Confrontées à une conjoncture sécuritaire assez particulière et
alarmante, les régions du Sud du pays posent un véritable dilemme aux autorités
centrales et locales.
Le ministre des Ressources en eau nous avouait en ce froid matin d'In
Amenas, que cela fait six ans qu'aucun ministre n'a rendu visite à cette daïra
de la wilaya d'Illizi. Abdelmalek
Sellal l'avait dit avec une pointe de fierté parce
qu'il était sur place mardi dernier. Il avait passé deux jours entre Djanet, Illizi et In Amenas pour
s'enquérir de l'état des structures et équipements assurant l'alimentation en
eau potable à ces contrées lointaines du grand Tassili. Paradoxe des temps et
surtout de la nature, ces régions, aussi désertiques qu'elles soient, ne
manquent pas d'eau alors que la guerre de l'eau a été déclenchée depuis
longtemps à travers le monde. Le conflit israélo-arabe au Moyen-Orient en
entretient de violents chapitres.
Les populations de la wilaya d'Illizi posent
juste le problème de la couleur et du goût de cette importante ressource qui
est «rouillée». Elle est de couleur «terre» parce que disent les spécialistes,
elle a une teneur excessive en fer. «Buvez cette eau au lieu de manger des
lentilles, comme ça, vous allez équilibrer le taux du fer dans votre
organisme», leur a conseillé Sellal sous forme de
boutade cocasse qu'il est le seul membre du gouvernement à savoir en sortir
même dans des moments difficiles.
La nature semble être restée plus clémente que l'homme à l'égard de ces
populations qui peinent à assurer leur quotidien. L'on admet sans complaisance
aucune, que beaucoup de «bonnes» choses ont été faites au niveau d'un grand
nombre de communes à l'exemple de la construction de logements, quelques routes
et même si ce ne sont que des petites écoles et de minuscules centres de santé.
Mais si même les villes du Nord algérien souffrent de pénuries de médicaments
nécessaires à des pathologies pourtant tenaces et très répandues dans le pays
comme les cancers, il est évident qu'au fin fond du Sahara, les conditions de
santé ne peuvent être que pires.
CES FEMMES QU'ON ABANDONNE A LEUR DETRESSE…
L'on apprend que des missions médicales itinérantes sont certes
organisées de temps à autre dans ces régions pour dépister notamment le cancer
du sein. «Mais aucun suivi n'est fait, les femmes sont abandonnées à leur sort
et à leur stress mortels sans qu'il leur soit apporté les soins nécessaires.
«Nous aurions aimé qu'elles n'aient pas été dépistées pour qu'elles ne sachent
rien de leur état de santé», nous disait lundi dernier un habitant d'Illizi. «Elles auraient ainsi continué à vivre sereinement
sans affolement et sans qu'elles se soient mises à redouter la mort à chaque
seconde de leur vie», constate-t-il.
Il est vrai que dans ce marasme ambiant, mieux vaut ne rien savoir de ce
qui ronge des êtres dénués de moyens et privés de l'attention de l'Etat qui en
est pourtant une de ses obligations envers ses citoyens. L'ouverture de centres
de santé équipés pour soigner et gérer la douleur des malades représente une
des urgences que les autorités centrales se doivent d'assurer à ces
populations. Une promesse que le ministre de la Santé a faite et se doit en
principe d'honorer dans les plus brefs délais. Quoique le reste, tout le reste,
en commençant par des conditions élémentaires d'une vie à peu près descente,
relève aussi de l'urgence.
Il semble cependant que les décideurs peinent à trouver des solutions à
un gros dilemme, celui de développer ou pas ces régions. En effet, ils semblent
ne pas savoir s'ils doivent agir promptement pour assurer les conditions de vie
nécessaires à des populations qui ont incontestablement besoin d'être
stabilisées, soignées et rassurées ou alors les laisser végéter pour ne pas
qu'elles subissent le fléau de l'émigration clandestine et ce, en attirant les
migrants des pays du Sahel dont le dénuement accentuera la prolifération du
crime sous toutes ses formes et celle de toutes les maladies lourdes comme le
sida.
