La commission
nationale qui a été désignée par le pouvoir pour conduire des concertations en
vue d'alimenter la plateforme du projet de reformes politiques, a posé comme
condition inaliénable «le respect des constantes nationales et des composantes
de notre identité», mettant à priori un veto à toute volonté d'initiative pour
un débat autour de la question de l'identité culturelle, qui semble pourtant
incontournable, au regard du problème que celle-ci pose au processus de
mondialisation culturelle, et à la société algérienne en particulier.
Aussi parce que,
dans toute entreprise de concertation nationale ayant pour objet la
consolidation de la démocratisation du système politique, celle-ci doit se
fonder sur le pluralisme des opinions pour pouvoir opérer une synthèse
représentative de la pluralité des sensibilités nationales, si elle veut être
crédible. Les révoltes qui secouent en ce moment le monde arabe et la
contamination simultanée d'autres pays non arabes, par un désir mimétique de
ces révoltes, en recourant aux mêmes idées, mêmes slogans, traduisent de toute
évidence un malaise commun et une demande commune, qu'on est en droit de mettre
en toute logique, en rapport avec la crise et l'impasse du système mondial et
global qui régit le monde aujourd'hui, et qui semble faire apparaitre
au grand jour ses fissures profondes à la face du monde, suite a une gestion
non maitrisée et non intégrée de la mondialisation et
de la globalisation économique, politique, sociale et culturelle.
Parmi les
problèmes caractéristiques de cette crise mondiale, tant économiques,
politiques, sociaux, il y a ceux liés à la situation multiculturelle, qui est
plus ou moins complexe et aggravé selon les pays, et à laquelle on ne semble
pas trop accorder d'intérêt, pire encore, les mouvements conservateurs partout
dans le monde opposent un boycotte catégorique au développement de ce processus
de mondialisation de la culture. Pourtant, la crise multiculturelle ne date pas
d'aujourd'hui, au tournant du processus de décolonisation, vers le milieu du
XXe siècle, la situation postcoloniale en a déjà marqué le pas avec ce
problème, notamment dans les anciens empires coloniaux. Dans le contexte
nouveau de reconfiguration des échanges culturels entre les peuples à travers
le développement exponentiel des technologies de communication, de la
circulation massive des produits culturels et des personnes à travers les
frontières internationales, impliquant ce contexte nouveau en terme de
mutations culturelles, qui est sans précédant dans l'histoire, l'Algérie, qui
est en train d'entamer des reformes, imposées par cette conjoncture
internationale de crise, saura-t-elle relever le défi de l'exigence de la
mutation annoncée en osant se doter de conditions favorables pour s'arrimer
ainsi a cette nouvelle séquence de l'histoire de l'humanité en marche ? En
assumant sa responsabilité historique aux cotés du monde Arabe qui accusent
ensemble un sérieux retard en ce domaine, dans cette mutation historique qui
s'annonce dans le long terme inévitable et sans doute irréversible.
«
Printemps Arabe » : Révolte ou révolution ?
Spontanément, la
rue arabe s'est enflammée. La chute du président tunisien suivie de celui de
l'Egypte ont provoqué un effet dominos qui a soulevé beaucoup de peuples de la
région, jusqu'en Europe, et où l'on a beaucoup parlé de révolution! On ne peu
considérer l'émeute, le mouvement de rue spontané, comme des révoltes, que dans
la mesure où elles contestent un ordre. Pour être au sens plein, une révolte,
ces manifestations doivent avoir pour but de mettre en question un ordre
institutionnel ou social. La révolte sait ce qu'elle refuse et elle a une idée
généralement précise des forces d'oppression qu'elle affronte. Elle met
brutalement en question l'ordre établi, mais ne sait pas par conséquent où elle
aboutit. C'est la révolution qui donne un sens et un avenir aux révoltes, qui
sont des actes sans lendemain. Celle-ci demande une tactique, un processus de
prise du pouvoir et d'exercice du pouvoir provisoire qui vient d'être conquis.
La révolution est une entreprise objective, elle affiche ses buts et son idéal.
