Combien y a-t-il,
de huit dans Octobre 88 ? Non pas deux, mais trois, parce qu'en latin, huit se
dit, octo, car le mois d'octobre était le huitième
mois du calendrier romain. Il est redevenu le dixième dans le calendrier
grégorien et julien.
Donc tout peut
permuter, prendre d'autres formes et d'autres dimensions. Ainsi les
interprétations de la mutation des vocables obligent à l'adaptation à leur
milieu de création. Alors qu'en est-il des maux et des mots d'octobre ?
Il n'y avait pas
à travers toute l'Algérie, de ville, de village et de douar ou bien de mechta,
qui n'avait son Souk-El-Fellah ou ses Galeries
Algériennes et parfois les deux se côtoyaient. Et cela rappelle-t-il quoi aux
algériens ? Des mots et des maux. Les interminables chaînes, les pénuries
répétitives et le piston pour décrocher le produit d'arrivage du jour. Le sac
Tati, Barbes, le visa, cours Belsunce, kech devises, makench, walou. Et la corporation la plus adulée était celle des
directeurs de la Sempac, de l'Edipal,
de l'Edimco, de Districh,
de Sonelec *.
Et ce seront toutes
ces enseignes, que le feu de la mal vie consumera en
premier, le 5 octobre 1988. Mais avant que le brasier ne s'enflamme, qui
étaient ceux qui y avaient mis le feu, et comment vivaient-ils ? C'était une
jeunesse en plein désarroi,qui appelait au secours, pour avoir sa part
d'espoir, sa portion de rêves, et croire en un avenir somme toute légitime pour
tout être humain normalement constitué. Cette jeunesse cherchait à travailler
et à vivre. Face à ces maux,quelqu'un de bien pensant mais visiblement en
décalage par rapport au siècle où vivaient ces jeunes,prononça avec ses mots,
la formule alors périmée, sans qu'il ne s'en rende compte, mais quand même
assassine : « c'est un chahut de gamin ». Leurs mots, étaient espérance,
optimisme, aspiration, conviction, dans et pour leur pays. Leurs maux, étaient,
silence, mutisme, paralysie, statut quo et autisme, de la part de ceux auxquels
ils demandaient aide et assistance. Plus d'offres d'emploi, plus de logements
sociaux, plus de soutien des prix des produits de première nécessité, et de
plus en plus des soins de santé de base, médiocres.
De l'autre côté
la pseudo solution qu'offraient ceux qui depuis quelques années, régentaient
les mosquées n'est pas meilleure. Ils proposaient purement et simplement à ces
jeunes de ne plus vivre. Dans cette ambiance de marasme et de léthargie, les
jeunes inventèrent un langage, des codes, des vocables, des messages, et
beaucoup d'ironie et de satire pour en rire et en parler. Ils créèrent des
néologismes et des mots valise. La vie c'est le «dégoutage»
pour dire le dégoût et l'ennui d'avoir vingt ans et vivre comme des retraités
désargentés. Le travail, au sens d'activité rémunératrice, devient «Bizness».
Le commerce parallèle, sans registre de commerce et sans immatriculation
fiscale, dont l'ancêtre des années 70, était le trabendo,
cette déformation de l'espagnole, «contrabendo»,
contrebande, et dont le commerce informel qui toutes nos rues, nos trottoirs et
nos places publiques, est la preuve vivante de la postérité. Pour alimenter ce
marché illégal en divers produits en rupture en Algérie des jeunes étaient
recrutés pour être employés comme, b'ghal, mulet ou
bien bardot, bêtes de somme. Ils étaient chargés de convoyer des cabas bourrés
d'articles de toutes sortes, et pour tous les usages, par ceux qui possédaient
le capital, et qui souvent avaient eux mêmes exercé ce métier sous la tutelle
d'autres ânes devenus rapidement patrons. Considérant l'immensité de la
demande, la disponibilité d'une masse monétaire et la violence de la rareté de
tous les produits, ce créneau était réellement porteur, lucratif et rapidement
payant. Pour le reste des jeunes, ils se qualifièrent de hittistes.
Du mot «hitt», le mur, c'est-à-dire ceux qui n'ont
rien à faire et pour s'occuper la journée durant, soutiennent les murs pour
qu'ils ne tombent pas. Le hitt peut également être un
poteau électrique, une rampe d'escaliers publics, des gardes corps de
trottoirs. Au premier degré d'appréhension, c'est de la dérision, qui participe
de la raillerie, que ces jeunes se font de leur propre existence. Mais, cette
posture, grandement position stratégique, fut plus tard employée et utilisée,
par de plus rusés que ces jeunes sarcastiques et blagueurs, comme postes pour
guetteurs, pour sentinelles.
