Algérie

Nouad Mohamed Amokrane. Consultant et expert en agronomie



« Les solutions conjoncturelles ne stabilisent pas le marché des produits agricoles » Consultant et expert en agronomie, docteur en développement des filières de l?Institut national agronomique de Paris, Nouad Mohamed Amokrane analyse dans cet entretien la difficile conjoncture qui prévaut actuellement sur le marché national des produits agricoles, mettant en évidence la nécessité de concevoir un plan de développement spécifique du secteur agroalimentaire.  Le consommateur reste confronté au problème de cherté et parfois de pénurie des produits agricoles comme est le cas actuellement pour la pomme de terre . Comment expliquez vous ces turbulences et l?instabilité de la filière ? Et quelles seraient selon vous les solutions ?  Le marché caractérisé par une dérégulation et une forte spéculation durant ces derniers mois, a poussé les pouvoirs publics a lui consacrer un conseil des ministres où des décisions ont été prises pour assurer l?approvisionnement du marché en produits de large consommation, sa régulation et la protection et la préservation du pouvoir d?achat. Et pour assurer la sécurité alimentaire du pays, le président de la République a insisté sur la poursuite du développement du secteur agricole pour réduire la dépendance du marché extérieur, notamment en matière de produits de large consommation. Il a demandé également au gouvernement de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer une meilleure régulation du marché et une organisation efficiente des activités commerciales. Les solutions de conjoncture n?ont souvent pas donné les résultats escomptés et occultent les problèmes de fond. Vous utilisez un bon concept qui est la notion de filière. Est ce qu?on a cette organisation par filière en Algérie ? Malheureusement pas ou très insuffisante ce qui explique cette turbulence. La filière est composée de quatre segments interdépendants : production, commercialisation, transformation et valorisation et distribution. Toute action sur l?une de ces fonctions se traduit par des impacts directs sur la productivité de la filière. La structure des prix à différents stades de la chaîne de commercialisation montre que les prix de gros et de détail suivent la même tendance générale, mais la marge du détail varie en fonction des pressions du marché. En effet, lorsque les approvisionnements sont bas et que les prix augmentent, la marge du détail est comprimée. Toutefois, cette situation est contrebalancée par une marge de détail plus générale pendant les périodes d?abondance. Lorsque les prix montent, la pression exercée sur la marge du détail reflète les limites maximales imposés sur les prix du détail. Le prix du détail ne pose pas généralement beaucoup de problèmes mais celui pratiqué par les intermédiaires indispensables ou pas suscite cette turbulence. En principe dans une économie du marché, le prix est une résultante du marché qui est conditionné par un rapport très simple qui est l?offre et la demande. Est-ce qu?on est dans cette économie qui est régie par des règles universelles ? Non, au niveau du segment de production très peu d?unités sont réellement marchandes (dégageant une quantité non négligeable et pouvant avoir un impact sur le marché), au niveau du segment commercialisation notamment celui de la collecte et du marché de gros ce sont les maillons faibles (production pulvérisée et manque de groupements de producteurs en mesure de gérer la mise en marché, y compris les prétraitements à la ferme), le problème du segment de transformation se pose avec acuité du fait qu?il est déconnecté de l?amont et pour ce qui est de la distribution et en absence des grandes surfaces qui développent des stratégies de parts de marché vendant plus avec des marges réduites donc accessibles aux consommateurs. On ne doit pas se limiter à la seule question de la production sur pieds. Les problèmes de commercialisation, de transformation, de stockage sont aussi importants pour maîtriser l?ensemble de la filière.  Le segment de la commercialisation n?est il pas justement au centre de beaucoup de problème qui se posent au secteur agricole ?  