Elle se donne généralement pour but de changer radicalement l'ordre politique,
voir social, économique et culturel. La révolution, à en générale « les mains
libres » pour changer radicalement la société et d'être en mesure de faire
table rase des structures anciennes. On ne peut donc parler à priori de
révolutions, au sens plein du terme, pour le cas des différents pays Arabes qui
se sont révoltés, avant qu'ils n'aient réellement procéder à un changement
radicale de l'ancien système qui régissait la société dans sa globalité, même
si parmi eux, la Tunisie
et l'Egypte ont réussi à renverser le pouvoir en place et d'avoir changer
radicalement le système politique en vigueur, par la substitution du pluralisme
politique au lieu du régime totalitaire qui régnait auparavant sur le pays de
façon exclusive. Car, le pluralisme politique aura besoin en substance d'un
pluralisme culturel comme socle et fondement sur lequel s'exercer, sinon il
sera confronté à une contradiction structurelle qui ne pourra que le condamner
prématurément à un échec.
La révolte des
idées
La révolte
populaire est un des éléments fondamentaux de la révolution, l'autre élément
est la révolte des idées, celle des intellectuels et des journalistes dont le
véhicule privilégié c'est la presse et les médias en général ainsi que la
littérature, voir le débat direct, dont l'objectif principal est d'éclairer le
public et de réveiller les consciences.
Etre journaliste ou chroniqueur dans une
situation historique critique comme celle que traverse aujourd'hui le monde
Arabe, c'est saisir toutes les occasions pour affirmer une volonté de protestation,
de contestation et de révolte. Le journaliste, l'artiste et l'intellectuel se
révoltent à titre individuel contre le conformisme de la société jugée
décadente. S'indignent devant l'injustice, l'ignorance,
la misère, la brutalité et s'indignent contre l'autorité de l'état
particulièrement lorsque celui-ci est illégitime, ou qu'il a failli a son devoir. Il y a un besoin de nier la réalité de la «
légalité », au sens de Carl Schmitt - c'est-à-dire, qu'une légalité est
considérée comme telle, indifféremment, qu'elle soit fondée ou non sur une
légitimité - pour ensuite la dépasser. Il y a le besoin d'exercer la libre
pensée contre l'intolérance, l'esprit scientifique et critique contre l'esprit
dogmatique religieux. L'engagement de militants intellectuels par
leur révolte est l'ensemencement d'un germe pour l'avenir, on aura eu Kateb
Yacine et Tahar Djaout dans ce sillage, comme des
lanternes qui jalonnent les chemins obscurs. L'Europe de la Renaissance a eu
Erasme dans son « éloge de la folie » pour s'élever contre le dogmatisme des
Pères de l'Eglise, et ouvrir la voie qui a mené vers les Lumières.
Le débat autour de
la question de l'identité culturelle
En Algérie, le
changement s'annonce par le haut sur l'initiative du pouvoir en proposant de réformer
le système politique en vigueur, par un replâtrage ponctuel de celui-ci tout en
maintenant le même personnel politique en place. Contrairement aux autre pays
arabes où c'est la base qui est en train d'initier le changement en obligeant
leurs dirigeants de céder leur place à un conseil de transition pour définir
les nouvelles règles du système politique et de la gouvernance. Dans ces
conditions, force est de constater, que cette initiative à réformer le système
politique, par la désignation d'une manière unilatérale, d'une commission
nationale chargée de conduire les concertations avec les partis politiques, la
société civile, et les personnalités nationales qui ont bien voulu accepter de
participer à cette démarche, en vue d'alimenter la plateforme du projet de
reformes politiques, écarte d'emblée la possibilité à une expression pluraliste
de légiférer. Par conséquent, réconfortée dans son unilatéralisme, cette
commission a posé comme condition inaliénable à toute proposition ou suggestion
quelconque destinés à la concertation pour ces réformes « le respect des
constantes nationales et des composantes de notre identité, le respect des
principes et des valeurs fondamentales et nationales ».
