Algérie

«Nous ne disposons pas de stratégies claires



Rédha Amrani est consultant en économie industrielle. Ancien responsable des participations de l'Etat et du financement au ministère de la Restructuration industrielle, il a également occupé le poste de responsable des industries sidérurgiques métallurgiques et minières au ministère de l'Industrie et de l'Energie, devenu ministère de l'Industrie lourde, où il est responsable du projet Complexe d'équipements mécaniques et électriques lourds (Cemel).Il nous livre, dans cet entretien, son point de vue sur les projets de partenariat envisagés avec les grands constructeurs automobiles, dont Renault.
- Deux grands groupes automobiles sont intéressés par la fabrication de véhicules en Algérie. On nous dit que des négociations sont en cours, mais rien de concret n'est venu confirmer ces intentions depuis des années. Au Maroc, le projet Renault n'a pas pris autant de temps à être réalisé. Pensez-vous qu'il y aurait des considérations autres qu'économiques dans l'installation de Renault en Algérie ' Sinon, comment expliquez-vous le flou qui entoure ce dossier '
L'implantation d'une industrie automobile dans notre pays est un vieux projet qui a pris naissance au cours des années soixante et qui attend d'être concrétisé. Je ne pense pas que ce soit un quelconque flou qui aurait bloqué le développement de cette industrie. Autant pour le véhicule industriel, le machinisme agricole que pour la fabrication du matériel de travaux publics, des projets ont pu être réalisés et développés alors que celui de véhicules automobiles particuliers a subi de réelles vicissitudes. Pour se résumer, en 1970, un contrat de réalisation d'une usine de fabrication automobile avait été signé par Sonacome avec Renault en substitution à la petite usine d'assemblage en SKD qu'avait réalisée ce constructeur à El Harrach dans le cadre du Plan de Constantine.
La première pierre de l'usine d'Oran a été posée par le président Boumediene dans la zone industrielle de Hassi Ameur. En répression à la nationalisation des hydrocarbures le 24 février 1971, le gouvernement français avait décidé, en tant que propriétaire, à l'époque, de la régie Renault, d'annuler unilatéralement le projet d'Oran. Sonacome reprit son bâton de pèlerin et avait abouti à la concrétisation d'un même projet étendu de 25 000 à 70 000 voitures par an avec Volkswagen en 1973 ; souvenons-nous à l'époque de l'importation massive de Coccinelles, de fourgons et de la K70 en accompagnement de cet accord. La reconnaissance de la RDA, à l'époque, et la rupture automatique des relations diplomatiques par la RFA, a entraîné l'annulation par notre pays du dossier déjà ficelé entre Sonacome et Volkswagen. Il apparaît ainsi que ce n'était plus un dossier économique et industriel mais bien un dossier politisé et il le restera jusqu'à nos jours. Un autre accord fut signé avec Fiat après plus quinze années de négociations ardues et il fut rompu entre les deux parties en 1998, le désarmement tarifaire ayant changé les bases économiques initiales du projet alors que les bâtiments de fabrication étaient déjà réalisés par l'ENDVP à Tiaret Bouchekif. Ces installations servent actuellement au développement d'une unité de fabrication de véhicules légers tout-terrain 4x4 que le MDN réalise avec des partenaires allemands et dont le démarrage de la production ne saurait tarder. Comme quoi il est possible de lancer concrètement de nos jours une production automobile en Algérie. Il s'agit donc pour le projet de fabrication automobile dans notre pays de revenir à de saines considérations économiques et de s'écarter du tout politique.
Le flou dont vous parlez trouverait ainsi un début de solution car une firme comme Renault, qui est associée dans son développement avec Nissan, un autre grand groupe automobile, n'obéirait qu'à des considérations stratégiques et, partant, économiques dans ses implantations à travers le monde. La question qu'il faudrait se poser alors est : «Une implantation en Algérie d'une production rentable et concurrentielle entre-t-elle dans la stratégie du groupe Renault-Nissan après leur implantation en Chine et au Maroc notamment et les extensions annoncées dernièrement dans plusieurs pays d'Amérique latine '».
