Algérie

Notre littérature est trop triste!



Publié le 01.08.2024 dans le Quotidien l’Expression

La misère, quelle qu'elle soit, est le sujet central de la littérature algérienne contemporaine. Toutes les misères sont portées avec détails dans le roman et dans la poésie
La Guerre de libération, un sujet récurrent.
J'ai comme un sentiment que la littérature algérienne est trop triste, excessivement morose! Depuis un siècle, elle s'est enfermée dans un nombre de sujets historiques ou politiques qui dégagent du chagrin. Elle est toujours en colère, dans la colère et l'affliction!
La misère, quelle qu'elle soit, est le sujet central de la littérature algérienne contemporaine. Toutes les misères sont portées avec détails dans le roman et dans la poésie; La misère sociale, identitaire, politique et sentimentale. L'image d'un fellah épuisé, fatigué avec un âne et quelques chèvres hante l'imaginaire du lecteur. La littérature a une âme rurale, pleureuse et conservatrice.
Certes, l'Histoire de notre pays n'a jamais été apaisée ni clémente. Une Histoire connue par une succession d'invasions et de guerres. Un océan de larmes et des montagnes de souffrances émanent de notre littérature.
La faim est le sujet qui saute aux yeux dans les textes de nos grands écrivains à l'instar de Mohammed Dib, de Mouloud Feraoun, de Mouloud Mammeri et d'autres. L'émigration avec tout ce qu'elle renferme de sentiment d'amertume de la séparation. Les femmes souffrent de l'absence des hommes, les maris et les fils. Les hommes, de l'autre côté, subissent le poids infernal de la solitude et du racisme. Les enfants, en silence, endurent la maladie du déchirement. Le bout de pain gagné de cette séparation est amer. Rare est l'écrivain algérien qui n'a pas abordé ce sujet et toujours de la même façon ou presque.
La guerre de libération fut, et elle l'est toujours, le sujet le plus récurrent de la littérature algérienne, une présence pleine d'enthousiasme. Cette période pénible et meurtrière a engendré une littérature de sang, de peur et de larmes. La Guerre de Libération nationale, avec tout ce qu'elle représente de fierté et d'honneur pour tous les Algériens, a enfermé notre littérature dans un discours littéraire facile, pédagogique et superficiel. Ecrire la guerre exige de l'auteur une parfaite maîtrise de la philosophie du bien et du mal de la paix et de la guerre, de la vie et de la mort. La guerre de libération comme sujet a produit une littérature esthétiquement médiocre malgré les bonnes intentions des écrivains. La colère et l'enthousiasme ne constituent pas le bon chemin pour une écriture fiable et profonde de la guerre. La liberté et l'indépendance comme sujet littéraire sensible exigent une approche philosophique et humaine de la guerre, loin de toute haine raciale, religieuse ou identitaire, loin de toute généralisation. La guerre de libération, du moins une grande partie, a produit une littérature où le héros est souvent un superman, où la mort est un plaisir, où la peur n'existe pas. Rares sont les textes littéraires qui ont échappé au piège de la colère et de l'enflamement de l'excitation idéologique, on peut citer à titre d'exemple Qui se souvient de la mer de Mohammed Dib, Nedjma de Kateb Yacine, Les chercheurs d'os de Tahar Djaout ou Le Muezzin de Mourad Bourboune et d'autres.
Après la guerre de libération en tant que sujet générique, la littérature algérienne s'est enfermée, pendant deux décennies, de 1962 à 1980, dans une autre problématique idéologique celle de la propagande socialiste. Dans un discours littéraire creux qui n'était que la reproduction du discours politique de l'époque, les écrivains ont produit des romans et des poèmes sans âme et sans beauté. Le bonheur humain, aux yeux de cette littérature, n'est qu'illusion. Le sens de l'engagement est vide de toute méditation philosophique ou critique. Tout écrivain qui sort du troupeau socialiste est traité de capitaliste, de libéral ou tout simplement d'ennemi de la révolution.
Puis arrive la décennie noire ou sanglante, et encore une fois la littérature algérienne se trouve face à une autre impasse idéologique. Certes la folie était énorme et démesurée et la bêtise humaine était criarde et inimaginable, mais cela ne justifiait pas et ne permettait pas la chute générale de la littérature algérienne dans un discours simpliste et urgentiste. Des centaines de textes poétiques et narratifs ont tenté, et avec bonne foi, de décrire cet enfer des humains. Mais l'enfer du terrorisme islamiste demande de l'écrivain un savoir historique et psychologique pour réaliser une analyse du phénomène d'atrocités aveugles et abjectes. Que des pleurs, du sang et de la haine des êtres inhumains qui tuent ou qui se font tuer.
Certes, dans la littérature, existent des textes capables de faire du deuil une beauté littéraire extrême, de la tristesse une esthétique textuelle exceptionnelle, de la guerre un hymne pour l'humanité, mais cela ne peut être palpable que quand l'écrivain arrive à se libérer du poids idéologique propagandiste et ainsi aller piocher dans la philosophie et la psychologie profonde de l'être humain. Rares sont les écrivains algériens qui ont creusé dans la profondeur de ces problématiques idéologiques piégeuses et qui ont donné le plaisir de la lecture.

La femme dans cette littérature c'était toujours la mère.
Une mère souffrante
Dans le champ ou dans la cuisine
Une femme dans l'attente d'un retour d'un absent, le père ou le fils.
Le corps de la femme est banni, on voit d'elle qu’une silhouette grise.
Amin Zaoui



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