Omar Dib peut être considéré, à juste titre d'ailleurs, comme un digne successeur de cette race des seigneurs dont il a su perpétuer la tradition et l'esprit d'abnégation.
L'hommage rendu par la société civile tlemcénienne et algéroise à Omar Dib a été émouvant à plus d'un titre. A plus forte raison lorsque la manifestation a été rehaussée par la présence de la famille de l'homme de culture. Des moments inoubliables que partagèrent solidairement de nombreux amis, camarades de classe ou anciens élèves à la grande satisfaction du docteur Abderrahim Mesli. Galvanisé par une assistance de qualité et les remerciements de la famille honorée, le président de l'Association des anciens élèves des écoles, collèges, lycées et médersas de Tlemcen (Ecolymet) n'a pas manqué de mettre l'accent sur l'importance de l'initiative qui a donné une âme à sa structure. Le plus ému d'entre tous fut certainement le fils du défunt, Amazigh Fouad Réda dont l'intervention ne manqua pas de plonger l'assistance dans une sorte de recueillement: «Je n'avais pas prévu de prendre la parole, veuillez m'excuser donc pour ce discours improvisé. Il m'est très difficile de parler de mon père. Faire revenir à la surface de ma mémoire des souvenirs que je chéris est un processus assez douloureux.» Mais point une mission impossible, surtout lorsque l'intervenant avoue garder de son père des souvenirs impérissables. Un père qu'il décrira comme étant un homme réservé, voire pudique, refusant sempiternellement de mettre en évidence sa propre personne: «Mon père nous racontait souvent, à mon frère Koceil et à moi-même, cette anecdote au sujet du roi Yaghmoracen qui fût l'un des grands bâtisseurs de la dynastie des Zianides. A la question d'un architecte qui lui demandait comment il souhaiterait que s'écrive son nom pour le retranscrire au fronton de la mosquée, le monarque lui répondît en zénète «Issen Rebbi» (Dieu le sait!) Une histoire qui met en lumière la vacuité de la vanité de ce monde.» Ce n'est donc pas sans raison si l'enfance des héritiers fût bercée «par les histoires des rois, princes, poètes, musiciens, guerriers, savants, cheikhs de ma ville Tlemcen. Le prénom de mon frère Koceil et le mien Amazigh sont révélateurs d'un trait de caractère de mon père, son attachement à sa ville et à son pays; croyez-moi il n'est pas facile de porter le prénom Amazigh quand on est tlemcénien, mais je suis extrêmement fier de le porter car il témoigne de l'origine berbère de notre famille».
«Je serai reconnaissant toute ma vie à mon père»
Mieux, l'orateur se rappelle fort bien du jour où son père avait failli avoir une apoplexie. Plus précisément au moment où il eut entre les mains un livre truffé d'approximations et d'informations erronées présentant les Dib comme étant d'origine turque: «Mon fils, notre famille est berbère, nos racines à Tlemcen sont profondes et ceux qui ont des racines profondes ne craignent pas le gel.» Outre l'amour insondable tant pour le pays que pour l'ancienne capitale des Zianides, Omar a su inculquer à ses héritiers une passion sans pareille pour la lecture: «Un legs d'autant plus précieux en cette période où l'usage futile du digital est roi. Mon père nous a permis d'explorer d'innombrables univers à travers des auteurs comme Hugo, Lamartine, Baudelaire, Paul Valéry, Réné Guénon, Miguel Asturias, Pablo Neruda, Hemingway, Steinbeck, Poe, Tolkien, Herbert... et aussi et surtout les poètes de Tlemcen à l'image de Ben M'saïb, Bensahla,... ou des musiciens, comme les cheikhs Larbi et Redouane Bensari, ChikhaTetma...» Amazigh Dib évoquera les visites ininterrompues qu'il rendra sous l'autorité de