Ainsi de véritables
banques de données personnelles, contenant des renseignements précis, sur tous
ceux et toutes celles, qui habitent la cité, le quartier, la rue, l'immeuble,
furent constituées. Certains de ces cerbères vigies, au nom de la prétendue rodjla dénonçaient à leurs frères cousins et autres
détenteurs de puritanisme, les comportements des filles qui déshonoraient, par
leurs comportements la réputation du quartier. Beaucoup de ces informations,
aussi servirent malheureusement de fichiers à ceux qui ne pas proposaient pas
la vie aux jeunes, pour cibler et attenter à la vie de ceux qui ne pensaient
pas comme eux. Pour les jeunes qui ne pouvaient ou ne voulaient pas faire ce
voyage, comme hongres et autres baudets, il y avait le programme ‘'jeunesse
2000'', qui avait consisté en l'ouverture de quelques locaux notamment à Alger,
où les jeunes pouvaient jouer au baby-foot, au flipper et à d'autres jeux
électroniques. La télévision nationale, en ce temps là passait le feuilleton
Dallas, crée par David Jakobs, avec des acteurs aux
profils psychologiques bien arrêtés,à dessein, par le ou les scénaristes,
auxquels chacun des téléspectateurs pouvait s'identifier.
Le patriarche Jock Ewing qui a fondé l'empire, le bon Boby,
préoccupé par le bien être des siens et la solidarité entre les membres de sa
famille, inquiet pour la santé de sa femme Paméla, toujours prêt à aider ou
rendre service, bon samaritain, que ni l'argent, ni la fortune n'intéressaient.
Le mauvais, J R, prodigue, avide de richesses et de pouvoir, intrigant et sa
femme Sue Ellen,ancienne miss Texas frustrée et qui n'arrive pas à quitter son
mari,par cupidité. Le succès de cette saga bien que venue de loin, fit que
toutes les villes d'Algérie où les A P C, mirent en vente des lots de terrains
à bâtir, eurent chacune sa cité Dallas, où les nouveaux habitants de villas,
furent stigmatisés. Le terme de Hogra fut remis au
goût du jour. Plusieurs essais pour traduire ce mot, n'ont jamais connu le
bonheur, de rendre fidèlement son acception selon l'imaginaire algérien. Et ce
mot qui est un mal, demeure intraduisible. Mais la hogra,
ce sont toutes les situations d'abus de pouvoir, de commission d'actes ou de
procédures d'injustice sociale, perçus par ceux qui se prétendent lésés, à tort
ou bien à raison.
Ce concept, s'il
en est peut être décliné en plusieurs significations. Un gars fort, malmenant
un autre physiquement plus faible, est une hogra.
Quelqu'un de riche sous-estimant un autre moins riche, est une hogra, l'habitant d'une villa ou bien d'un quartier chic,
ne saluant pas un autre, habitant un quartier pauvre est une hogra etc. Le nouveau millénaire qui s'annonçait, avançait
à grands pas, avait la côte. Tout l'univers en faisait une fixation, et alors
qu le monde entier appréhendait le bug informatique de l'an 2000, un nouveau
journal public, du soir, avait été lancé, et ses promoteurs le baptisèrent
Horizon 2000. A
cette époque, un brave gars, sûrement vendeur de journaux à la criée, dans une
autre vie, avant l'uniformisation de tout, qui écoulait ce canard à Oran, entre
1986 et 1987, sur l'avenue Khémisti, à partir de 15
ou 16 heures, criait à s'égosillait et sans arrêt, mais il était heureux: «aya
le soir». Qu'il en soit ici salué. À l'époque, on s'était demandé avec des
potes sur la désuétude et l'obsolescence du titre dès le premier janvier
2001.L'avenir nous donnera raison, puisque le 2000 avait sauté du titre. Pour
une troisième catégorie de jeunes, les choyés, de par la situation des parents,
qui pouvaient voyager à l'étranger, conduire des voitures à un age relativement
jeune, se mettre des fringues à la mode, ramener des parfums, des chocolats, le
soda noir le plus vendu dans le monde et des bananes, pour leur, copains,
copines et leurs surprises parties ou bouffa. Le mot consacré avant octobre,
était : La tchitchi, la jeunesse dorée, les enfants
gâtés du pays.
En ces années là,
avait était édifié par des canadiens, à l'architecture froide comme leur pays,
le complexe Riadh El Feth,
et inauguré par ceux qui n'ont pas voulu que le soleil d'Algérie et de
méditerranée y pénètre. On s'y bousculait, et la tchitchi
se montrait dans les restaurants et les discothèques et dépensait
ostensiblement. Ainsi était perçu chez nous le courant du libéralisme, qui
commençait à pointer du nez. A la fête de la jeunesse, le 5 juillet 1985, une
version du raï, ce genre musical banni à tort, plus dynamique, plus dansante,
avec des arrangements adaptés, d'autres instruments et une acoustique agréable
fit son entrée officielle sur l'esplanade de l'édifice.
