Algérie

«Nuits du cinquantenaire de l'indépendance nationale» à l'IDRH : L'échec d'un projet interrogé



Brahim Senouci, professeur à l'université Cergy-Pontoise-Paris et Mohamed Bahloul, professeur directeur de l'IDRH, qui ont inauguré, dans la soirée du lundi au mardi, le cycle des conférences programmées dans le cadre des «Nuits du cinquantenaire de l'indépendance nationale», ont établi le même constat : un demi-siècle d'indépendance nationale est jugé comme un échec, que ce soit par les élites nationales, par les politiques ou par les simples citoyens. Pour expliquer ce sentiment d'échec, Brahim Senouci a fait un long détour par ce qu'il a appelé «la carte mentale» du colonisateur. Pour lui, en France, aussi bien l'opinion publique que la classe politique ne se sont pas encore départies de leur vision colonialiste. Dans ce sens, il avancera une série d'exemples pour étayer sa proposition. Le plus récent est la volonté de transférer les cendres de Bigeard, un tortionnaire lors de la guerre de libération nationale, aux Invalides. Il remarquera que ce fait n'a pas suscité de réactions en Algérie et qu'en France, très peu d'intellectuels se sont opposés à cette volonté. Evoquant la question de «la repentance», il dira que les atrocités commises par la France, durant la longue nuit coloniale, sont toujours considérées comme «une simple parenthèse dans la grande histoire de la France». Faisant le parallèle entre ce qui s'est passé entre la Chine et le Japon, où ce dernier pays a fini par renoncer à la commémoration officielle des «âmes» des officiers nippons qui avaient commis des monstruosités contre les populations chinoises, il dira que «c'est le poids économique de la Chine qui est derrière ce renoncement». Plus explicite, il avance qu'un pays n'est écouté que lorsqu'il représente un poids sur l'échiquier, soit régional ou international. Ce qui n'est pas le cas de l'Algérie présentement. Un autre indicateur de l'échec d'un demi-siècle d'indépendance. Cependant, il avancera une autre raison, plus grave, de cet échec. «Nous avons du mal à nous émanciper totalement du regard de l'autre», lancera-t-il. Ce qui explique, selon lui, la haine qu'on a envers nous-mêmes. Et surtout le mépris de notre histoire. L'opacité qui entoure toujours ce qu'on appelle la décennie noire est la manifestation la plus flagrante de ce mépris de notre histoire, estimera-t-il. Pour preuve, explique-t-il, on ignore même le nombre exact des victimes de cette période de terrorisme. Comme contre-exemple, il avance le cas de «Bloody Sunday» en Irlande où, jusqu'ici, on célèbre les 13 morts.
Plus direct, Mohamed Bahloul estimera que le consensus autour de cet échec est un acquis en soi. Revenant aux célébrations du cinquantenaire, il énumérera quatre approches. La mythique dont se charge les hommes de lettres et des arts consistant à valoriser les hauts faits de la période de résistance ou de lutte contre le colonialisme. L'approche critique consistant à déconstruire le passé pour établir des vérités et surtout se projeter dans l'avenir. Les deux autres, les plus dangereuses, sont l'approche apologétique, de mise par les institutions publiques, caractérisée par l'absence de tout regard réaliste, et enfin l'approche nostalgique. Cette dernière se résume à une «néo-indigénisation» de tout ce qu'a essayé et réussi à socialiser l'entreprise de «construction de la figure du colonisé» engagée par les sciences coloniales. Mohamed Bahloul mettra en garde contre l'approche essentialiste faisant du colonisé d'hier (l'Algérien) un corrompu de nature, un rentier de fait et un violent de naissance. Pour lui, l'urgence consiste à trouver un cadre d'analyse des cinquante années d'indépendance loin de cette approche. Que ce soit la violence, la corruption ou la rente, elles sont des phénomènes sociaux et doivent être appréhendées comme «coût à la modernité». Dans ce cadre, il annoncera, en se référant à une récente étude réalisée par un Nobel de l'économie, qu'uniquement 25 pays, ce qui représente 15% de la population mondiale, satisfont aux critères de pays réellement démocratiques. Soulignons que l'intitulé de l'intervention de nos deux professeurs était «Optimismes de l'indépendance, pessimismes de l'intelligence : lectures plurielles du cinquantenaire».


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