. « Ces décisions entrent dans le cadre de l'encouragement de l'activité, afin de sortir de son aspect commercial vers l'aspect industriel. Ces décisions ne donnent aucun avantage. Elles avaient deux objectifs : confirmer l'existence du projet et confirmer que les équipements importés (SKD-CKD) entraient dans le cadre de l'activité pour qu'ils soient dédouanés», a-t-il expliqué. La juge observe que ces décisions techniques ouvrent la porte aux avantages, puisque c'est sur leur base que les opérateurs accèdent aux avantages en matière d'exonération fiscale et toutes les autres facilitations. Sur la défensive, l'ancien ministre explique que son travail était de signer ces documents qui sont élaborés par un comité d'évaluation technique. Il ajoute que les avantages sont accordés par le CNI (Conseil national d'investissement), et non par le ministre. « Est-ce que vous connaissez les membres du comité d'évaluation technique ' » demande la présidente de la séance. « Non, mais j'avais confiance en eux. Ils étaient compétents », répond l'accusé, suscitant l'étonnement de la juge. «Vous signez des documents sans les vérifier ' Donc, votre rôle était négatif et non positif '» lance la juge. « J'avais d'autres choses à faire », répond le ministre en expliquant la multitude de ses tâches.
À propos de l'exclusion de certains opérateurs, la juge lui demande pourquoi la commission de recours n'a jamais été installée, ni par lui ni par Abdeslam Bouchoureb. « Je n'ai jamais entendu parler de cette commission », dit-il. La juge en arrive à présent aux avantages accordés au groupe Mazouz et à la prolongation exceptionnelle qui lui a été accordée pour se conformer au cahier des charges. « On me pressait pour signer les décisions », a-t-il dit, évoquant « des failles » au ministère qui « avait d'autres priorités ». Youcef Yousfi reconnaît l'existence de quelques erreurs causées par le manque d'expérience dans le domaine, étant donné que l'activité était nouvelle. Il ajoute qu'il n'avait pas fait objection sur la prolongation du délai à Mazouz « car je voulais encourager l'investissement ».
À chaque fois qu'il est interrogé sur les avantages, l'accusé renvoie la juge au comité d'évaluation technique, en insistant qu'il ne faisait que signer les décisions. Le 20 février 2019, le ministre avait signé une décision en faveur de Mazouz, ce qui lui permit de dédouaner les équipements importés. La veille, soit le 19 février, il avait déposé une somme de 39 milliards de centimes au niveau de la direction de campagne de Bouteflika pour le cinquième mandat. La présidente voulait savoir s'il y a un lien entre les deux actes. « Est-ce une coïncidence ' Vous a-t-on appelé pour signer ' » lui demande la juge. « Je n'ai jamais entendu parler de cette question. Cela peut paraître en effet suspect mais personne ne m'a contacté à ce propos », a-t-il répondu. Il est ensuite interrogé sur la décision numéro 32, signée le 18 mars 2018 en faveur de Arbaoui, et qui concerne trois marques de véhicules, « sans passer par le comité technique ».
L'ancien ministre nie catégoriquement.« Impossible de signer une décision sans être passé par le comité », insiste-il. « L'audition est terminée », annonce la juge. « Non, pas encore », réplique Yousfi. « Je vous informe que c'est moi qui prends la décision », corrige la juge, tout en acceptant d'accorder un peu plus de temps à l'accusé. Ce dernier se lance dans un discours politique. « On ne peut jamais avoir le résultat d'un investissement du jour au lendemain. L'Etat devait récupérer les avantages accordés aux investisseurs à terme, dans quatre ans, mais cela le rapport de l'expertise ne l'a pas dit car il était orienté. Tous les gouvernements et les Etats encouragent l'investissement. Il y a quelques jours, le président de la République a réuni les hommes d'affaires et a demandé de leur accorder des avantages... » Yousfi est interrogé ensuite sur la liste des 40 opérateurs qu'il avait proposés au Premier ministre, en plus du fameux groupe des 5+5. Il explique qu'en arrivant au ministère, il avait trouvé un désordre total et qu'il fallait, en priorité, mettre de l'ordre. Il a évoqué l'objectif de diversification de l'économie nationale et de ne pas laisser le monopole sur l'activité s'établir.
K. A.
Ce que Yousfi a dit à Rebrab
Pour se défendre contre l'accusation d'exclusion de certains opérateurs de l'activité de montage automobile, Youcef Yousfi a révélé avoir rencontré le P-dg de Cevital, Issad Rebrab, à la prison d'El-Harrach et évoquait avec lui la question. « J'ai dit à Rebrab que, puisque votre groupe a tous les moyens, pourquoi n'êtes-vous pas intéressé par l'industrie automobile ' » Rebrab, a-t-il poursuivi, a affirmé que Cevital était bel et bien intéressée par le secteur, et qu'elle allait se lancer dans la production des moteurs Peugeot. Le projet aurait été avorté par la non-attractivité du marché national et par les responsables du constructeur français qui ont décidé d'annuler le projet, y compris pour l'importation.
K. A.


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