Algérie

Noureddine Legheliel, Analyste boursier, à L’Expression «Les pressions écologiques visent à infléchir les prix du gaz»



Noureddine Legheliel, Analyste boursier, à L’Expression «Les pressions écologiques visent à infléchir les prix du gaz»
Publié le 06.03.2024 dans le Quotidien l’Expression

Sans ambages et sans états d'âme, l'analyste boursier algérien résidant en Suède aborde, dans cette interview qu'il a bien daigné nous livrer, certains aspects liés aux lobbying et groupes d'intérêts occidentaux dans la sphère énergétique mondiale.
Il met en exergue la mainmise des compagnies pétrolières américaines sur les prix des matières premières, mais surtout aussi sur les prix du pétrole et du gaz, dans les marchés à terme et ceux spot. Il estime, par ailleurs, que le jeu des Occidentaux et, a priori, les Européens n'est pas clair vis-à-vis des pays producteurs et exportateurs de gaz et de pétrole. Pour l'expert Legheliel, il va sans dire que le conflit russo-ukrainien a induit certaines vérités. Pour lui, cette guerre a démasqué le monde européen, qui faisait croire que la transition énergétique avait atteint des proportions très avancées. Or, pour cet expert algérien, la guerre en Ukraine a confondu les Européens. Pour lui, les énergies renouvelables ne sont qu'un leurre et un stratagème pour créer des pressions sur les pays exportateurs, afin de maintenir les prix actuels et même les faire baisser davantage. À coups de vérités amères, d'interrogations intelligentes et des analyses assez subtiles, quant aux activités de lobbying des grandes compagnies pétrolières, Leghliel nous livre ses vérités crues. La mainmise des Américains sur les marchés énergétiques et la dépendance des Européens vis-à-vis des États-Unis. Suivons cette interview passionnante.
L'Expression: La Déclaration d'Alger qui vient de sanctionner le 7e Forum des pays exportateurs de gaz (Gecf), insiste sur le fait d'admettre le gaz en tant qu'énergie propre accompagnant la transition énergétique dans le monde. Quel est votre avis sur la question?

Noureddine Legheliel: Il ne faut pas tomber dans le piège des Européens. Ils disent quelque chose et ils font le contraire. Je vous le dis en toute sincérité, les grands pollueurs dans le monde, ce sont les Américains et les Chinois. Et maintenant, les Européens avec l'ouverture des mines de charbon.
Paradoxalement, ils intensifient l'exploitation des mines de charbon, à cause de la croissance, et d'autre part ils insistent sur les énergies renouvelables. Donc, il faut éviter de tomber dans ce piège. En réalité, beaucoup de pays se sont embarqués dans ce leurre, à cause des beaux slogans européens d'énergies propres, d'hydrogène vert et tout ce qui va avec. Fort heureusement, la guerre en Ukraine a mis au jour cette grande supercherie et démasqué la propagande occidentale sur ce dossier. Il n'y a rien du tout. Les énergies propres ne sont toujours pas là.

Mais comment expliquer une telle situation et attitude des Européens vis-à-vis de ce dossier?

En fait, toute cette campagne et cette propagande européenne sur les énergies propres et des résolutions des COP ne servent qu'à créer, exercer et maintenir en l'état, les pressions sur les pays producteurs et exportateurs d'énergies fossiles, dont le gaz afin de plafonner les prix et éviter les contrats moyens et longs termes. Les pressions écologiques visent à infléchir les prix du gaz. En fait, c'est la Russie et l'Opep qui sont visées dans cette histoire.
Une manière de faire avaler à ces pays producteurs, que d'ici une décennie, leur pétrole et gaz, ils pourraient le jeter en mer, car ils ont leurs énergies renouvelables. Mais Dieu merci, la guerre de l'Ukraine les a démasqués tous. Elle a mis au jour toute cette vaste propagande européenne sur les avancées, en matière d'énergies nouvelles et renouvelables EnR. Alors qu'en réalité, il n'y avait rien de tout cela. Il n'y a pas d'énergies renouvelables et ils ne pourront pas se défaire des énergies fossiles. Pourquoi il y a une crise énergétique en Europe? Où est-ce qu'elles sont ces énergies propres, nouvelles et renouvelables EnR qu'ils nous assuraient avoir développées et sur le point de généraliser? Finalement, c'est un coup de bluff.

