Algérie

«Nourrir sa famille sans la voir»



Aujourd'hui, on se résigne plus à  cette tâche qu'on ne la choisit. «Il est vrai qu'il y a quelques années encore, de nombreux travailleurs, ouvriers qu'ils soient ou ingénieurs, privilégiaient un poste dans le Sud, et ce, en contrepartie d'indemnités de zone conséquentes. Certains l'exigeaient même», se rappelle un cadre d'une entreprise publique.
Aujourd'hui, cela relève de la punition. Parfois même du désespoir de cause. «La crise des années 1980 a provoqué la fermeture de l'usine où je travaillais, à  Alger. Après un long chômage, pas d'autre alternative que cette vie de dur labeur ingrat», raconte, dans un soupir, Larbi, heureux père de 6 enfants. Ingrat, certes, car rien ne saurait compenser un tant soit peu l'éloignement et l'absence : «Rien n'est pire que de ne pas voir ses enfants grandir», souffle, la voix étranglée, Larbi. «Rien ne compense le fait de devoir laisser leur mère s'occuper de tout et de tous, de ne pas contrôler leur scolarité, de ne pas savoir ce qu'ils font de leur quotidien, s'ils vont bien, s'ils ne sont pas malades», énumère-t-il d'une traite. «Mais aussi et surtout de ne pas àªtre là si un malheur arrivait. Si l'un d'eux devait avoir un accident par exemple, je ne pourrais même pas le voir», ajoute-t-il, avant de conclure, absorbé : «Non, rien ne compense cela…».Ces périodes passées loin de sa famille auront coûté à  chacun beaucoup. Dans le cas de Aïssa, son mariage. «Je suis en instance de divorce. Notre couple n'a tout simplement pas tenu le coup», raconte le trentenaire. «Ce n'était pas facile pour elle de s'adapter à  ces coupures de 4 semaines et de n'avoir un mari réellement que durant 6 mois par an», concède-t-il. Le rythme de travail imposé n'est d'ailleurs pas des plus évidents à  gérer.
Des journées de travail de douze heures
Lorsque les plus chanceux peuvent vivre en famille sur place et qu'ils sont soumis au «régime famille», ils travaillent 8 heures par jour et disposent d'un week-end. Pour les autres, c'est le «régime célibataire» qui diffère d'une entreprise à  une autre et d'un poste à  un autre, administration, chantier ou autre.
Pour certains, employés et ouvriers essentiellement, les journées de travail sont de 12 heures par jour, week-end compris. La répartition des périodes repos varie aussi : de 4 semaines de travail pour 3 semaines de relâche (4/3) à  4/4 ou encore 6/3. Dans ce dernier cas, il est donc question de travailler sans discontinuer durant 42 jours pour, au final, ne disposer que de 21 jours. Et quel retour «à la vie normale»Â ! «A la maison, il y a une période de réadaptation. Plusieurs jours de flottement», explique Aïssa. Perdus dans un monde qui a continué de tourner sans eux, ils sont perdus. Rendus «associables» par l'isolement, ils doivent se réhabituer au monde, au bruit, à  partager le même toit avec femme et enfants avec lesquels ils n'ont rien partagé durant des semaines. «L'on est étourdi par la civilisation !», lance Aïssa dans un rire. «Mais dès qu'on se sent enfin à  notre aise, à  notre place, c'est la reprise. Le retour. C'est toujours très dur», poursuit-il, toute gaieté dissipée.
Et les conséquences sur leur santé se font souvent ressentir. «Ulcères et autres pathologies chroniques pour les mieux lotis. Mais les autres, tout particulièrement ceux qui travaillent sur chantier, perdus dans un océan de sable, souffrent plus. Les dépressions, l'altération du caractère, les troubles nerveux ou les troubles mentaux ne sont, malheureusement, pas rares», s'attriste-t-il. «L'isolement sans doute», ajoute-t-il, avant de pester : «Mais comment ne pas se sentir seul au monde lorsque même les téléphones portables ne captent pas, faute de réseaux !»Â Â 


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