Algérie

« Nous voulons un printemps émanant de l'urne »


Quelle appréciation faites-vous du discours du chef de l'Etat à Oran 'Le chef de l'Etat a adressé des signaux à la nation et à toute la classe politique. Nous avons senti, à travers ses propos qu'il veille à l'organisation d'élections libres, transparentes, voire inédites. Mieux, il a donné une grande importance à ce rendez-vous électoral en le comparant au 1er Novembre 54. Il a fait comprendre clairement que la réussite de cette épreuve nous éviterait une ingérence étrangère et l'échec signifierait que l'Algérie s'ouvrirait à d'autres choix. Nous partageons les mêmes convictions et les mêmes analyses que le président de la République qui, à travers ce discours, a exprimé une volonté politique de mener à bien le scrutin du 10 mai prochain. Cependant, à notre avis ce discours ne suffit pas à lui seul pour réussir le pari. Il faut qu'il soit suivi d'autres dispositions, que nous avons transcrites dans un mémorandum qu'on a adressé justement à la plus haute autorité du pays avant qu'elle ne convoque le corps électoral. Le but étant de combler le vide que les éventuels fraudeurs pourraient être tentés d'exploiter.
En quoi consistent ces dispositions '
Ennahda plaide pour l'élargissement des prérogatives des magistrats qui, pour la première fois dans l'histoire de Algérie, s'impliquent directement dans l'opération électorale. Il faut savoir à ce titre que la supervision judiciaire n'est pas consacrée du début jusqu'à la fin du processus électoral, étant donné que les recours sont toujours confiés au Conseil constitutionnel. D'où notre appel à l'élargissement des attributions de la Commission nationale judiciaire de supervision et de contrôle des élections. Celle-ci doit avoir le pouvoir d'intervenir pour rétablir les situations à tout moment. Elle doit être aussi en contact permanent, sans intermédiaire, avec les partis politiques et la Commission nationale indépendante de contrôle des élections. Ainsi, l'application de ces mesures permettrait aux magistrats de jouer un rôle important dans ces joutes. La justice, aujourd'hui, est face à un test pour prouver son indépendance et sa capacité à apporter sa pierre à l'ancrage du pluralisme politique en Algérie. L'occasion s'offre à elle pour réduire la mainmise de l'administration. La commission nationale de surveillance des élections représentée par les partis politique doit être présente, quant à elle, au niveau des commissions communales et de wilaya et des centres de dépouillement. Par le passé, la commission indépendante a joué un rôle d'intermédiaire entre l'administration et les partis, aujourd'hui, il faut qu'elle jouisse d'un véritable pouvoir de contrôle des élections. Dans le même sillage, les partis politiques doivent être présents au niveau des commissions communales et de wilaya, que l'on qualifie de chambres noires, loin de l'hégémonie de l'administration. Mesure qui n'est pas consacrée dans l'actuelle loi électorale. Ennahda tient à attirer l'attention également sur le rejet par l'administration de listes électorales souvent sans justification valable, brandissant le prétexte de menace à l'ordre public. La loi et la Constitution indiquent qu'une personne est innocente jusqu'à preuve du contraire. La suppression de l'un des droits civiques ou politiques des citoyens doit se faire sur la base d'un jugement de justice et non pas au gré de l'administration. Cela dit, nous espérons une réponse de la part du chef de l'Etat qui se traduira sous forme de décrets présidentiels pour pallier les défaillances toujours de mise.
Où en sont vos préparatifs pour les prochaines législatives '
Le conseil consultatif du parti a décidé depuis une année de mettre en place la commission nationale de préparation des élections. Ensuite, nous avons installé les commissions communales et de wilaya. La semaine derrière, l'instance suprême du parti a décidé de prendre part aux législatives et a adopté, à l'occasion, une résolution délimitant les critères des candidatures. Suite à cela, nous avons adressé une instruction aux wilayas pour enclencher les candidatures. En ce qui concerne l'implication de la femme dans ce processus électoral, nous sommes prêts à appliquer à la lettre la loi, autrement nos listes seront rejetées. J'affirme qu'Ennahda a toujours valorisé la femme et lui a même attribué le droit d'être tête de liste.
