Algérie

Nous suffit-il seulement de hisser l'étendard sur les toits ?



A l'initiative, d'ailleurs louable, de M. Mihoubi, DG de l'ENRS, les étendards se sont élevés sur les terrasses d'Alger en ce 5 Juillet, fête anniversaire de l'Indépendance et de la Jeunesse. Mais ceci n'incite pas à la joie; faut-il toujours et encore tenir la main à un citoyen supposé l'être en lui distribuant l'emblème national à titre gracieux ?

Cette contribution, par ailleurs publiée en juillet 2005, est toujours d'actualité. Notre projet de société, en avons-nous eu d'ailleurs l'ambition, censé générer l'individu communautaire, serait-il en train de produire une communauté individualiste ? Au vu du vécu quotidien, il y a lieu de le penser. Nous avons, par mégarde ou par indigence intellectuelle, occulté l'un des traits saillants de notre mode de communication, l'oralité. Les meilleures des décisions qui soient, non soumises à débat, seront inexorablement vouées à la remise en cause, sinon à l'échec. Le plus cartésien de nos intellectuels palabrera avec son marchand de légumes ou son mécanicien. Ils parleront à la 3è personne du pluriel : « ils » ont fait ça ! ...ou pourquoi ont-« ils » fait ça ?...ou pourquoi n'ont-ils pas çà ?

Le marchand et le mécanicien seront d'autant plus confortés dans leurs assertions, dès lors que l'assentiment de l'intellectuel les conforte dans leur conviction. L'information à visée communicative, étant inaccessible ou absente, la fabulation la supplante. Irréelle parfois, elle s'insinue et s'incruste. Par la suite, on se refuge crânement dans « il n'y a pas de fumée sans feu ! ». Lors d'une simulation du plan O.r.s.e.c, dans une wilaya des profondeurs du pays, le branle-bas a suscité des commentaires populaires compréhensibles. Cela se passait en 1997. Le soir même du jour de la manoeuvre, l'un des responsables locaux annonçait à la cantonade, autour d'un couscous, que : ... « des ambulances ont ramené beaucoup de cadavres...; il y aurait eu un gros accrochage. On dit que la morgue de l'hôpital en est pleine ». Partie prenante de par notre fonction d'alors, nous avons eu du mal à rétablir la vérité. A la question d'où tenait-il cette information ? Il répondait, sans vergogne, qu'il tenait ça d'un proche qui serait un employé de l'hôpital. Convaincue, cette « tête pensante » pourtant, a joué sans le savoir un rôle vecteur crédible et nuisible à la fois, de par son appartenance au « sérail ». Cette difformité suspicieuse et cette propension à douter de tout ce qui est d'essence administrative, ne résulteraient pas forcément, de choix politiques ou d'orientations idéologiques. Les causes principales ou exclusives seraient à chercher ailleurs. L'administration coloniale, répressive de par sa nature, a laissé de profonds stigmates dans l'inconscient collectif; le mokhazni (chaouch) et l'huissier, de sinistre mémoire, y sont pour beaucoup.

Notre premier gouvernement, en exil pendant la guerre de libération nationale, ne se serait fixé probablement comme unique objectif que le recouvrement de la souveraineté nationale. Pour le reste, « on verra après ». Cette locution fatidique aura survécu jusqu'à nos jours. Nous avons naïvement pensé que le potentiel administratif légué répondrait, en toute évidence, aux nombreuses aspirations populaires. Ce serait peut-être l'une des raisons qui fait que la tendance à gérer des situations s'est durablement installée. La tendance à administrer la chose publique n'est peut-être pas pour demain.

En matière d'alternance politique, l'Algérie vient juste derrière les U.S.A qui n'ont eu, depuis 1963, que neuf (9) chefs d'Etat, l'Egypte n'en est qu'à son troisième(3) depuis 1952, notre pays est à son septième (7).

