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ntelligence artificielle ou la machine à prédiction et ses problématiques


ntelligence artificielle ou la machine à prédiction et ses problématiques
Publié le 16.10.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie
Par le Pr Mohamed Mezghiche, universitaire

Au cours de la dernière décennie, la puissance des technologies d’intelligence artificielle a considérablement augmenté dans les secteurs de haute précision tels que les voitures sans conducteur, les systèmes de surveillance et la reconnaissance d’images et de la voix. L’intelligence artificielle suscite donc un grand intérêt chez les hauts fonctionnaires, les chercheurs universitaires, les entreprises et de nombreux pans de la société. Plusieurs articles ont été publiés et des citations ont été émises sur cette nouvelle technologie, dont l’excellent article de Abdelkrim Herzallah(1). Rappelons tout de même la citation d’un responsable de la société chinoise Baidu (Google chinois) il dit : «L'intelligence artificielle est la nouvelle électricité.» Il a comparé le développement de l'intelligence artificielle à la découverte de l'électricité au XIXe siècle. Tout le monde connaît l'importance de l'électricité dans le monde, elle a été à l’origine du développement de l'industrie et aussi consacré un saut qualitatif dans la vie quotidienne en introduisant le confort de l’utilisation d’une énergie «bon marché». Entre autres déclarations, la déclaration qui a attiré l'attention de beaucoup de décideurs était la déclaration du président russe Vladimir Poutine, dans laquelle il a souligné : «L'intelligence artificielle n'est pas seulement l'avenir de la Russie, mais l'avenir de toute l'humanité. Cela offre d'énormes opportunités, mais cela représente des menaces difficiles à prévoir. Celui qui deviendra le premier dans ce domaine dirigera le monde». Nous retrouvons également le même sentiment et la même peur chez Elon Musk, l'homme d'affaires américain, quand il a appelé à la création d'un organisme public chargé d'assurer et de contrôler de manière sûre le développement de l’intelligence artificielle. Elon Musk estime que le danger de l’intelligence artificielle est bien plus grand que celui des missiles nucléaires.

Une question qui peut se poser est la suivante tout naturellement : quels sont les dangers, les atouts et les avantages de l’intelligence artificielle ? À ce stade, il est difficile d’apporter des réponses à cette question ou d’imaginer les futurs développements de l’IA. Aucun expert ne peut s’aventurer à fournir une réponse complète à cette question, au mieux il peut indiquer des issues probables ou faire de la fiction. Mais on peut contribuer, en présentant certains éléments, à ouvrir le débat sur ce sujet. Inévitablement ceci aidera à prendre conscience des diverses conséquences de l'utilisation de l'intelligence artificielle dans la société.

Mais un débat nécessite toujours de clarifier et de poser les problèmes sur lequel il existe des opinions divergentes. Tout d’abord qu’entend-on par «intelligence artificielle». Pour éviter d’adopter une position ou se faire une opinion basée sur l’ignorance ou une mauvaise compréhension de ce qui est l’IA, nous devons lever toute ambiguïté sur cette technologie et avoir une idée comment ça fonctionne. Il nous semble préférable, avant toute chose, de revenir sur son historique de développement.

Sans remonter le temps assez loin, on peut souligner que la parution des langages programmation symboliques a permis de proposer plusieurs applications classées comme programmes d'intelligence artificielle. Parmi ces programmes citons le programme «Elisa», qui permet un dialogue et d'interagir avec son utilisateur, citons aussi le programme «Mycin», qui peut diagnostiquer certains types de bactéries et analyser des maladies du sang. Les techniques employées pour les développer sont considérées aujourd'hui comme triviales.

Au cours des années 1990, la puissance des ordinateurs s’est accrue et leurs capacités de traiter un grand nombre de données, permettant aux chercheurs en intelligence artificielle de développer ce qu’on appelle «machine learning» à l’aide d’algorithmes souvent de statistique, de classification et d’optimisation exécutés sur un large ensemble de données.
Ces algorithmes sont connus par les mathématiciens depuis les années 50 du siècle dernier. Depuis, plusieurs techniques se sont développées, dont la plus efficace est appelée «réseau de neurones» et «apprentissage profond».