son père à ces savants et saints que furent Sidi Boumediene El Ghout, Sidi Afif el Tilimçani, cheikh Senoussi, Lalla Maghnia, Lalla Setti,...et aussi Abou Hamed Al Ghazali, Jalâl-ud-Dîn Rûmî, Junaid, Abdul Qadir Jilani et Muhiyuddîn Ibn Arabî: «Je pense que Ibn Arabî est aussi organique à notre famille que Tlemcen. Je serai reconnaissant toute ma vie à mon père de m'avoir fait découvrir ces personnages sublimes.» Subrepticement, la personnalité du père apparaît au grand jour surtout lorsque les référents mystiques et l'illumination soudaine chers à Omar Dib sont complétés par des séances de recueillement sur les hauteurs d'El Eubbad où repose sidi Boumediene et où se trouve aussi le tombeau de Yahia Ben Yuggan, roi de Tlemcen et oncle maternel de Muhiyuddîn Ibn Arabî: «Il nous racontait l'histoire de ce monarque qui abandonna sa royauté et ses privilèges terrestres pour devenir un ascète, disciple de Sidi Abdeslam Tounsi. Mon père avait un don inné de conteur, avec sa voix à la fois grave et mélodieuse, il nous narrait les anciens contes du vieux Tlemcen.» La même source nous apprend que le grand homme de culture aimait sa ville à la folie et les émissions qu'il commettait bénévolement au profit de Radio Tlemcen, diffusées même de nos jours nous apprend le directeur de Radio Tlemcen, continuent merveilleusement bien de refléter cet amour indélébile.
Pour Aïssa Benhachem, l'apport du défunt à sa chaîne est tout simplement inestimable: «C'est pour cette raison que ses émissions sont toujours présentes sur nos ondes. Il faut dire que j'ai été séduit par cet illustre personnage. Son éducation, sa modestie et son affabilité militent pour que sa voix apaisante et sa manière de conter envahissent tous les céans.» Des valeurs intrinsèques qui seront expressément soulignées par un autre intervenant, Farouk Tebbal pour ne pas le désigner: «Un soupir qui ressemble à une plainte, pour raconter l'histoire de la ville et de ses grands hommes. Une voix qui vous remue déjà les tripes quand vous êtes dans la ville, alors que dire quand on reçoit ce souffle de l'autre côté de l'océan? C'est peut-être une des raisons qui m'ont rappelé, comme de nombreux autres, dans cette bonne ville, après une longue carrière.» Dans sa courte intervention, l'ancien ministre de l'Habitat n'aura pas tari d'éloges attribuant au «grand frère» que fut Omar toutes les vertus et autres qualités indéniables qui l'influenceront notablement tout au long de son apprentissage culturel et politique: «Il nous invitait, nous ses jeunes amis, à parler d'autre chose et nous voilà embarqués avec lui dans le rêve que nous nous faisions de l'avenir de notre pays. Il nous expliquait son désir de participer au renouveau intellectuel des jeunes par la création, malheureusement éphémère, de la JCP (jeunesse, culture, progrès) qu'il voyait comme un levain permettant aux jeunes de Tlemcen de pétrir un avenir lumineux.» Le journaliste et écrivain El Hassar Bénali mettra l'accent sur le professeur, l'historien et l'homme politique: «Omar a eu une vie qui ressemble à un combat pour la culture, la mémoire... Il figurait parmi les jeunes de la génération de l'élite qui a tenté, au lendemain de l'indépendance, de servir le pays. Il laissera un souvenir ineffaçable dans l'esprit de ceux qui l'ont eu comme enseignant au lycée commandant Ferradj de Tlemcen ou côtoyé en tant qu'acteur de la société civile.» Pour l'ancien confrère de l'APS, il doit sa culture et sa notoriété à son ancrage familial citadin d'où émergeaient Mohammed et Ghouti Dib considérés à l'époque comme étant des maîtres incontestés de la musique classique tlemcénienne.
