Algérie

Ô raï, ô désespoir !



Après avoir défrayé la chronique musicale, voilà que le raï se fourvoie du côté des faits divers. Khaled en avait inauguré le chemin. C?est Mami, maintenant, qui se retrouve aux devants de la scène judiciaire, sous les sunlights de la curiosité publique, avide de peoples, terme paradoxal par lequel on désigne tous ceux qui ne sont pas ou plus le peuple ! Bien sûr, quand les deux plus grands noms d?une musique se trouvent cités, à tort ou à raison, dans de scabreuses histoires, il est aisé de tirer des conclusions sur cette musique elle-même. C?est exactement ce qu?il convient de ne pas faire. Ces jours-ci, pourtant, dans la foulée des révélations et des indiscrétions sur l?affaire Mami, que de commentaires ! Radicalistes : « Ces artistes, tous des pervers ! » Puristes : « Pas étonnant pour une musique née dans les cabarets. » Très vite, le pas est franchi pour fustiger un genre musical qui n?en demande pas tant. On oublie, ainsi, pour des tribulations somme toutes individuelles et qui relèvent de la justice, que le raï, comme tout courant musical, est le fruit de circonstances sociales et historiques précises et d?un humus culturel donné. Ce n?est pas par hasard qu?il a été porté par les jeunes défavorisés qui y ont investi l?esprit « m?refez » (de refus) qui a conduit aux émeutes d?Oran (1984), puis de plusieurs autres villes, avant de culminer en octobre 1988 à Alger. On pourrait retracer ce parcours de la révolte dans le territoire national et constater que le raï s?est propagé à leur diapason. Pas un hasard non plus que l?essor de cette musique corresponde, point par point, avec le crescendo de la crise économique des années 1980, les dérives de gouvernance et la montée en puissance du désarroi collectif. Un processus déjà observé avec la nouvelle chanson kabyle qui avait accompagné les événements de Tizi Ouzou en 1980. Comme toutes les musiques populaires, blues, fado ou autres, porteuses de désespoir et de malvie, le raï est d?abord le produit d?une société. S?en prendre à lui pour ne pas voir les maux de celle-ci, équivaut encore à rendre le thermomètre responsable de la canicule. Le raï est devenu un pan de la musique algérienne dans toute sa diversité et il continue à vivre en Algérie (voir interview p. 22), même si après son internationalisation, il a perdu de sa substance initiale. Le blues, forgé dans la douleur des esclaves noirs, est passé de mode. Mais il demeure un genre incontournable pratiqué et aimé par des millions d?individus. Ni les hit-parades ni le marketing n?y changeront quelque chose. Il reste que Mami devrait recruter un conseiller en communication !


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