Certains acteurs de la scène politiques affichent une appréhension quant à une éventuelle victoire des islamistes lors des prochaines élections...
Les partis politiques agréés sont soumis à la loi et à la Constitution. Donc, nous sommes des institutions constitutionnelles et la loi fondamentale du pays indique dans son article 2 que l'Islam est la religion de l'Etat. On n'a en aucun cas accaparé cette référence. Nous accomplissons des efforts, « ijtihadate », et si nous échouons, cela ne signifie pas que l'islam a échoué. Les partis ne nous font pas peur, dans le cadre de la compétition politique. On appelle les partis politiques à une concurrence loyale dont seul le peuple sera juge. Si toutefois, le peuple vote pour le courant islamiste, on ne sera pas partisan de l'exclusion. On estime que la prochaine étape a besoin d'une entente entre les partis politiques, qu'ils soient démocrates, nationalistes ou islamistes. On doit s'entendre sur un programme qui sert le pays. Je ne pense pas qu'il existe un parti qui soit contre par exemple l'éradication de la corruption, l'équité dans la distribution des richesses, et des logements... Toutes ces questions n'ont pas de couleur politique. Abdelaziz Belkhadem a affirmé que le taux de réussite des islamistes ne pourrait pas excéder les 40% lors des législatives. Quels sont vos pronostics '
Les pourcentages sont habituellement l'émanation des centres de sondage. Chose qui n'existe pas en Algérie. Il faudrait lui poser la question sur quelle base il a avancé ce chiffre. A notre avis, donner des pourcentages sans se référer à des centres spécialisés est inquiétant. Ce qui indique peut-être que la logique des quotas est toujours de mise. On refuse catégoriquement ce principe. La déclaration de Belkhadem a pour but, peut-être, d'orienter l'opinion publique vers une situation précise. Il faut réunir les conditions idoines pour la bonne tenue des prochaines élections au lieu de verser dans la polémique. Le président de la République pourrait mettre en place un gouvernement non partisan. Les ministres doivent aussi démissionner de leurs postes bien avant les élections, afin qu'il y ait une équité entres toutes les formations politiques.
Soltani a fait savoir qu'il s'est entendu avec vous, le Front du Changement et El Islah, pour entrer en course avec des listes communes. Où en est ce projet '
Effectivement, nous avons entamé une initiative dans ce sens, pour des listes communes le jour du scrutin et ce, au niveau de toutes les wilayas. Nous voulons être un groupe fort au prochain parlement, capable de demander des comptes au gouvernement. Nous nous sommes entendus sur le fait que la prochaine étape se doit d'être celle de l'entente, où aucun courant ne détient le monopole. Surtout qu'il s'agira d'amender la Constitution et de parachever le processus des réformes nationales. Nous avons ensemble des ambitions préélectorales et postélectorales. Nous voulons une révolution, à travers l'urne. Le printemps de l'Algérie doit émaner des urnes. C'est ce qui nous a poussé à participer à ces élections et à nouer des alliances, aujourd'hui et plus tard, avec des partis qui ne sont pas dans l'opposition.
Quel rôle pourraient jouer les nouveaux partis politiques sur la scène nationale '
On était favorable à l'ouverture politique au début. A condition que cela ne soit pas une façade qui cacherait d'autres échecs. Cette ouverture restera sans effet sans le bannissement de la fraude électorale. Cela dit, il faut aller vers de plus profondes réformes et à un pluralisme politique qui traduit réellement la volonté populaire. Les nouveaux partis ne doivent pas être un simple décor. Pour notre part, on ne fait pas de différence entre un petit et un grand parti, car, malheureusement, c'est l'administration qui construit ces partis et non pas le peuple.