- Le premier constructeur mondial automobile, Toyota, a choisi l'Egypte pour sa première usine en Afrique ; Hyundai a choisi le Mali. Qu'est-ce qui fait qu'une marque choisisse un pays et non un autre pour s'y implanter ' Autrement dit, le marché algérien est-il attractif et de quels atouts dispose-t-il dans l'industrie automobile '
Les multinationales comme le sont réellement les constructeurs automobiles s'implantent dans un pays en fonction de stratégies mûrement réfléchies et mises à jour continuellement. Le marché algérien est effectivement attractif compte tenu de la disponibilité d'un marché intérieur de plus de 500 000 véhicules particuliers par an, d'un immense réseau routier, d'un système de formation des plus complets et de ressources financières appréciables. Notre économie peut viser, à moyen terme, une production de près de 800 000 véhicules tant pour le marché interne que pour la nécessaire exportation en vue de garantir une compétitivité technique et commerciale des voitures produites localement. Le problème se trouve en nous ! Nous ne disposons pas, à l'instar des pays concurrents, de stratégies claires et surtout bien mises en ?uvre.
Une stratégie du secteur automobile a bien été élaborée ces cinq dernières années, mais a-t-elle été vendue à qui de droit, c'est-à-dire exposée aux entrepreneurs et investisseurs algériens et aux grands constructeurs mondiaux ' Les investissements nécessaires en matière d'infrastructures et de formation spécifique sont-ils lancés ou en voie de l'être ' Avons-nous, à l'instar de nos voisins marocains, envisagé une «automotive city» et une ou plusieurs plateformes logistiques comme celle de Tanger ' Avons-nous prévu d'améliorer l'attractivité de notre pays en matière de bien-être social et culturel des personnels hautement qualifiés et de leur famille que tout investisseur étranger devra installer lors de la construction et de l'exploitation, durant plusieurs années, des différents projets de l'industrie automobile ' Ce sont là des choses à la portée de notre pays et qui sont incontournables dans les choix stratégiques et économiques que font les investisseurs étrangers.
- Certains experts disent que le tissu de PME spécialisées dans l'équipement et la fourniture accompagnant l'industrie automobile n'est pas assez étoffé et ne peut pas assurer une production de qualité. Qu'en pensez-vous '
Dans les pays industrialisés, il est dit de nos jours que «lorsque l'industrie automobile va, tout va».Dans cette industrie, c'est tout un ensemble de produits et de services, tant en amont qu'en aval et horizontalement aussi, qui sont mis en ?uvre.
Des industries de base pour la fourniture des aciers, du caoutchouc, du verre et des produits de la pétrochimie présents dans le pays sont nécessaires et font partie du développement de l'ensemble. Une très forte industrie de l'équipement automobile doit être développée et c'est là aussi que les entrepreneurs locaux doivent être aidés et soutenus afin de conclure les contrats de partenariat avec les plus grands équipementiers automobiles de la planète ; il est temps aussi dans le déploiement de cette stratégie de saisir toutes les opportunités d'investissement, sous forme d'actions ou de prises de participation comme partenaire prépondérant dans le capital social de ces multinationales de fabrication automobile comme de l'équipement de première monte et des pneumatiques.
Il s'agira aussi d'être prévoyant et d'anticiper dans les investissements les plus lourds sur les évolutions structurelles dans l'industrie du véhicule particulier, notamment dans le passage, au cours des vingt prochaines années, vers le véhicule hybride et/ou totalement électrique.
L'essentiel, dans le développement de l'industrie automobile en Algérie, est aussi dans la mise en ?uvre cohérente de toutes ces industries et activités de services ainsi que dans un aménagement du territoire intelligent et attractif car le «just in time» et l'obligation d'exporter une partie des productions sont la base de la modernité efficace, du réalisme économique et de la réussite industrielle. Se focaliser sur le taux d'intégration interne de chaque usine automobile, se retrouver face à un seul constructeur international, voire sembler le quémander, éloigne de tout succès futur une industrie indispensable au développement économique et social de notre pays.


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