Le monument qui y
trône dédié à honorer les mémoires des glorieux chouhadas
de la lutte de libération nationale, fut nommé et consacré, Houbel,
cette divinité pré-islamique, considérée comme le
dieu principal parmi les dieux et le plus notable du panthéon de la Ka'aba, par ceux qui en voulaient à l'Algérie et qui juraient
détenir la vérité. Alors que les algériens prétendaient,ce
faisant, comme les autres peuples et nations du monde, vouloir simplement
accueillir le nouveau millénaire. Le groupe Raïna Ray
fit sensation, avec : ya zina
diri latye, et cheb khaled, chantait déjà : Ouine el harba ouine, et naissait ainsi le mythe du bateau pour
l'Australie, ce navire qui accostera au port d'Alger et embarquera tous les
jeunes qui voudront partir au loin, dans l'hémisphère Sud, pour refaire leur
vie. L'Eden quoi. La musique africaine était, cette
année là, à l'honneur, et le yellowman, l'albinos
malien, Salif Keïta, entonnait son reggae africain. Mory Kanté, le guinéen, le magicien fabuleux et virtuose
joueur de cora, meubla l'une des plus belles nuits juilletistes algéroises. Il
y avait aussi Touré Kunda du Sénégal, et le groupe
antillais kassav, qui signifie en créole, galette de
manioc, qui fit zouker toute l'esplanade, et bien sûr
les rockers du groupe algérois T 34.Malgré la présence de toutes ces vedettes
de rêve, et la quasi gratuité de l'entrée, l'atmosphère semblait être
illusoire, la fête était artificielle, je peux en témoigner, j'étais présent.
Beaucoup de jeunes dansaient en criant :«sans pitié»,
mais nul ne saisissait le message, et tous mettaient cela sur le compte de la
soif de ces jeunes de s'éclater, comme ils disaient à l'époque.
Après la fête,
c'est-à-dire, durant la nuit du 26 août 1985, à la veille de l'Aïd, l'école de
police de Soumaa fut attaquée et il y eut mort
d'homme. Et de nouveaux éléments de langage furent leur apparition :
ratissages, bouclages, faux barrages, ninja. Si les
trois premiers mots, évoquaient pour les algériens des pratiques de terreur et
d'épouvante, de l'armée française en Algérie.
Les ninjas qui sont des guerriers japonais vêtus de noir, avec
une cagoule masquant leur visage, qui accomplissent des exploits physiques en
combat, des acrobaties, et qui étaient experts dans les techniques de
dissimulation, d'empoisonnement, et surtout de diversion. Que la télévision
avait popularisé, par le biais d'une bande dessinée, fortement suivie par les
jeunes, à l'époque en Algérie. Donneront l'occasion aux jeunes d'accoler ce nom
à tous les membres des différents services de sécurité, qui portaient pour des
raisons de service des tenues, noires ou bleues nuit, furtives, avec cagoules.
L'arrivée de l'antenne parabolique collective, qui était pour quelque chose,
dans la dénomination ninjas des policiers, renvoya
Dallas, les feuilletons égyptiens et autres causeries religieuses du lundi de
l'égyptien El Ghazali, au loin, et les élimina des discussions de tous les
jours.
Les algériens
sont désormais informés en même temps et au même niveau que les européens,
français, italiens et espagnoles. Ils partageaient désormais, avec eux
l'actualité en temps réel.
Celle des
européens, la leur, et celle du monde aussi. Quelle fenêtre pour respirer au
travers de l'image, quel exutoire, quelle victoire sur le sort, grâce à la
technologie !les algériens se sont d'un coup, par la magie d'un câble coaxial,
affranchis de la langue de bois servie matin, midi et soir, par les infos de
leur télé nationale. Les algériens d'un coup ne sont plus prisonniers des
horaires de leur chaîne unique de télévision. Ils pouvaient désormais regarder
les chaînes françaises à n'importe quelle heure, et avaient les informations et
les nouvelles du monde au petit déjeuner. Ce fut aussi jusqu'à preuve du
contraire, depuis l'indépendance du pays, la seule occasion où des algériens se sont organisés en groupes, pour participer ensemble à
installer un équipement collectif, qui plus est payant, sans accrocs notables.
La chaîne
nationale forcée, dut s'adapter, avec plus au moins de bonheur. Copier le
Téléthon français, ne fut pas uns mince affaire, et se termina par des bides et
des flops, indécents. Le programme d'ajustement structurel, les accords avec le
F M I, les lettres d'intention, firent les choux gras des débats entre initiés,
dans les quelques journaux indépendants. Pendant ce temps, la jeunesse
inventait les concepts, Entik et Normal, finalement
deux mots passe partout, mais ils procuraient à leurs auteurs, l'économie de ne
plus être contraints de faire des phrases conventionnelles. Ce furent, peut
être aussi, des mots et surtout des maux, qui imposèrent le silence à nos
jeunes et qui depuis les empêchent de dialoguer et les forcent à agir et réagir
violemment, quand ils veulent se faire entendre. Les maux procréent des mots et
ces derniers créent, des maux. Doit-on alors ressasser indéfiniment ces mots et
ces maux, ou bien doit-on avancer ?
*-organismes
étatiques de distributions de divers produits, alimentaires, semoule, de
matériaux de construction, d'appareils électroniques, et de chaussures.
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Posté Le : 06/10/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abdelkader Leklek
Source : www.lequotidien-oran.com