La commercialisation est effectivement le tableau relativement obscure de la filière. Cette tranche de la filière n?exploite pas au mieux l?effort de la production. Donc, il y a nécessité de rationaliser pour préserver les efforts consentis pour la production. Le commerce de gros est presque totalement informel. A l?exception de certains importateurs, les grands commerçants ont un degré faible de spécialisation, ont des capacités autonomes limitées de conservation et de transport, et surtout n?ont aucune transparence dans les transactions commerciales. Les principaux problèmes qui limitent l?efficacité du fonctionnement des marchés sont connus. On peut en énumérer quelques uns : les difficultés d?accès au marché, la rigidité de l?offre agricole, les prix agricoles instables, la formation des prix souvent inéquitable, et la tromperie sur la qualité fréquente. Les consommateurs sont très peu organisés, bien que certaines associations existent et commencent à se développer. Il est difficile de voir des pressions de la part des consommateurs devant -par exemple- la montée injustifiée des prix surtout dans les périodes de Ramadan, ou les fraudes sont récurrentes, et les conditions de stockage et de distribution, insalubres etc. Les systèmes de commercialisation sont inadaptés et sont plus orientés vers la spéculation d?où la nécessité de développer une stratégie de grandes centrales d?achat. Celles-ci devraient permettre d?améliorer l?approvisionnement des marchés en fruits et légumes frais et produits transformés ainsi, que d?accroître la compétitivité sur les marchés locaux et internationaux. L?avenir des marchés de fruits et légumes semble s?orienter vers une transformation en pôles agroalimentaires devant être fournisseurs de services, capables d?opérer avec des modes de transport adéquats, de pouvoir gérer la chaîne du froid et de s?adapter aux exigences d?information et de traçabilité des produits.  Quelles seraient vos propositions en vue d?une amélioration du fonctionnement du marché ?  Il faut une reprise de la gestion des marchés par les APC : le système d?adjudication très répandu actuellement présente plus d?inconvénients que d?avantages. Donc, il est souhaitable que les APC reprennent en main ces marchés,notamment la gestion des marchés importants, appliquer un cahier de charge rigoureux à faire respecter , uniformiser les taxes d?entrées sur les marchés en fonction de l?importance du marché et de la nature d?équipements et prestations de services disponibles, doter les marchés d?un minimum d?équipement, assurer le suivi statistique des entrées et susciter la mise en place d?une mercuriale. Pour améliorer la profession des intervenants sur le marché, il faudrait aussi des actions qui visent l?élimination des agents parasitaires (intermédiaires) et l?organisation du travail des véritables professionnels. La réglementation des professions, le contrôle effectif des marchés permettrait aussi de limiter le nombre d?intermédiaires et de stabiliser la structure des prix. La création d?un organe de régulation (une agence nationale de développement et de régulation des fruits et légumes et produits agroalimentaires par exemple ) qui aura comme mission de proposer et de mettre en oeuvre, en relation avec les autorités compétentes, tout texte législatif ou réglementaire relatif au secteur, proposer et veiller à la mise en oeuvre des plans de développement du secteur en collaboration avec la profession et l?interprofessionnel et d?intervenir dans le cadre du marché par une fixation de prix d?orientation, et la régulation du marché par le stockage ou déstockage des produits. Au niveau organisationnel, il faudrait une mise en oeuvre d?un programme de développement qui serait subordonné par la mise en place d?une organisation professionnelle en amont et en aval de la filière et qui viserait une organisation des marchés, une réglementation des professions liées à la commercialisation et la formation professionnelle à tous les niveaux de la filière. Ce sont toutes ces mesures qui doivent concourir à rendre la filière stable et sans turbulences et permette également de sécuriser les producteurs et les consommateurs.  Le problème du foncier est posé avec acuité , et des solutions sont revendiquées pour permettre au secteur d?en finir notamment avec des exploitations atomisées et d?arriver à constituer des exploitations viables pour relancer le secteur. Qu?en pensez vous ?  Le président de l?association Agro-aid activant autour du foncier agricole a tiré dernièrement la sonnette d?alarme en interpellant les pouvoirs publics pour créer une vision globale permettant de régler certains problèmes du secteur, notamment celui du foncier agricole qui représente le pilier cardinal de toute la sphère agricole. Il a estimé également que "sans une volonté politique de solutionner ce véritable problème, le développement de l?agriculture algérienne est impossible".Tous les experts considèrent que le problème du foncier représente le frein fondamental à la modernisation de l?agriculture algérienne et qu?il constitue un problème particulièrement difficile à résoudre. La loi actuelle, ne permettant pas de transactions commerciales transparentes sur la grande partie des meilleures terres agricoles, décourage les investissements. Le foncier privé est caractérisé par un morcellement des propriétés à la suite des divers partages