Algérie

«On a fait tomber le mur de Berlin, il est temps de faire tomber le mur érigé en Méditerranée»



- Comment évaluez-vous l'attitude de l'Union européenne par rapport aux changements politiques qui s'opèrent dans le monde arabe depuis la révolution tunisienne '
Je souligne deux moments dans la position de l'Union européenne vis-à-vis des changements politiques dans le monde arabe. Le premier découlait du fait que l'Union était otage d'une longue pratique qui préférait le statu quo au changement.
Assurée que le maintien de régimes autoritaires était préférable à  d'autres alternatives, la position de l'Union européenne, dans sa vision réductrice, visait à  contrer l'émergence d'un islamisme radical. Ce qui pesait lourdement dans cette vision, c'étaient les leçons qu'avait tirées l'UE de la tragique expérience algérienne après l'ouverture démocratique, en 1989. Lentement et sans doute sûrement, l'Union européenne s'est rendue compte que cette vision ne correspondait pas à  la réalité politique et sociale dans le monde arabe et que, finalement, dans le sud de la Méditerranée s'est développée une alternative démocratique aux régimes autoritaires. Et à  la place des révolutions islamistes radicales, on a vu une révolution de la jeunesse très influencée par des idées libérales, universelles, facilitée particulièrement par les nouvelles technologies de l'information. A cet effet, l'Union européenne se prépare à  répondre à  la demande qui viendrait de Tunisie et d'Egypte particulièrement, en termes de soutiens politique et économique.
- Ne pensez-vous pas que la position de l'Occident était déterminée par les intérêts stratégiques qu'il entretenait avec les régimes en place '
Il y a, à  mon avis, deux choses. La première est qu'après les événements du 11 septembre 2001, l'Administration Bush a lancé une guerre globale contre le terrorisme et que les régimes autoritaires se sont affirmés et ont assumé comme le meilleur allié dans cette stratégie de guerre globale. Cependant, avec l'arrivée de l'Administration Obama, cette perspective de guerre globale a complètement changé. Le président américain en a fini avec cette doctrine.
L'impact de ce changement de stratégie a mis en péril la légitimité des régimes autoritaires née de la lutte contre le terrorisme pour aboutir à  des systèmes affaiblis, car ils n'avaient plus en face une Amérique inconditionnelle. Le deuxième élément réside dans la question israélienne. Beaucoup s'interrogeaient : l'Egypte en changement allait-elle affaiblir la position américaine dans le conflit israélo-palestinien ' Je dirais qu'une Egypte démocratique ne remet pas en cause les accords de paix, mais serait exigeante dans son soutien à  la question palestinienne. Elle aurait une position proche de celle de la Turquie. Les hésitations de certains secteurs, aux USA, étaient liées à  la vision réductrice de Netanyahu de l'impact sur le traité de paix.
- Avec du recul, ne croyez-vous pas que l'intervention militaire en Libye n'était pas un choix judicieux '
Je pense et je suis convaincu que c'était une intervention pour protéger la ville de Benghazi d'un massacre certain qu'allaient commettre les troupes d'El Gueddafi. S'il n'y avait pas eu cette intervention, cela aurait été un massacre. De ce point de vue, la résolution du Conseil de sécurité était importante et nécessaire. Je dois dire que c'est tout le contraire de ce qui s'est passé en Irak. La communauté internationale a la responsabilité d'empêcher que des populations soient massacrées.  
Maintenant, il y a effectivement les limites et les difficultés d'une telle opération. Bien évidement, ce n'est pas à  la communauté internationale ou à  l'intervention militaire de faire triompher l'opposition libyenne. C'est une question qui restera entre les mains des Libyens eux-mêmes.
- A la lumière de ces évolutions politiques dans le monde arabe, quels devraient àªtre le regard et l'approche de l'Union européenne vis-à-vis de cette région '
L'Union européenne devrait maintenant proposer aux pays du sud de la Méditerranée un projet ambitieux, de long terme, qui consiste en la création, à  l'horizon 2020, d'une communauté euroméditerranéenne des Etats démocratiques. Cette communauté serait tout le contraire du projet de l'Union pour la Méditerranée (UPM). Parce que l'UPM est un schéma de coopération entre gouvernements sans aucun composant politique. Par contre, la communauté eur-méditerranéenne devrait avoir non seulement une forte composante de conditionnalité politique positive, en ce sens que seuls les Etats démocratiques pourraient en àªtre. Mais aussi, avoir une forte composante économique et sociale incluant, à  terme, la libre-circulation des personnes, par des régimes progressifs de facilitation de visas.
On a fait chuter le mur de Berlin en 1989, le temps est venu pour faire chuter ce mur érigé en Méditerranée, basé sur les idées préconçues qui faisaient croire que l'Islam n'est pas compatible avec la démocratie. Les hommes et les femmes du Sud ont les mêmes aspirations que les hommes et les femmes d'Occident.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)