Algérie

«On est face à un cartel bien organisé»



Hacène Menouar est le président de l'association El Aman pour la protection des consommateurs. Dans cet entretien, il nous fait un bilan de la première semaine du mois de Ramadhan. Il parle des traditionnelles «flambées» des prix. Il évoque une mafia et la frénésie des consommateurs avant de donner quelques recettes pour faire face au problème. Régalez-vous...L'Expression: Aux premiers jours du mois de Ramadhan, quel constat faites-vous quant aux prix des produits alimentaires, sur le marché'
Hacène Menouar: les mauvaises habitudes ont la peau dure. Malheureusement, ce mois de Ramadhan n'a pas échappé à la «traditionnelle» flambée des prix. Certains produits alimentaires ont atteint des cimes! C'est le cas notamment de ceux qui sont très prisés par les foyers pour garnir leurs tables de l'Iftar, à l'image de la fameuse pomme de terre. Malgré les mesures prises par l'Etat, elle n'arrive pas à descendre au-dessous de la barre symbolique des 100 dinars le kilogramme. La «patate» n'est pas la seule à faire des siennes, puisque pratiquement tous les fruits et légumes ont vu leurs prix monter en flèche, comme la salade où le kilogramme a atteint les 250 dinars. Certes, certaines de ces augmentations sont justifiées par rapport à l'augmentation des prix des intrants sur les marchés internationaux ou encore les tensions liées à la guerre en Ukraine. Toutefois, la majorité des ces hausses ne trouvent aucune explication, mis à part la spéculation. Certains opérateurs, distributeurs ou même commerçants profitent de cette période afin de se remplir les poches en jouant aux apprentis spéculateurs.
Comment s'explique cette «flambée» des prix qui se répète durant chaque mois de Ramadhan'
Il faut comprendre que l'on est face à une véritable mafia. Ce «cartel», et je pèse mes mots, s'organise à la veille de chaque occasion de grande consommation afin d'imposer son diktat à travers les 58 wilayas du pays. Ils imposent les prix qu'ils veulent grâce à leurs ramifications dans toute la chaîne commerciale. Pour comprendre cela, il faut connaître la réalité du marché agricole où seul l'informel fait foi, ce qui permet à ces spéculateurs de dicter leur loi, à la fois sur les producteurs et aussi sur les consommateurs. Il échappe donc à l'Etat et ses mécanismes de contrôle ou encore de régulation. En l'absence de cette dernière, on ne peut pas maîtriser ceux qui restent à la merci de cette mafia.
Des mesures ont pourtant été prises par le gouvernement, afin de faire face à ce «phénomène». Comment les jugez-vous'
Oui, des mesures ont été prises mais elles restent insuffisantes, à l'image de la décision courageuse prise par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, de criminaliser la spéculation. C'est une bonne chose, du fait que cela doit permettre de dissuader tous ceux qui seraient tentés de jouer avec le pouvoir d'achat des Algériens. Mais cette loi ne suffit pas à elle seule. Quand on voit, par exemple, la vente de drogue qui est criminalisée mais cela n'empêche pas que ce poison soit vendu. La loi, à elle seule ne suffit donc pas. Elle doit être accompagnée d'un grand ménage qui ne peut passer que par l'instauration de véritables mécanismes de régulation.
Quels sont ces mécanismes'
La régulation ne peut se faire qu'à travers la réalisation d'infrastructures telles que les centrales de distribution, les marchés régionaux, les marchés de proximité. Il faut également apporter une traçabilité à toute la chaîne de ce secteur. Cela ne peut se faire sans la numérisation de tous les réseaux de distribution, depuis la production jusqu'à la consommation. Il est temps, maintenant, de recenser tous les distributeurs et les producteurs, et de les suivre à travers des facturations numérisées, ce qui doit permettre au ministère du Commerce d'avoir un tableau de bord, afin de suivre les transactions, comme cela se fait dans les pays développés. J'en profite pour revenir sur les «marchés de la Rahma», l'idée en elle-même est bonne mais il faut que cela soit conjoncturel. Les marchés de proximité doivent exister à longueur d'année. On doit créer un peu partout de beaux marchés parisiens, propres, convenables et sécurisés. Ces espaces, où l'Etat peut avoir un oeil, nous permettront de sortir du spectre de l'informel.
La mafia de la spéculation est, certes responsable de cette situation, mais l'absence de culture de consommation ne joue-t-elle pas un rôle'
Absolument! Le mois de Ramadhan est synonyme de spéculation, mais aussi de frénésie dans les achats. On assiste à une surconsommation durant ce mois sacré. Pis encore, il y a des produits spécifiques qui sont pris d'assaut par la majorité des Algériens. Une situation qui va forcément provoquer des tensions. C'est ce que nous voyons chaque année. Or, nous devons apprendre à diversifier notre alimentation, ne pas nous contenter des mêmes plats. On doit surtout apprendre à consommer les produits de saison. Il faut aussi éviter certains excès qui sont nocifs pour la santé. On doit apprendre à mieux consommer: plus intelligent, plus raisonnable...


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)