Ce qui distingue ces différentes méthodes ce sont les outils mathématiques utilisés.

Il reste à clarifier c’est quoi « apprentissage automatique» et comment un ordinateur «apprend»-il ? Beaucoup d’entre nous pensent que l’apprentissage est une qualité d’un être pensant et non d’une machine. Répondre avec précision à ces questions nécessite d’expliquer plusieurs concepts, ce qui dépasse le cadre de cet article. Mais on peut avoir une vision claire du sujet à travers l’exemple du programme de reconnaissance d'images. Imaginez un ordinateur équipé d’une caméra et capable de renvoyer des réponses justes identifiant chaque image présentée. Ce programme utilise ce qu’on appelle «l’apprentissage automatique supervisé» et comprend les étapes suivantes. Tout d’abord, on procède à la préparation de l’ensemble de données (Dataset) : plus le nombre de ses éléments est grand, meilleur sera l’apprentissage automatique. Ce Dataset se compose de plusieurs images différentes accompagnées de leurs noms. La deuxième étape consiste à définir un modèle. Le modèle d'apprentissage automatique pour la reconnaissance d'images, doté de certains paramètres, peut être basé sur la classification, c'est-à-dire la formation de plusieurs sous-groupes de l'ensemble des données initiales, chaque sous-groupe contient des éléments similaires (chats, personnes, arbres, etc.). La troisième étape consiste à définir la fonction, appelée fonction de coût, qui évalue la différence entre l'image réelle et l'image reconnue par le programme. L’étape finale, un algorithme est utilisé pour calculer la fonction de coût minimum (on calcule un optimum de la fonction). Après l’ajustement des paramètres (l’entraînement) pour atteindre l’optimum de la fonction de coût, notre application est prête et elle prédit les bons résultats avec de très faibles erreurs. Il existe plusieurs programmes disponibles qui aident à choisir le style d'apprentissage automatique. Quant à «Chatgpt» (chatgpt), le programme qui a fait l'événement ces derniers mois, la société qui l'a développé a utilisé un modèle appelé «Generative Pre-trained Transformer» en français «Transformateur pré-entraîné génératif». L’entraînement de ce programme a nécessité des millions de données, car il est devenu capable de générer, à partir de la question de l’utilisateur, un texte dont le sens est cohérent avec la question.
Finalement on peut dire que «intelligence artificielle», ce n’est qu’une «machine à prédire». Si on pose à la machine une question elle considère la question comme un ensemble de mots à compléter. Elle choisit celle la plus probable parmi les milliers des réponses possibles. L’efficacité vient du fait de l’ensemble de textes qui lui ont été fournis lors de la phase «d’apprentissage» et du modèle considéré.

L’IA dans la société

Au début de ce siècle, l’intelligence artificielle a commencé à envahir les sociétés occidentales et les grandes villes asiatiques. Son utilisation est apparue dans plusieurs domaines, comme la reconnaissance automatique et l’imitation de la voix d’une personne, la vision artificielle, et bien d’autres usages. Ces dernières années, les capacités des outils informatiques (langages, programmes, application) sont devenues plus performantes et les technologies de stockage de données ont contribué à l’émergence d’une série d’applications dites intelligentes et à la prise en charge du traitement quotidien de très grands ensembles de données. Des compagnies à l’image de FaceBook, Google, Microsoft exploitent les données de leurs abonnés à des fins commerciales.

Le développement rapide de la science de l’intelligence artificielle de ces dernières années suscite toujours un grand débat dans la plupart des pays du monde. La recherche sur ces technologies «intelligentes» continue d’explorer de nouvelles voies et de repousser les limites de l’intelligence artificielle.