Ennahda de Fateh Rebei est-il capable de créer la surprise comme Ennahda d'El Ghanouchi '
Notre parti est différent de celui d'El Ghanouchi. Son parti a été dissous et il n'a repris l'exercice politique que depuis une année avant sa victoire électorale, alors que notre parti existe depuis les années 90. Nous avons des expériences différentes et nous subissons des réalités différentes aussi. Notre seul point commun c'est la même référence politique à laquelle nous appartenons. Cette même référence à ses particularités en Algérie. Nous nous considérons comme un prolongement de l'association des oulémas musulmans, et des adeptes des idéologies de Malek Benabi à laquelle se réfère beaucoup Ennahda tunisienne.
Mais Ennahda de Rebei n'a pas le même poids politique qu'avait le parti du temps de Djaballah...
Ennahda a toujours était grand et il le sera aussi dans le futur proche. Au sein d'Ennahda, les personnes viennent et partent, car sa véritable force réside dans ses idées et ses institutions. Pour porter un jugement sur Ennahda de Rebei, il faut le faire, à travers des élections libres et crédibles. Je suis convaincu que les hommes sont les serviteurs de programmes, et c'est au peuple que reviendra la décision de juger qui est grand et qui est petit.
Quelle sera votre position concernant le code de la famille si vous accédez à la prochaine assemblée '
Le code de la famille actuel est inspiré dans sa globalité de la chari'a. Seulement, celle-ci n'est pas figée. Certaines dispositions sont évolutives comme les phénomènes sociaux. Les dispositions principales de la chari'a sont intouchables, et les autres peuvent faire l'objet d'idjtihad. La question qui se pose aujourd'hui, qui est apte à faire cet idjtihad ' Toutes les lois renferment des lacunes. Je cite l'exemple du logement et de la pension de la femme divorcée qui doivent être revus. Les voix qui appellent à l'amendement du code de la famille n'ont pas pour but de l'améliorer en fonction de la chari'a, mais pour l'abolir. Ces voix expriment des idéologies occidentale, communiste ou orientale qui ne reflètent pas la culture algérienne. Nous sommes pour l'amendement et l'amélioration du code de la famille, mais en préservant les principes de la chari'a. Le législateur algérien a consacré dans l'article 11 du code de la famille, la position hanafite alors qu'en Algérie l'avis le plus répandu est le rite malékite en ce qui concerne le tuteur.
On dit que le mouvement Ennahda s'inscrit dans l'idéologie du salafisme et celle des Frères musulmans...
Notre parti profite de toutes les expériences. Il appartient à l'école centriste, à laquelle se réfère aussi l'association des oulémas musulmans. On se retrouve dans l'esprit de Malek Benabi, Foudil El Ouartilani, Omar Telemçani, M'barek El Mili...Certains d'entre eux avaient une empreinte du soufisme, du salafisme ou des Frères musulmans. L'Algérie renferme de nombreuses écoles. Ce qui fait sa richesse. Pour notre part, nous sommes un parti politique qui a une référence islamiste, certes, mais qui est ouvert à tous les courants politiques.
Etes-vous favorable à l'application du modèle turc en Algérie ' Ce modèle convient à la Turquie, pas à l'Algérie. L'expérience du courant islamiste algérien est plus riche que celle des Turcs. Il faut savoir que le modèle turc a bénéficié des idéologies algériennes, notamment celle de Malek Benabi. Il en est de même pour le modèle de Ennahda tunisienne, ceux malaisien ou indonésien qui ont bénéficié de sa pensée. Malheureusement, ici, en Algérie, les idées de Malek Benabi ne constituent pas une référence de base.
Il faut reconnaître que les islamistes ont entaché l'image de l'islam, compte tenu de toutes les séquelles du terrorisme...
De nombreuses parties ont contribué à noircir l'image des islamistes et de l'Islam. C'est au peuple que revient toujours le dernier mot et c'est à lui de dire s'il compte sur les islamistes ou pas et s'il leur fait confiance ou non. On souhaite qu'on nous donne l'occasion de gouverner pour prouver nos capacités et nous promettons du bien pour le pays Inch Allah. Ceux qui parlent de menace intégriste ne font que brandir des épouvantails pour tromper l'opinion publique. La réalité est tout autre. Mettons de côté cet esprit sectariste et conjuguons nos efforts pour bâtir une Algérie forte et prospère.
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