liés aux successions, aboutissant à la limite à le rendre inexploitable. La propriété de la terre est fortement fractionnée. Même les EAC, dont la surface moyenne est de 60 ha, sont en réalité des ensembles d?entreprises individuelles qui n?ont pas une gestion unitaire. La seule possibilité pour atteindre des niveaux de production intéressants au niveau commercial et/ou industriel est de créer des groupements de producteurs. La voie la plus rapide et pratique pour la création de tels groupements est la coopération avec l?industrie, qui, mis à part certains secteurs (vin, tomate?) n?est pas développée. Il est difficile d?améliorer les technologies et la qualité du produit sans la création de groupements. Pour ce qui est du foncier public, le secteur public agricole a connu une très faible productivité qui le condamne mais sa privatisation doit combiner un souci social, répartition des terres au profit des exploitants individuels, et un souci économique, préservation de grands domaines permettant une importante productivité. Il conviendrait de définir très rapidement les conditions de mises en concession au profit d?investisseurs privés, entreprises ou individuels, sur la base de baux emphytéotiques de longue durée. L?attribution de ces concessions serait faite au vu de plan de développement présenté par les candidats de manière à assurer la meilleure productivité possible. Ces dispositions seraient de nature à relancer significativement les investissements agricoles et également agro-industriels. L?existence d?un marché informel sur le foncier agricole du domaine public a compliqué la situation. Les coûts de ces transactions sont élevés et, ni la puissance publique qui ne contrôle plus son patrimoine, ni les producteurs qui agissent dans un cadre juridique opaque ne leur permettant pas d?investir (faute de cadre sécurisé), ni les consommateurs qui payent les surcoûts induits par ces transactions ne gagnent dans le maintien d?un tel marché.  Malgré l?amélioration de la qualité de certains produits agricoles, les perspectives d?exportation restent très limitées. A quoi est du selon vous cette situation et quelles seraient les améliorations à apporter pour espérer une percée sur le marché extérieur ?  La production des fruits et des légumes s?est développée à un niveau tel, qu?elle a acquis les capacités quantitatives et qualitatives pour s?imposer à l?exportation, surtout pour les primeurs. Un préalable est nécessaire d?où l?importance d?une mise à niveau de la production nationale qui du reste est de qualité mais, nécessitant quelques améliorations en terme de normalisation (calibrage, conditionnement et présentation).Conscient de l?impact de la logistique sur les performances à l?exportation dans un contexte international de plus en plus compétitif, il y a lieu de développer des actions au niveau du conditionnement, de l?emballage et du transport. L?emballage et le conditionnement sont une étape cruciale de valorisation des exportations qui peut augmenter ou réduire la valeur ajoutée et donc la rentabilité De nouveaux efforts seront nécessaires pour renforcer la compétitivité des exportations. Pour ce faire, une stratégie globale de valorisation du produit doit guider toute politique à mener, tant au niveau de la production que de la commercialisation, car certains produits algériens dont la qualité est reconnue peuvent avoir une place de choix sur les marchés extérieurs. C?est sur la diversification des débouchés et des produits que les efforts doivent porter. La recherche de segments spécifiques de marché s?impose face à un marché international de plus en plus saturé. Le problème essentiel qui se pose est le passage d?une spécialisation statique basée sur l?avantage comparatif à une spécialisation dynamique axée sur l?avantage compétitif. En effet, aujourd?hui, dans un environnement international caractérisé par une compétition commerciale internationale accrue, il ne suffit plus de détenir un avantage comparatif (main-d?oeuvre) dans une production pour être compétitif. Le coût n?est plus le facteur décisif ; la maîtrise technologique, l?innovation, les performances organisationnelles sont autant d?éléments à prendre en compte. Aujourd?hui, les entreprises algériens devront s?orienter vers des niches et des segments de marché où elles seront compétitives. Tel que le développement des exportations des produits biologiques dont la demande s?accroît rapidement dans les pays développés. Dans un contexte de forte progression de la demande internationale en production agrobiologique, il s?agira de faire le point sur les dynamiques actuelles de développement et leurs perspectives d?évolution. Quels sont les facteurs socio-économiques structurants de ce développement ? Quels en sont les leviers ? Qui sont les acteurs de ce développement ?  