Cette situation
est identique en Egypte, ou il y a un consensus autour de l'importance de la Charia et l'article 2 de la
constitution du pays, celui-ci stipule que les lois du pays seront inspirées de
la Charia, et
que cet impératif est intouchable. Cette situation est analogue pratiquement à
toutes les constitutions des pays arabes. En se retranchant derrière le
conservatisme des « constantes nationales et des composantes de notre identité,
des principes et des valeurs fondamentales nationales », le pouvoir révèle son
intention de fuite en avant dans l'illusion de pureté des origines, qui serait
selon Edward Saïd ce « système fermé qui se contient et se renforce lui-même,
et dans lequel les objets sont ce qu'ils sont, parce qu'ils sont ce qu'ils sont
une fois pour toutes, pour des raisons ontologiques qu'aucune donnée empirique
ne peut ni déroger ni modifier », et qui, tout en ayant servi avec efficacité
d'argument aux nationalismes surgis après la décolonisation, à la critique, à
la résistance et à l'opposition à la domination impérialiste, continu à servir
jusqu'à ce jour un autre argument aussi efficace pour justifier le patriarcat
par son expression politique autoritaire des plus violente et des formes
d'oppression des femmes des plus humiliantes. Il faut admettre que le débat
autour de l'identité culturelle ne peut être examiné sans le situer dans le
contexte actuel de notre monde postcolonial et globalisé à l'horizon de la
mondialisation, caractérisé par cette crise multiculturelle profonde et
durable. Dans le cas contraire, nous serons condamnés à nous enfermer dans une
société d'autorité masculine exclusive, fondée sur des rapports de pouvoir
autoritaires et violents et dont la pérennité sera assurée par un système
éducatif ultraconservateur et régressif comme c'est d'ailleurs le cas
aujourd'hui.
L'acculturation, le
transculturel et le Postcolonial
La culture est à
tout instant le produit d'un processus d'acculturation. Parce que les cultures
évoluent constamment, procédant par emprunts ou rejets, mais aussi par
réinterprétations et inventions. Acculturé, ne veut pas dire sans culture, le «
a » dans ce cas n'est pas un signe privatif. L'acculturation englobe sans
discriminer le jeu des diverses influences qui se manifestent au sein d'une
culture. Lévi-Strauss, dans Race et histoire, considère qu'une culture qui
n'emprunte pas est une culture qui se fige et qui est appelée à disparaître.
Parce que loin d'être un phénomène d'appauvrissement, les mécanismes d'emprunts
participent à l'enrichissement de la culture, c'est incontestablement une
condition essentielle au dynamisme des cultures. La force d'une culture est
donc dans sa capacité de collaboration et d'emprunt. Lévi-Strauss emploie
d'ailleurs les termes de « coalition, jeu en commun » et il affirme que « le
progrès culturel est fonction des coalitions entre cultures ». Roger Bastide,
dans Le Prochain et le lointain, distingue deux formes d'acculturation, l'une
formelle et l'autre matérielle. L'acculturation formelle, c'est la
transformation des formes, des manières de penser et de sentir, elle est
inconsciente. L'acculturation matérielle concerne les contenus de la
conscience, l'adoption ou la réinterprétation de traits culturels. La
différence entre l'acculturation formelle et l'acculturation matérielle,
consiste dans le fait que, pour la première on n'adopte pas consciemment les
traits culturels d'emprunt, on le fait inconsciemment, sans pouvoir
l'expliquer, dans l'acculturation matérielle, on choisi consciemment d'adopter
tel aspect spécifique ou tel autre, en fonction des avantages et des
inconvénients des manières de faire de la culture d'emprunt.
Dans notre
civilisation mondialisée et très urbanisée, les technologies de communication
permettent la circulation rapide et multiple des diverses cultures. Dans les
grandes villes, les phénomènes de brassage culturel sont amplifiés, les
rencontres facilitées, et la diffusion satellitaire des médias mettent en présence permanente des traits culturels avec
d'autres qui leur sont étrangers. Une culture tout à fait originale est entrain
de se développer dans les banlieues des grandes villes cosmopolites mondiales,
qui est souvent ghettoïsée autour des H.L.M. La
particularité de la culture de banlieue, c'est la favorisation du brassage, du
mélange et du métissage.
Le dialogue interculturel ne se déroule pas
entre des cultures conçues du point de vue essentialiste comme s'il s'agissait
de blocs monolithiques et opposés, et comme si elles étaient des entités
naturelles incommensurables et par conséquent imperméables à tout échange, et
comme s'il n'y avait pas eu au cours des siècles et dans l'histoire des
contaminations, des emprunts et des échanges réciproques, qui serai selon la
terminologie de J. F. Lyotard un différend entre les
cultures comme s'il s'agissait de genres de discours dépourvus de tout critère
d'évaluation commun condamnant les cultures à ne jamais pouvoir se comprendre.