Aussi, le mode de gouvernance pour lequel avons-nous opté, de type républicain, est ce qu'il y a de « meilleur » sur le marché politique. Cette option s'est faite comme celle que nous faisons pour acquérir le récent véhicule, du dernier salon automobile. Son entretien, dans les court et moyen termes, ne constituera pas notre premier souci; ce n'est que bien plus tard, que les effets de l'usure se manifesteront. Il est admis par tous, que l'instrument d'exécution de toute politique réside dans l'efficience de l'administration mise en place; levier sur lequel s'appuiera tout cabinet gouvernemental pour atteindre ses objectifs de développement. Malheureusement, la relique administrative coloniale est encore vivace dans les us.

Si la commune de plein exercice est « partie » en 1962 avec ses géniteurs, les relents de la commune mixte, eux, ont survécu à la Révolution. Usant délibérément d'auto-flagellation, nous dirions que le président de la défunte délégation spéciale a « singé » l'administrateur civil de cette même commune mixte. Ne dit-on pas que l'habitude serait une deuxième nature ? Le président de la délégation spéciale a pris le relais pour le « refiler » au président de l'Assemblée populaire communale de la première mandature. L'amalgame s'est alors fait entre la vocation administrative de la commune, démembrement de l'Etat et l'assemblée élue. Son président se mua inconsciemment en administrateur, brandissant à tout va, « El-Qanoun ». Sous le générique de la Loi, tout y passe, de l'arrêt municipal à la circulaire, et de la décision administrative à la note de service. Le volet restrictif ou obligatoire prendra le pas sur la satisfaction d'un droit consacré au citoyen par les textes. Les délibérations de l'assemblée sont légalement publiques, sauf avis contraire. Certaines communes ont installé des mégaphones pour l'information générale, mais leur utilisation épisodique ou événementielle leur a fait perdre toute la portée de l'intention, au départ généreuse. Ne voilà-t-il pas, comme le dit si bien Fellag, un instrument qui peut suppléer à l'insuffisance en matière d'information locale ? Tout le monde n'est pas censé savoir lire un tableau d'affichage ou un communiqué de presse. Notre édile prendra la première des décisions de son mandat : être « hors de portée » dans son bureau, « décréter » deux jours par semaine pour la réception des électeurs qui, entre temps, sont devenus « le public ». Si les personnes importantes sont reçues par le président, « la plèbe » est confiée aux services administratifs qui en feront une balle de ping-pong. L'ex-kasma F.L.N, arabophone par obligation et militante par essence, a joué le rôle du modérateur entre l'administré et l'instance communale. A l'orée des années 80, le français demeurait la langue de travail, situation historique qui faisait suspecter l'administration communale, d'accointance avec le « hakem ». Cette vision caricaturale, pas générale heureusement, n'est pas moins vraie par beaucoup d'aspects. Ceci n'est pas délibéré, c'est souvent fait en toute bonne foi.

La dépossession morale de l'individu aurait commencé par l'inexistence de l'emblème national sur le marché. A l'indépendance, chacun s'est débrouillé pour confectionner le sien. Devenu officiel, il ne pouvait être disponible que pour les organismes étatiques et partisans; encore que, même pour ceux-ci, il n'était pas aisé de le trouver. L'oriflamme ne fit son apparition que dans les années 80 où un particulier commença à le confectionner. Il est notable de remarquer, parfois, l'état de décrépitude du drapeau accroché aux hampes de certains édifices pour avoir une idée sur la sacralité symbolique que vouent certains responsables à cet attribut de la souveraineté nationale. On nous rétorquera que les textes existent, il n'y a qu'à... aucun texte n'oblige à l'attachement affectif ! Il devient coutumier de voir, à la veille de festivités, des ouvriers communaux, juchés sur des engins et parfois même sur une benne à ordures, tenter d'accrocher des guirlandes de petits drapeaux « fripés ».

Indisponible pendant longtemps, le drapeau est sorti des usages citoyens lors de fêtes nationales qui ne concernaient que les officiels. La fête populaire de mise était l'une des bonnes habitudes coloniales que nous n'avons pas su garder. Tout le monde, du moins ceux qui ont vécu cette époque, se souvient du pavoisement des balcons des immeubles particuliers aux couleurs tricolores, notamment le 14 juillet; la fête était populaire. La France sarkozienne, faisant à l'histoire un pied de nez, vient de fêter fastueusement l'évènement avec ses anciennes colonies méditerranéennes. Fredonner actuellement quelques refrains de l'hymne national, relèverait de la niaiserie pour certaines « têtes bien faites ». Elles auraient, par contre, des frissons dès que le premier couplet de « la Marseillaise » est entonné.



