Publié le 16.04.2024 dans le Quotidien l’Expression
Nait Mazi était l’Amiral. Nous étions ses matelots. Il a eu de talentueux «seconds».
Un modèle de Pater que fut notre Big Boss. En son temps, c'était un monde où l'Etat s'affirmait dans la plénitude de sa force régalienne. Noureddine c'était un roc. Il incarnait la force tranquille. Solide et permanent. Il avait la régularité d'une horloge. Constant et vigilant, il s'imposait et imposait par sa stature d'athlète et une forte personnalité mûrie dans le défi. Laissant peu de place aux palabres inutiles, peu expansifs, il était rarement en colère quand bien même la mauvaise humeur était chez lui une seconde nature. Ses pensées s'exprimaient le plus souvent sans paroles; dans les simples crispations névralgiques de son visage d'acier. L'erreur, on y avait droit. Mais on ressentait sa redoutable réaction. Inversement, il exprimait la sérénité du travail bien fait.
Dans la rédaction, il y avait un vivier de sensibilités politiques: Pags, les fidèles du FLN, les révoltés de tout ou «les écologistes apolitiques de droite» comme aimait les titiller Kheireddine Ameyar avec son humour à l'abrasif. Devant les vagues multiples de révoltes qui surgissaient, assez souvent des jeunes journalistes en mal de nouvel ordre, il savait gérer la crise par le silence ou des demi-mots. «Il faut que jeunesse passe.» Quand il n'avait pas raison, il n'avait pas tort. Et dans tous les cas, il avait le dessus. Jamais méprisant à l'encontre des primo arrivants, il permettait l'initiative et savait dire le mot juste qui satisfait.
Nait Mazi était l'Amiral. Nous étions ses matelots. Il a eu de talentueux «seconds»; Madjid Hadji, Belaïd Ahmed, Ahmed Fattani, Mohamed Saidani, Zouaoui Benamadi, Bachir Rezzoug, Halim Mokdad, Liès Hamdani, Kamel Belkacem, Zoubir Zemzoum, Mouloud Achour... Et nul ne conteste que les grands noms de la presse, journalistes, photographes ou caricaturistes, Slim ou Maz, Saci Haddad ou Kheddouchi fussent les promotions d'El Moudjahid. La grande Ecole pour laquelle il a consacré sa vie et redonné le sens initié par les pères fondateurs de la Révolution que furent Frantz Fanon, Abane Ramdane, Mhamed Yazid, premiers rédacteurs et concepteurs
d'El Moudjahid. D'où venait donc cet homme hors du commun décrit souvent, avec une trop rapide légèreté, comme simple commis de l'Etat? Peu facile d'accès, trop géant à égaler, imperceptible, il était le mystérieux inconnu hors de la sphère professionnelle. De sa vie, de son parcours privé, il en parlait peu. En 1974, nous étions de garde au journal lui et moi, après cet attentat à la bombe au 20 rue de la Liberté. Dans le silence de la nuit, je le regardais faire les cents pas. Sa stature légèrement courbée, costume gris. «Je faisais ça me dit-il, marcher sans arrêt dans ma cellule durant la guerre de Libération.» Et je fus étonné qu'il parla de lui.
Il arrivait au journal à 9h30 sonnantes à bord de sa Renault 16. Visiblement gêné par tant de journalistes et photographes agglutinés à l'entrée comme des ados devant leur lycée. Sa présence massive et silencieuse marque la fin de la récré. Tahar Djaout et ses blagues matinales, la voix résonnante de Kheireddine Ameyar, le pince-sans-rire Halim Mokdad, Malika Abdelaziz qui revient de Tindouf avec son petit panier, Ahmed Halli qui parle de tout et de rien avec son sourire narquois, Blidi Maâchou étonné d'être encore en vie de ses aventures dans le Liban en guerre. Nait Mazi montait au premier étage dans le bureau du Red-chef. Il entame avec Mohamed Abderrahmani un premier tour d'actualité. A 15 heures, il est au briefing consacré au menu. On commence par la «Nationale». En concertation, la page «Une» devanture du quotidien sera configurée en fonction des priorités. La soirée se termine par une visite à l'imprimerie dans l'espace mécanisé et saturé de plomb en fusion. C'est l'univers de Dahmane Badroune, Nasri Mohamed, Sid Ali Maloufi, Zoubir Meridji et tant d'hommes à blouse bleue. L'héritier d'El Moudjahid, journal de guerre, fut un homme respectable et respecté même dans l'adversité. Un personnage aux contours réglés par le travail et le sens du devoir transcendant. Pondéré, sage au sens philosophique du terme, il avait la mesure dans les propos. Chaque mot avait son importance. Nous pouvons l'adopter comme modèle ou le refouler, l'encenser ou l'accabler, Noureddine Nait Mazi a toujours été au-dessus des contingences. Il restera dans nos mémoires l'incomparable modèle de droiture et de fidélité à une certaine idée de l'Algérie
Rachid LOURDJANE
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Posté Le : 16/04/2024
Posté par : rachids