La conception multiculturaliste de la reconnaissance
des différences conduirait à coup sur à une sorte de « balkanisation » des
cultures. C'est en cela qu'une réflexion critique sur l'identité des
communautés culturelles au sein de l'espace public seule peut favoriser un
entrelacement transculturel. Si la multiculturalité
se réfère tout simplement à la coexistence de plusieurs cultures au sein d'un
même espace géopolitique, et que l'interculturalité
désigne la dynamique qui en activant l'échange et les relations réciproques
entre les groupes de la mosaïque multiculturelle brise l'ethnocentrisme et ses
préjugés, le concept de transculturalité comme le
montre H. J. Sandkuhler ne repose pas contrairement à
celui d'interculturalité sur l'affirmation selon
laquelle les cultures seraient des unités homogènes et circonscrites dans des
frontières stables, elles ne sont plus en effet établies par les nations, les
religions, les ethnies ou les traditions, mais trouvent leur origine et se
transforment dans la dynamique et la complexité de réseaux humains flexibles et
simultanés incarnés par les réfugiés, les migrants, les exilés, les expatriés
dans des espaces devenus désormais postcoloniaux.
On observe depuis la fin de la période de
colonisation une reconfiguration du champ des relations entre anciens
colonisateurs et anciens colonisés, en inscrivant les anciens empires coloniaux
dans un monde désormais postcolonial, traversé par des mouvements transnationaux
de populations immigrées, qui voient apparaitre la
présence structurelle de l'autre anciennement colonisé dans leur espace,
engendrant une situation multiculturelle sans précédant dans l'histoire. En
fait, depuis le milieu des années 80 avec l'émergence d'un mouvement «beur»
porteur de revendications citoyennes au sein de la société française, il s'est
produit un basculement d'une immigration de travail à une immigration de
peuplement. Nombre de ces immigrés ont opté pour la double nationalité et leurs
enfants, par le jeu du droit du sol, étaient eux-mêmes français de naissance.
Les modèles d'intégration républicaine dans les principes de la tradition
politique française mis en place pour contenir cette intrusion de l'autre dans
leur espace ont tous été voués à l'échec. Cette situation a engendré un débat
qui est devenu un enjeu principal dans toutes les campagnes électorales, allant
jusqu'à l'absurde, en créant un ministère de l'Identité Nationale.
Durant les trente dernières années du XXème siècle les courants de pensée, tels, les subaltern studies, les postcolonial studies et les
cultural studies ont permis de penser la chute des
frontières culturelles et idéologiques au moment où les flux migratoires et les
interactions entre les cultures ne cessent de s'intensifier. Etienne Balibar affirme que la crise du multiculturalisme est le
symptôme que toutes les catégories analytiques centrées sur l'Etat-nation moderne que Carl Schmitt a appelé le « nomos de la terre » et le paradigme du constitutionnalisme
moderne sont toutes « sous rature » au sens de Jacques Derrida. « Sous rature »
est un dispositif stratégique philosophique à l'origine développé par le
philosophe Martin Heidegger. Il implique la rature d'un mot dans un texte, tout
en lui permettant de rester en place et lisible. Usually
translated as ‘under erasure', it involves
the crossing out of a word within a text,
but allowing it to remain legible and in place.Used extensively by, it signifies that a word is
«inadequate yet necessary»; that a particular is not wholly suitable for the concept it represents, but must be used as the constraints
of our language offer nothing better.Il
sera utilisé intensivement par Jacques Derrida, comme pour signifier qu'un mot
est insuffisant mais nécessaire, qu'un signifiant particulier n'est pas tout à
fait adapté pour le concept qu'il représente, mais doit être utilisé, que les
contraintes de la langue n'ont rien à offrir de mieux. On parle aujourd'hui,
d'Etat postcolonial, transculturel, postmoderne et même post démocratique.
Jacques Derrida a fait valoir, que ce n'était pas seulement les signes
particuliers qui ont été placés « sous rature », mais l'ensemble du système de
signification.
Michel Wieviorka,
affirme que nous ne pouvons plus nous satisfaire d'un débat tranché une fois
pour toutes en faveur d'une conception républicaine aux vertus intemporelles.