La même source confie que le militantisme politique de Omar Dib commença très tôt subissant l'influence d'hommes dont l'engagement politique révolutionnaire était pris en exemple par les jeunes de différentes obédiences idéologiques, parmi lesquels les frères Inal, Abdelkader Guerroudj, Mohamed Gnanèche...
Une sensibilité nationale très enracinée dans l'histoire
Il était profondément attaché surtout au souvenir de Sid Ahmed Inal foncièrement progressiste et dont il parlait avec fascination: «Ses lectures et sa fréquentation de l'association Les Amis du livre forgèrent son identité d'homme ouvert, très proche du peuple avec une sensibilité nationale très enracinée dans l'histoire. Pour preuve, les prénoms qu'il choisira pour ses enfants: Koceil et Amazigh. Auteur fort heureux d'un livre à paraître dont le titre générique est «Les Nadis, De la génération de la première élite algérienne à l'aube du XXe siècle», El Hassar Bénali parlera de l'ancrage patriotique de l'homme de culture sitôt l'indépendance nationale acquise et de la tournure prise par les événements au nom de la révolution et de l'unanimisme idéologique. Un dirigisme politique, en termes décodés, qui n'a pas été sans engendrer, de l'avis même de l'orateur, une sensible marginalisation de représentants de l'élite ayant survécu à la lutte de Libération nationale: «Les vieilles institutions de la société civile dont les 'Nadis'' qui ont fait partie de son mode de vie ont fini petit à petit par s'effacer de la scène laissant place aux seules associations à vocation artistique. Les acteurs politiques de la première heure issus de la cité emblématique étaient victimes d'une sorte d'épuisement pour ne pas dire de «désillusion» peinant à donner sens à la nouvelle politique dont les effets immédiats ont provoqué un certain désarroi parmi les hommes de culture.» Loin de baisser les bras, Omar Dib recourra à l'entrisme cher aux trotskistes pour s'adonner à l'action militante et se faire élire à l'Assemblée populaire de la wilaya de Tlemcen. Démarche autant difficile que périlleuse, mais gratifiante estime la même source: «Bien que portant l'habit du FLN, il réussit grâce à sa finesse d'esprit, son imagination et son intelligence à redessiner les contours d'une politique d'action pour le développement économique et social de toute la région. Il constitua un cercle où je me comptais parmi ses proches en tant qu'élu dans la même assemblée, impliqué dans sa stratégie. Avec la disparition des cercles ou 'Nadis'' de différentes obédiences, la vie culturelle et politique allait nettement régresser. Il fallait beaucoup d'ardeur à notre ami pour préconiser des actions visant, notamment, la relance sur tous les plans.» Pour autant, ce rétrécissement savamment orchestré n'allait pas avoir raison de la militance de l'enfant terrible de Tlemcen qui redoublera d'ardeur pour décrocher des financements locaux salutaires pour les fouilles archéologiques effectuées à Agadir, Honaïne et Mansourah, souligne la même source: «L'organisation de colloques, de rencontres culturelles et artistiques et un soutien fort au lancement, en 1972, du Festival national de la musique andalouse constituent des actions qu'il a encouragées et concrétisées pleinement. Il fut témoin du passage à Tlemcen de grands noms de l'histoire et de la littérature parmi lesquels il est aisé de citer Kateb Yacine, Mohammed Dib, Sungrid Hunk, Mouloud Mammeri...» C'est encore sous sa férule que l'ancienne association des Amis du vieux Tlemcen, dont il était président, a été relancée: «Et c'est grâce à lui aussi que Tlemcen put s'enorgueillir d'avoir donné naissance, dans ce cadre, à une publication très sollicitée et portée par les plus belles plumes de la région à l'image de Mohammed Souhil Dib, son frère, Nadir Marouf et Abdelhamid Hadjiat, Jusqu'à la fin de sa vie, il ne cessa d'animer des émissions sur les antennes de la radio. Des émissions très suivies par un public transporté, qui appréciait énormément sa manière de restituer des pans importants de l'histoire et de la civilisation de notre pays comme des autres pays du Maghreb.» Avant sa mort, dira en guise de conclusion El Hassar Bénali, il laissera de nombreux ouvrages. Ceux qui ont connu Omar garderont de lui et pour toujours, insistera la même source, le souvenir ineffaçable d'un homme cultivé, aimable, d'une grande humanité et d'une parfaite éducation.