Le développement de l?industrie agroalimentaire en Algérie, se fait malheureusement en déconnection par rapport au secteur agricole, les matières premières étant importées en grande partie avec parfois un sérieux problème de traçabilité, la provenance des produits n?étant pas toujours spécifiée sur les emballages. Est ce que la complémentarité est possible entre les deux pôles ?  Le couple agriculture - Industrie Agroalimentaire est indissociable. Notre agriculture dispose d?atouts physiques et économiques indéniables (productions variées et la précocité pour certains produits maraîchers). Les conditions climatiques et environnementales saines s?apprêtent au développement de l?agriculture biologique. Elle bénéficie d?un appui technique et scientifique à travers des instituts techniques, des centres de recherche, de formation et de vulgarisation. La profession est organisée autour des chambres composées d?associations professionnelles et d?organisations interprofessionnelles par filière. Il se trouve que le secteur de l?agro- alimentaire est déconnecté de l?amont agricole, externalisé, orienté vers le marché local et déconnecté du marché extérieur. Il se caractérise aussi par sa faible compétitivité, une absence de stratégie globale et de cohérence (cas de surcapacités) et une absence de régulation du marché. Le tout est couronné par l?absence ou faiblesse des organisations professionnelles ou interprofessionnelles. Le secteur agro-industriel constitue un maillon essentiel dans la stratégie de développement du secteur agricole national. Il joue un rôle socio-économique important et occupe une place de choix au sein des industries de transformation et ce tant au niveau de l?emploi, de la valeur ajoutée, des investissements qu?à celui des exportations. Le secteur des industries agroalimentaires est sans cesse en mutation ces dernières années en Algérie, en raison notamment de l?impact non négligeable des premiers résultats du PNDAR. Les premiers résultats du PNDAR mis en ?uvre par le ministère de l?Agriculture depuis quelques années, par exemple dans les filières arboricoles fruitières, devraient aboutir à une croissance très sensible des productions qui offrira des opportunités nouvelles pour l?agro-industrie.  Comment le secteur agoalimentaire pourrait-il profiter de ces opportunités ?  Le développement du secteur agro-alimentaire devrait à mon sens, s?appuyer en parallèle sur celui du secteur de l?agriculture qui devra évoluer vers une agriculture économique avec de véritables exploitations agricoles intensives et de grandes tailles. Le développement agricole est l?un des moteurs fondamentaux de l?économie nationale, il joue un rôle décisif dans la sécurité alimentaire du pays et donc pour le bien-être de notre population. C?est un secteur prioritaire pour les pouvoirs publics et il n?y a que le ministère de l?agriculture et du développement rural qui prend en charge parfois seul ce fardeau d?où la nécessité que les autres secteurs intervenants directement ou indirectement se mettent de la partie d?une façon prononcée . Le PNDAR devrait donc être renforcé et soutenu pour notamment assurer les synergies entre les exploitations agricoles et leur environnement (investisseurs et autres acteurs économiques), assurer l?accompagnement et l?encouragement des filières et segments de filières en vue d?améliorer leur compétitivité et le développement de leur potentiel productif et d?exportation. Un des objectifs pour ce secteur est de susciter la mise en place d?un PNDAGRO (plan de développement spécifique du secteur agroalimentaire) pour intégrer le PNDAR par un plus fort volet agro-industriel. Le PNDAR devra mieux intégrer des mesures visant à favoriser des complémentarités entre l?agriculture et les industries agro alimentaires. Aujourd?hui le PNDAR comprend des mesures favorisant l?investissement mais restent insuffisantes pour intensifier les relations avec l?industrie. Les attentes des industries agro-alimentaires sont donc l?émergence d?un secteur agro-industriel performant apte à répondre aux besoins alimentaires et nutritionnels des populations et à fournir des produits à des coûts relativement bas qui ne pénalisent pas les consommateurs. Cette émergence passe aussi par la réduction de la valeur des importations alimentaires et l?accroissement des recettes d?exportation avec comme objectif l?équilibre de la balance commerciale. Ceci permettrait à ce secteur stratégique dans la valorisation de la production agricole, d?impulser le développement rural, la création d?emplois.... et de jouer un rôle important dans la régulation des filières agro-alimentaires , tout en étant la locomotive du développement de l?agriculture.


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