Les catégories de la modernité, la nation, l'état, le droit, etc., n'auraient
plus aucune raison d'être mais plutôt qu'elles doivent être continuellement
réélaborées, mis à l'épreuve, dans des situations absolument inédites et par
conséquent renouvelées en profondeur. Stuart Hall, plaide pour le « retour du
subjectif en politique », affirmant que le multiculturalisme n'est que le
symptôme d'une crise et d'une transformation en actes de toutes les catégories
philosophiques et politiques de l'époque moderne liées au concept d'Etat
nation. Le multiculturalisme va de pair avec la clôture apologétique et
ethnocentrique de cette raison occidentale. Il faut donc admettre qu'il
n'existe pas seulement un cosmopolitisme attaché suivant l'inspiration
rationaliste kantienne à l'idéal moderne du citoyen du monde mais également un
cosmopolitisme « transculturel » en mesure d'articuler des cultures et des
identités différentes. Notre société planétaire qui ne cesse de perpétuer et
d'alimenter les appartenances tribales et les frontières géographiques et
mentales protégées par tant de murs et d'appareils militaires, et en associant
le multiculturalisme à la question de la reconnaissance, qui fait de lui un
multiculturalisme de marché, transposant la diversité culturelle sur l'échelle
des biens utiles au capitalisme mondial et global, nous incite tout
particulièrement à redoubler de vigilance devant les risques et dérives
auxquels peut nous mener cette situation.
Parce qu'on est
en droit de rêver, qu'on est tout naturellement au seuil d'une mutation civilisationnelle heureuse, en interprétant positivement
cette tendance au métissage sur le registre d'une utopie transculturelle
harmonieuse.
Vers une civilisation qui intégrerait toutes
les dispositions particulières, permettant de penser la chute des frontières
culturelles et idéologiques au moment où les flux migratoires et les
interactions entre les cultures ne cessent de s'intensifier.
Représentations
politiques et culturelles
Le déni de la
citoyenneté à l'individu en le confinant au statut de sujet, par les privations
de libertés politiques, dans le cadre de système totalitaire et d'état de non
droit, a confiné les peuples arabes au stade du pré-politique.
Cette situation, à défaut d'expérience et de
précédent historique a favorisé une translation de son imaginaire politique,
qui au lieu d'une objectivation de la notion d'Etat avec des contours
institutionnels largement intériorisés, il lui a substitué la notion d'Umma islamique en tant qu'Etat transnational qui viendra
pallier à ce manque, mettant ainsi le sujet Arabe dans une prédisposition
privilégiée à intérioriser plutôt la notion de cet Etat transnational que
l'Etat national. C'est cette situation qui expliquerait l'adhésion massive des
peuples Arabes au projet de l'islamisme politique.
A défaut de stratégies pédagogiques ayant pour
objectif, une démythologisation et une désidéologisation de la culture et de la
transmission des savoirs, comme n'à cessé de l'appeler de ses vÅ“ux Mohamed Arkoun, cette prédisposition à l'imaginaire politique
transnational, matérialisé dans son inscription dans l'Umma
islamique, continuera à nous maintenir éloignés de toute perspective d'Etat «
postcolonial » et de son corollaire « le transculturel ».
L'extension de la
révolte et les autres
Le « Printemps
Arabe » a réveillé les consciences dans le monde. En Espagne, en France, au
Portugal, en Grèce, et aussi en Angleterre, en Allemagne, en Italie, au Chili,
pour ne citer que ceux-là, un vaste mouvement populaire informel et assez
spontané de contestation de fond de la société, caractérisé par une perte de
confiance étatique, est en train d'exprimer son malaise dans les espaces
publics depuis un peu plus de six semaines déjà. Ce mouvement né en Espagne
s'est propagé en Europe via ce pays, qui a servi de pont entre l'Afrique du
nord et le vieux continent. Le malaise qu'il semble exprimer c'est la remise en
cause de la pertinence politique des États-nations,
qui paraissent dépassés politiquement, par leur impuissance à faire face à la
crise qui frappe de plein fouet leurs Etats. Ce qui est remis en question c'est
la place même de l'être humain dans la société. C'est une réaction à la crise
éthique, à la marginalisation des valeurs humaines au profit des valeurs
économiques.
Mais aussi, parmi les revendications exprimées
par ces contestataires, la place des immigrés dans la société, leur droit à
l'exercice de la citoyenneté à travers le droit de vote : « Ils partagent nos
douleurs, ils partagent nos devoirs, mais ils n'ont pas nos droits », scandait
ainsi un manifestant à l'aide d'un mégaphone en Espagne. Ce mouvement de
contestation mondial par la base populaire, disjoint de toute organisation
politique et syndicale, affiche clairement son rejet de la xénophobie et
particulièrement de l'islamophobie.