Un centre d'instruction militaire, dans le sud algérois, a fait aménager des abris confortables et multiples pour les visiteurs des conscrits; l'espace militaire est réputé fermé, pourtant ! Demander un verre d'eau ou chercher des toilettes dans une administration relèverait du délire.



L'individualisation et l'éloignement des cimetières et sanctuaires de chouhada ont dépossédé, la vieille maman, de la joie de se rendre le vendredi au cimetière et de pouvoir « parler » à son époux, à son enfant ou à son frère disparu. Lors des fêtes religieuses, à l'inverse des autres lieux de recueillement, ils seront tristement désertés. La ville de Blida a dérogé à la règle, son carré des Martyrs se trouve à l'entrée du cimetière communal, tout à son honneur; nous ignorons s'il en existe ailleurs. Les « enclos », que le hasard des déplacements nous a offert de voir, sont relativement loin du tissu urbain. Leur accès ne peut être que problématique pour ceux qui ne disposent pas de moyens de locomotion. Les initiateurs n'ont dû penser qu'aux visiteurs officiels. Quant aux musées de la Révolution, appelés « musée du moudjahid » mis à part celui de la capitale, dont la vocation est nationale, les autres auraient gagné à être aménagés au niveau des maisons et centres culturels. La fréquentation de ces lieux, plus dense, aurait suscité l'intérêt des jeunes générations.

A ce propos, que n'avons-nous pas entendu de calembours, à la réalisation du Sanctuaire du Martyr. Nous avons fait de l'enfermement du moudjahid ou de son histoire dans un espace clos, une entrave qui décourage par sa solennité. Le dernier vocable utilisé pour désigner le moudjahid et les descendants de chahid, fut encore un autre enfermement; il s'agit de « la famille révolutionnaire ». Issus nous-mêmes d'une famille qui consentit deux chahids et un ancien interné à Sidi-Chami, nous n'en faisons aucune exclusive. Pour ce moudjahid ou cette femme de chahid, pour la plupart d'entre eux, issus de la campagne ou de zones sub-urbaines, l'Administration n'a pu leur réserver que des postes sous-qualifiés : Agent de service ou femme de ménage dans les établissements publics. Ils en ont gardé un certain ressentiment. Ceci pour dire que les moudjahidine n'ont pas tous et tout pris, comme d'aucuns le pensent et l'affirment. Passons !

L'administré, qui ne s'est pas forgé encore une citoyenneté, se désintéresse de la chose commune. Exclu ou absent, lors de la prise de décision, il demeure indifférent quand le maire, (on aura remarqué que cette appellation non officielle, a survécu), accompagné de techniciens, se présente dans son quartier ou dans son hameau pour le choix de terrain d'un projet. D'ailleurs, cet élu ne remplira généralement que cet objet, il quittera rapidement les lieux pour ne pas être, éventuellement, questionné sur d'autres problèmes. Ce projet, destiné pourtant à améliorer le quotidien de ce même citoyen, suscitera peu d'intérêt, sauf le jour où l'on procédera au recrutement de son personnel. N'étant pas consulté, il ne s'appropriera pas l'initiative. Même le choix de l'emplacement d'une prosaïque benne à ordures devra être soumis à consultation. Dans le cas contraire, elle n'aurait servi à rien. L'après-midi, au café, entre deux abattages de dominos, cet administré racontera à ses amis « la visite du mire » : « ils sont venus ce matin pour construire je ne sais quoi ! Le maire a fait semblant de ne pas me reconnaître; pourtant, avant son élection, il a pris le café chez moi. Ah ! ils sont tous pareils !.... A propos ! j'ai oublié de vous dire que... le camionneur m'a promis de ramener du sable pour la mosquée. Je l'ai quand même remercié, Dieu le lui rendra Inchaa-Allah ! Amine ! ». L'imam ou toute autre personne, qui a sollicité pour avis ce citoyen, a déjà acquis son adhésion et sa souscription. Il se considérera comme l'un des initiateurs du projet et s'en appropriera pour mieux le défendre. L'interactivité dans les propositions ou les choix est garante de leur pertinence et, par conséquent, de leur pérennité. L'objet réalisé survivra aux aléas de la désaffection.