Une balise dans la tempête, semblable à un repère indestructible
Pour le professeur Nadir Marouf, il était un patriote avéré et notoirement connu pour son courage politique. À l'instar de Souheil, son érudition, notamment sur le plan de l'histoire sociale, politique et culturelle, impressionnait quiconque l'approchait: «Non seulement cette érudition se déclinait dans l'art de l'écriture (å la faveur de ses contributions, par exemple, dans la presse nationale, mais encore dans l'art oratoire: il avait un talent de narrateur et de conteur inouï, le tout livré avec une élégance et une décontraction qui auraient fait frémir de jalousie certains de nos illustres universitaires. Et puis, il y avait chez lui des vertus morales rares par les temps qui courent: probité, simplicité du propos, sens de la mesure quant à l'appréciation de ses semblables et, par-dessus tout, quel sens de l'humilité!» Des vertus morales qui le conduiront inéluctablement, quelques temps après et à l'instigation de la pusillanimité tant des clercs que des enfants de Tlemcen, à la démission. Il ne pouvait en être autrement à plus forte raison lorsque le commun des mortels est amené à écouter les sempiternels glissements sémantiques de quelques officiels à l'image de celui-ci qui a visé le professeur Nadir Marouf, bien que soutenu par Omar Dib, à travers son projet de lancement d'une vaste enquête dans le quartier médiéval de Tlemcen: «Nous n'avons que faire de la réhabilitation des cadavres, même si certaines demeures ont abrité Al-Maqarri. Il nous faut raser ces maisons et construire des HLM pour loger le peuple.» Bien loin des turpitudes des tenants du bonapartisme, les ensembles de musique andalouse de Tlemcen (la Slam) et d'Alger (El Djazira) ont redoublé d'ardeur pour faire vibrer le Palais de la culture Hadj Abdelkrim Dali et rappeler surtout aux nombreux mélomanes présents les soirées musicales du Festival national de musique andalouse de l'ancienne capitale des Zianides. Un événement culturel d'importance qui a été ravi aux siens par une décision inique du ministère en charge de la Culture alors qu'il était sous l'égide du ministère de la Jeunesse et des Sports. Porté par la société civile tlemcénienne et encouragé par Omar Dib, auteur lui-même de Musique algérienne pour le compte des Editions Dar El Othmania, ce festival avait pourtant pour mission la promotion d'un art musical ancestral, l'épanouissement des jeunes pousses du mouvement associatif et des maisons de jeunes. Un festival qui se déclinait aussi comme un somptueux hommage aux grands maitres de la musique classique algérienne. Des musiciens et poètes dont la fonction essentielle, soulignait-il, abattu qu'il était par cette décision castratrice, était de garder puis de transmettre le lourd legs culturel: «Ainsi, il est des hommes qui gravent dans la mémoire du peuple le souvenir de sa grandeur et dans sa conscience le devoir continuel de la rétablir. Certains d'entre eux, telles des balises dans la tempête, semblables à des repères indestructibles, demeurent les gardiens vigilants de notre patrimoine. Auteur par ailleurs des Contes du Vieux-Tlemcen, Omar Dib peut être considéré, à juste titre d'ailleurs, comme un digne successeur de cette race des seigneurs dont il a su perpétuer la tradition et l'esprit d'abnégation.
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Posté Le : 25/04/2018
Posté par : tlemcen2011
Ecrit par : Par Abdelhakim MEZIANI
Source : lexpressiondz.com