Il s'insurge contre le système dans son
ensemble, contre la forme politique même qui le constitue, à savoir l'Etat
Nation moderne. Il s'insurge également contre le capital financier et son
ingérence dans la vie politique et institutionnelle, c'est toute la
civilisation avec ses institutions nationales et internationales qui est remise
en question en définitive. Réactions, contre révolution ou aveuglements.
L'imaginaire colonial n'a pas achevé à ce jour sa décolonisation. L'espace
colonial, demeure cet espace de la nostalgie, espace perdu et représenté
schématiquement dans l'imaginaire comme vide. Dans L'orientalisme, Edward Saïd
fait un inventaire des représentations, des images, des préjugés que l'occident
a projeté sur l'orient, afin de justifier le besoin de le gouverner et le «
civiliser ». Ce sont toujours ces attitudes qui dictent aujourd'hui leurs
analyses à l'intelligentsia très médiatique et autorisée à s'exprimer au nom de
cet occident néo colonial et nostalgique. La France médiatique et politique, toutes
sensibilités confondues, ne parvient pas à admettre la mutation en cours de
leur société, vers une culture postcoloniale, aussi bien au plan démographique
que culturel allant jusqu'à pousser le paradoxe à l'insensé, dans la création
du ministère de l'identité nationale dans une tentative désespéré d'épuration
nationale pour ne pas dire « ethnique ».
Edgard MORIN en tant qu'intellectuel radical de gauche, et élite
universitaire très écouté, en est la parfaite illustration. Commentant le
«Printemps Arabe »: «Cette gigantesque vague démocratique doit tout aux idées
démocratiques nées en Occident. Déjà, en s'emparant des idées de droit des
peuples nés dans l'Europe qui les opprimait, les Arabes colonisés opéraient
leur décolonisation politique. En s'emparant des idées de liberté, les Arabes
opèrent leur décolonisation mentale.
Reste la
décolonisation économique... qui reste à faire ». Dans une exclamation: «Les
Arabes sont comme nous et nous sommes comme les Arabes », précisant un peu plus
loin « compte tenu évidemment de toutes différences historiques et culturelles
». Notons l'aveuglement devant l'identification du sens de la marche de
l'histoire. Il y a lieu également de constater une dénégation à toute forme
d'autonomie d'initiative à l'affirmation de soi, à l'autre anciennement
colonisé et encore moins de considérer son action comme une exemplarité,
contrairement à la vision qu'en à la base populaire du « Printemps Arabe »,
pour qui ce mouvement pourrait déboucher sur une révolution mondiale et
l'avènement d'une nouvelle civilisation universelle. C'est tout son commentaire
qui fonctionne comme un acte manqué, comment expliquer sinon l'ambigüité de la phrase « en s'emparant des idées de
liberté, les Arabes opèrent leur décolonisation mentale » ? Quelle est en fait
la nature de cette colonisation mentale, est-ce la modernité, l'islamisme,
l'arabité ? Va savoir ! Sur un autre registre, la survivance des réseaux des
pouvoirs totalitaires déchus, ne manquerons pas à se reconstituer et à viser à
faire échouer la révolution. A cela, il faudra additionner les obstacles que
peuvent engendrer les jeux géostratégiques, régionaux et mondiaux.
Le débat autour
de l'identité culturelle doit ce faire d'une manière ou d'une autre, avec cette
commission initiée par le pouvoir ou en d'autre circonstance, il y vat de l'intérêt de l'émancipation et du développement de
notre société. Ne pas aller a contre courant de l'histoire, cette évolution
transculturelle est irréversible, autant s'y prendre a l'avance !
L'universalisme démocratique ne s'approfondira qu'à condition de faire place à
la dialectique des cultures, à leur confrontation et à leur critique au sein de
l'espace public. Personne ne peut prédire quel sera le développement de ce
mouvement planétaire, initié par le monde Arabe.
On est peut être
en présence de la prédication d'Ibn Khaldun affirmant
que la marche de l'histoire se déroule selon un cycle civilisationnel,
et que le tour serait donc venu pour que les Arabes puissent jouer les premiers
rôles dans ce nouveau tournant de la marche de l'histoire qui se dessine sous
nos sens.
Il reste aux
Arabes une tache essentielle à accomplir pour prétendre jouer un quelconque
rôle dans cette marche : démythologiser et
désidéologiser leur imaginaire politique, social, culturel voir économique.
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Posté Le : 09/06/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Youcef Benzatat
Source : www.lequotidien-oran.com