Est-ce à dire que les énergies fossiles domineront encore le mix énergétique mondial?

Absolument. Sans aucun doute. Autant pour le gaz que pour le pétrole, on en a encore pour une bonne soixantaine d'années et davantage même. Il ne faut pas manoeuvrer là-dessus. Preuve en est que les lobbies et les grandes compagnies pétrolières mondiales oeuvrent, sans relâche pour que ça ne passe pas.

Où se situe la problématique, alors? Est-ce une histoire de coûts, de technologies ou c'est tout simplement politique et sur la base de lobbying pour préserver les intérêts des grandes compagnies?

Ecoutez, c'est bien connu de tous. Les compagnies pétrolières occidentales n'investissent pas dans les énergies renouvelables. Ça ne les intéresse pas du tout. En plus, ces dernières disposent d'un lobby solide, bien incrusté au sein des démocrates, mais aussi auprès des républicains, afin de préserver leurs intérêts. Ils financent les campagnes électorales des républicains, et celle des démocrates. Donc, ils sont gagnants sur toute la longueur d'onde. Il n'y a qu'à voir ce qui s'est passé avec le pipeline reliant les États-Unis au Canada et le veto des grandes compagnies américaines là-dessus.
Les lobby pétroliers américains se sont opposés à ce projet, car il y a du pétrole bradé des pays producteurs, il y a aussi la domination américaine et des pays qui dépendent des USA pour leurs protection et sécurité. En faisant brader leur pétrole, ils viennent tout simplement combler les quantités manquantes sur le marché international, et combler ainsi le déficit du pétrole russe sous embargo. Donc, finalement qui sont les grands gagnants de ce scénario international? Ce sont, indéniablement, les compagnies pétrolières américaines. Il ne faut pas, non plus, perdre de vue cette dépendance des Européens vis-à-vis des Américains. Autrement, s'il ne s'agissait que du gaz naturel conventionnel, la technologie est entre les mains de plusieurs pays.

Comment voyez-vous le programme des énergies nouvelles et renouvelables EnR, lancé par l'Algérie, à savoir l'énergie solaire avec les 2 000 MWC et les 1 000 Shaems?

En toute sincérité. J'aimerais bien voir les choses sur le terrain de la réalité. On peut faire tant de projections, des anticipations sur le long terme. Mais moi, je suis pragmatique. J'aimerais bien voir les choses sur le terrain, pour en juger et faire mes propres lectures et analyses.

Vous pensez toujours que les pays producteurs de gaz doivent s'organiser en Cartel ou une Opep du gaz?

Il convient de dire que l'idée d'une Opep du gaz ne date pas de ce sommet. Il y a au sein du Forum des pays exportateurs de gaz (Gecf), trois grands pays majeurs qui sont pour la création d'un Cartel. Il s'agit du géant russe, de l'Iran et du Venezuela qui sont des pays sous sanctions occidentales et ce sont des poids lourds dans l'équation énergétique mondiale. La Russie est le premier fournisseur de gaz mondial. Il faut le rappeler encore, ces trois pays entendent aller vers un Cartel du gaz. C'est faisable, seulement il faudra encore travailler sur la cohésion du groupe et avoir plus de courtage politique pour le faire. Parce qu'il ne faut pas perdre de vue qu'il y a une financiarisation des marchés des matières premières, et là-dessus, les Américains contrôlent les prix des matières premières.

Concrètement, que pourra apporter de plus un Cartel au groupe du Forum des pays exportateurs de gaz?

En fait, un Cartel pourra peser de manière tranchée sur l'échiquier énergétique mondial, en ayant un poids sur les cours et les prix du gaz, qu'ils peuvent influencer. Mais, jusqu'à présent les prix du gaz se négocient à New York, que ça soit pour les marchés à termes ou les marchés Spot. Il faut rappeler que juste l'annonce de la tenue du sommet du gaz a eu un impact sur les prix mondiaux. Sur le marché américain, du lundi 26 au jeudi 29 mars 2024, date du début des travaux du Gecf, le gaz a gagné 18% d'augmentation. En Bourse, on explique ça comme étant un impact direct du sommet sur les cours. Donc, voilà à peu près la situation. Il faut rappeler aussi que le marché a connu une baisse historique, presque un crash, au niveau des prix.
Mohamed OUANEZAR



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