Le 1er Novembre a
de nombreux héritiers. Mais de quoi ont-ils hérité au juste ?
Et qu'en ont-ils
fait ? Ce sont de petites évidences, sur lesquelles le temps a jeté un discret
voile de l'oubli. Des évidences qu'on évoque à voix basse lors des
anniversaires et commémorations, pour passer rapidement à autre chose, alors
qu'elles ont animé les grands moments de la vie du pays et constitué les
piliers de son histoire. Le temps, cet ennemi de la vérité, qui transforme le
gris en blanc et les opportunistes en héros, a occulté ces évidences ; ils les
a poussées vers la marge, ou transformées en éléments folkloriques que
brandissent de vieux militants au physique incertain.
Le temps a fait son Å“uvre, donc. Mais pas
seulement lui. Car les hommes aussi ont contribué à cet oubli. Ils y ont même
beaucoup contribué. Et pour les hommes, les motivations sont très concrètes.
Elles englobent pouvoir, argent, rente, honneurs et influence. Beaucoup avaient
intérêt soit à manipuler ces évidences, pour en tirer profit, soit à les
occulter, pour éviter d'exposer leurs défaillances. Car celui qui impose sa
lecture du passé réussit le plus souvent à imposer son pouvoir.
Quand ce jeu concerne des personnes, il est
toujours possible de trouver la parade. Il suffit d'un témoin, d'un document,
pour rétablir la vérité. Quand ce sont des groupes politiques et sociaux qui se
mobilisent pour manipuler l'histoire s'accaparer de pans de entiers, il devient
plus difficile de s'y retrouver. Mais quand c'est une majorité qui adopte une
lecture partiale de l'histoire, comme si les Algériens avaient décidé de ne
plus regarder leur passé en face, il devient périlleux de s'accrocher à ces
bribes de vérité, à ces évidences que la masse a décidé d'ignorer.
C'est ce qui arrive précisément avec un thème
majeur de la guerre de libération. Il s'agit de la filiation idéologique du 1er
novembre, avec ses immenses implications sur notre présent et sur l'avenir du
pays. Pendant un long moment, pendant la guerre de libération et après
l'après-indépendance, un slogan a dominé la vie politique du pays : « un seul
héros, le peuple ». C'était une démarche habile pour effacer Messali Hadj puis
faire oublier Ahmed Ben Bella, entre autres, mais aussi pour donner au pouvoir
une assise populiste, avec un discours aussi facile primaire que facile. Il
suffisait de flatter le peuple pour être dans la ligne, et devenir légitime.
La guerre de libération était cependant trop
proche, et personne n'était dupe. Les exclus – Ferhat Abbas, Mohamed Boudiaf,
Hocine Aït-Ahmed, Krim Belkacem, puis Ahmed Ben Bella, et tant d'autres-
disparaissaient du discours officiel, mais leur poids politique ou moral
restait très fort. Pour une raison simple : ils étaient attaqués par des
groupes qui détenaient le pouvoir, mais qui utilisaient un discours qu'ils
avaient empruntés à ces mêmes opposants !
Le changement est venu plus tard, lorsque des
groupes idéologiques, politiques ou sociaux se sont mis à l'Å“uvre pour tenter
de donner un autre sens à la guerre de libération. Entre ceux qui affirmaient
que le 1er novembre avait pour objectif de rétablir une douteuse authenticité,
ceux qui le prédestinaient pour jouer le rôle moteur d'une révolution sociale à
venir, et d'autres qui y voyaient le premier pas vers le rétablissement d'un
mythique califat, la guerre était ouverte. Elle n'a jamais cessé depuis, avec
notamment une offensive ininterrompue de ceux qui voulaient faire de Abdelhamid
Ben Badis le personnage clé du mouvement national durant la première moitié du
XXème siècle.
Ferhat Abbas, quant à lui, n'avait guère de
partisans en mesure de l'imposer comme symbole du mouvement national. Le
courant populiste est, de son côté, disqualifié par l'itinéraire ambigu de
Messali, et par le bilan mitigé de sa gestion de l'après-indépendance. La chute
du mur de Berlin a exclu les courants de gauche. Il ne reste dès lors que les
islamistes pour tenter encore de se placer comme parrains idéologique du 1er
novembre, ce qui est évidemment une supercherie.
Mais ce qui est encore plus grave pour le
pays tout entier, c'est que le courant populiste, qui a constitué la colonne
vertébrale du mouvement national, renie ses propres fondements. Il n'arrive pas
à admettre que sa lutte était, certes, fondée sur des aspirations à la liberté
et à l'indépendance, mais que ses références étaient plus proches des idées des
Lumières que de celles des zaouias ou de toute forme d'organisation
traditionnelle de la société algérienne.
Le succès du 1er novembre n'est pas le
résultat des seuls sacrifices et de l'héroïsme abstrait du peuple. Il est
aussi, et en premier lieu, le produit de l'accès des dirigeants du mouvement
national à la modernité : utilisation des formes modernes d'organisation, prise
en charge de la société selon des méthodes modernes, mise en place du noyau
d'un état moderne, adoption d'un discours moderne sur des thèmes comme la
libération de la femme, l'accès de tous à l'école et au savoir, égalité entre
tous les citoyens, etc. L'accès à cette modernité, malgré le caractère
largement archaïque de la société, a été le prix à payer par l'élite algérienne
pour parvenir à l'indépendance, alors que les formes traditionnelles de lutte
et de résistance, même celles menées par des hommes de l'envergure de l'Emir
Abdelkader, n'avaient pas abouti. En ce sens, le 1er novembre trouve ses
sources dans les Lumières, non dans des références religieuses, claniques ou
tribales.
Aujourd'hui, des courants idéologiques
tentent d'occulter cette réalité historique pour imposer leur vision de la
société. Ils veulent rattacher le 1er novembre à des racines qui ne sont pas
siennes. C'est une supercherie, mais cela fait partie du jeu. Ce qui est plus
troublant, par contre, c'est que ceux qui se prétendent héritiers du 1er
novembre accompagnent ce mouvement, et laissent le pays revenir aux archaïsmes
qui avaient rendu possible la colonisation de l'Algérie.
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Posté Le : 29/10/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com