Certaines administrations, communales ou autre, ne sont pas que bureaucratiques; elles frisent l'indolence humiliante, tintée parfois de mépris. Ne voit-on pas à l'entrée, encore fermée, de mairies, de postes, d'agences commerciales (on y vient pourtant pour s'acquitter de ses redevances) et même de banques, une multitude de gens attendre l'heure d'ouverture des guichets.

Les aléas du transport font que ces gens sont là, plus tôt que tout le monde. Qu'il vente ou qu'il pleuve, ça n'émeut personne. Certaines administrations peuvent créer des régies mobiles pour la collecte de redevances, moyennant quelques mesures spécifiques. Et ce n'est pas trop demandé ! Il faut reconnaître, cependant, que les services des postes et ceux de la sécurité sociale ont déjà fait « sauter les verrous » en supprimant les paravents surmontant les guichets. Ces « trous » rappelaient étrangement les confessionnaux des paroisses d'où parvenait la voix seule du confesseur. Dans les Hauts-Plateaux et au Sud, de vieilles personnes sont assises à même le sol, poussiéreux et insalubre. Il est pourtant simple de charger un agent d'ouvrir les grilles de « la citadelle », une demi-heure avant la reprise du service, permettant ainsi au public de profiter des salles d'attente, relativement confortables. Certains services locaux font attendre dehors non pas le public, mais leur propre personnel particulièrement ceux de l'Education nationale. Un centre d'instruction militaire, dans le sud algérois, a fait aménager des abris confortables et multiples pour les visiteurs des conscrits; l'espace militaire est réputé fermé, pourtant ! Demander un verre d'eau ou chercher des toilettes dans une administration relèverait du délire. Beaucoup de responsables ignorent ou oublient que le diabétique est polyurique. Se soulager, n'est pas un caprice pour une personne, dut-elle être saine. Quant aux rampes d'accès des voiturettes ou fauteuils roulants pour handicapés, il faudra repasser ! Il existe, par contre, un archétype de responsable, rigoureux et bien nippé. Les locaux de son administration sont nickel (pour les besoins de la hiérarchie); en arrivant le matin, traversant la salle d'attente bondée, il ne salue pas, c'est le planton qui dira « bonjour » le premier. Il ne manquera pas de faire une aigrelette observation à son employé, pour faire remarquer à l'assistance, qu'il est le maître des lieux. C'est le genre frimeur et ambitieux; il ne lui viendra jamais à l'idée de s'adresser à une personne âgée parmi le public. Ne serait-ce que pour lui donner la priorité ou pour l'orienter éventuellement. Cette catégorie de personnes est souvent mal renseignée et peut passer des heures à attendre inutilement. Si par malheur vous perdez un membre de la famille hors de votre lieu de résidence, surtout dans les grandes villes, la galère vous fera voguer entre les récifs de l'hôpital, les services de l'état civil, le parquet, les services de la réglementation, le fournisseur de cercueils, et enfin le transporteur funéraire. Informées, la police ou la gendarmerie sont toujours là pour la mise en bière et les scellées. Il faut reconnaître à ces deux corps et à la Protection civile leur célérité; ils sont plus proches du citoyen que tout autre service. D'ailleurs, ils interviennent souvent sur les fâcheux résultats de l'inconséquence et de l'incurie d'autres secteurs d'activité. Les drames de « l'enterrement » vifs de plusieurs ouvriers, dans une tranchée d'assainissement et autres électrocutions, auraient pu être évités s'il y avait un tant soi peu d'humilité et de respect de la personne humaine. Nous faisons sciemment le choix de cet arrêt sur image pour faire mesurer, à tout agent de notre administration, la tragique détresse vécue quotidiennement par nos concitoyens. Nous prendrons le soin aussi de dire que cet « agneau opprimé », qu'est le citoyen, deviendra « le loup carnassier » dès qu'il se trouvera de l'autre côté de la barrière. L'emblème national, porté dans des coeurs sans rancoeur, sera hissé sans injonction aucune sur les plus hautes cimes.






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