Impact de l’IA

Il est naturel que l’on s’interroge sur les avantages ou les dangers de ces technologies si elles viennent d’être largement utilisées dans la société. L’intelligence artificielle, comme toute autre technologie, présente des avantages et des risques. On peut, par exemple, l'utiliser comme outils de planification du secteur économique d’un pays ou d’une entreprise industrielle.
Dans l’article(2) les auteurs rapportent que la grande entreprise américaine Amazon fait appel, pour son développement, aux méthodes de la planification socialiste comme au temps des soviétiques sauf que ces derniers n’avaient pas à leur époque les moyens qu’offre l’IA aujourd’hui. L’IA peut être considérée comme un apport au développement des forces productives dans la société. C’est donc un progrès.

L’intelligence artificielle a aussi ses inconvénients, et son impact a commencé à changer la vie quotidienne des citoyens dans de nombreuses sociétés. Nous observons des niveaux sans précédent de violations de la vie personnelle dans les pays développés. Le résultat d’une surveillance systématique grâce à des caméras et à la reconnaissance faciale. L'utilisation dans les institutions de certains algorithmes dont le fonctionnement induit certaines ségrégations, car ces programmes reflètent l'opinion de leur concepteur qui peut être raciste ou avoir certains préjugés. Les données des utilisateurs des réseaux sociaux sont la propriété des plateformes (Google, Facebook, Youtube, ...). Ces plateformes ont le pouvoir de connaître, de manière effrayante, tous les mouvements et opinions de leurs utilisateurs. Des expériences passées ont montré que ces entreprises ont la capacité de contrôler les politiques de beaucoup de pays, comme elles peuvent aussi fomenter et orienter leurs abonnés contre l'intérêt de leur propre pays dans l’intérêt de lobbys qui ont des intérêts majeurs dans le changement des régimes populaires.

Les aspects dangereux de l’intelligence artificielle peuvent amener les gens à adopter certaines réticences ou même des résistances à l’accepter. C’est aller à contre-courant du progrès scientifique et technologique par un tel comportement.

Le problème, comme le dit Marx, c’est le système capitaliste libéral, qui ne se soucie que d’accumuler des profits. L’objectif du libéralisme est de transformer toutes les activités humaines en marchandises, l’éducation, la santé et la culture seront une source de profit entre les mains d’une minorité de commerçants.

La peur d’exploiter l'intelligence artificielle contre les intérêts de la majorité de la société est réelle. Le capital numérique a commencé à transformer les données des utilisateurs des plateformes et des réseaux sociaux en marchandises, vendues et utilisées quotidiennement pour connaître les tendances de leurs consommations et de leurs comportements. Ces données ont une forte influence sur la société. Seront-elles un bien public contrôlé par les pouvoirs élus ou la propriété de sociétés privées livrées à la marchandisation ? À l’avenir, cette contradiction d’intérêts pourrait constituer un conflit aigu entre intérêt public et intérêt privé, où le vainqueur de ce conflit serait celui qui contrôlera l’utilisation de l’intelligence artificielle.

Et notre pays dans tout ça ? La volonté de développer et maîtriser cette technologie existe, elle est marquée, entre autres, par le lancement d’une école supérieure de l’intelligence artificielle et par le renforcement de son enseignement dans plusieurs universités. Mais la voie pour concrétiser ces objectifs reste semée d’obstacles. L’informatisation a gagné beaucoup de place dans notre société.

Le citoyen peut aujourd’hui avoir beaucoup moins de tracasserie pour se faire délivrer ses papiers d’état civil (passeport, carte nationale, …). Le paiement électronique fait son chemin doucement mais sûrement. L’étape de numérisation, pré-requis au développement de l’IA, reste encore loin pour atteindre une position satisfaisante. La numérisation poussée engendrera une masse importante de données qui sont le moteur des applications «intelligentes». La stratégie qui se dégage pour tirer profit de l’IA est donc d’accélérer la numérisation véritable des différents secteurs (santé, énergie, …) et d’appuyer les efforts d’une formation de qualité.
M. M.
1) Abdelkrim Herzallah «L’intelligence artificielle : entre espoir et exigences» Le Soir d’Algérie du 9/10/2023.
2) Leight Philips et al ; Yes, a planned economy can actualy work ; consulté dans l’url : https://jacobin.com

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