«IL Y A DES JEUNES QUI CONNAISSENT LE DESERT COMME LEUR POCHE»
La détérioration de la situation sécuritaire dans le Sahel, entretenue
par de violentes guerres fratricides, le terrorisme, le crime organisé, la
contrebande de tout genre, la déstabilisation de la Libye et autres problèmes
économiques et sociaux, renvoie indéniablement des conséquences alarmantes vers
l'Algérie, tout particulièrement vers les régions frontalières.
Illizi, qui n'est loin ni de la
Libye, ni du Niger, ni du Tchad, ni du Mali, est racontée
aujourd'hui au présent d'une situation sécuritaire troublante. «Toute la
contrebande ici est alimentée par des commanditaires qui vivent soit au Niger
ou au Mali», nous disent des jeunes. Le cas Laouar Belmokhtar est le plus évoqué quand il s'agit de soupeser
les moyens humains et matériels et les facilités d'intervention sur des
immensités terrestres marquées par des paysages lunaires. Les habitants
rappellent que Belmokhtar réside au Mali parce que,
disent-ils «il ne peut rentrer en Algérie, il est grillé». Et c'est donc de
l'extérieur qu'il commande et dirige, dit-on, des actions de contrebande, de transcriminalité. Un habitant qui semble bien au fait de
pareilles situations commencera d'abord par dire que «l'Algérie devra
s'entendre avec le Japon pour qu'il bloque pour un certain temps la
construction des Toyota Station». Il affirme ainsi que tous les trafics,
quelles que soient leur nature et leur ampleur, se font à bord de ces voitures
tout-terrain, «équipées pour affronter ou semer même le diable». Ceux qui
conduisent ces véhicules sont, aux yeux de notre interlocuteur, «de véritables
boussoles». Il est persuadé qu'ils connaissent «par cÅ“ur ces espaces
désertiques déserts tout autant que leurs nombreuses sorties sur les quatre
coins cardinaux». Notre accompagnateur raconte que «ceux qui sont à bord de ces
voitures peuvent rouler jusqu'à 3 000 km sans arrêter. «Ils mettent à
l'intérieur de la voiture la marchandise qu'ils veulent faire arriver à bon
port et sur son toit, des jerricans d'essence. Quand ils ont besoin de refaire
le plein, ils ne s'arrêtent même pas, ils ont appris à remplir le réservoir
alors que le véhicule continue de rouler, ils ne veulent perdre aucun minute»,
dit-il. Notre interlocuteur est persuadé que beaucoup de jeunes dans ces
régions connaissent bien le désert. «Ils peuvent être recrutés pour servir de
guide aux brigades d'intervention, ils connaissent le désert comme leur poche»,
assure-t-il.
CES VOITURES QUI COMMETTENT LE CRIME…
Pour le reste de l'approvisionnement en eau ou en alimentation, notre
source affirme que «plusieurs points existent, que ce soit au niveau de sorte
de trous creusés un peu partout dans le désert ou des abris de fortune qui
passent inaperçus. «Pour chaque point d'approvisionnement, ils fixent un repère
qu'ils sont les seuls à connaître et à retrouver», fait-on savoir. Nos
interlocuteurs avouent que ces groupes criminels agissent avec une rapidité
inouïe. «Ils possèdent un matériel de transmission sophistiqué, ils gèrent
aussi leurs affaires avec le téléphone Ethouria»,
explique l'un d'entre eux. Ce genre de transmission est, faut-il le signaler,
un «engin» dont les seules vibrations sont captées par le plus petit satellite.
Leur acquisition est déjà minutieusement contrôlée par le monde des puissants
et les différents services de sécurité. Leur traçabilité
est ainsi assurée. Ce sur quoi nos interlocuteurs tombent d'accord, c'est que,
affirment-ils, «l'Algérie est devenue un grand pays de transit du crime que
commettent des réseaux très bien organisés». La drogue, qu'on dit
«principalement provenir du Maroc, descend vers la Mauritanie, passe par
l'Algérie frontalière, transite par la
Libye, l'Egypte, Israël pour être dispatchée à partir des
Emirats arabes unis vers les autres pays du Golfe et autres pays d'Asie. «Le
phénomène n'est pas nouveau, les itinéraires sont connus, les trafiquants
travaillent à l'aise», estiment nos interlocuteurs. Au fait, un natif d'Illizi nous a fait savoir que «les véhicules japonais
utilisés pour des actions transcriminelles ne peuvent
être ni achetés ni vendus en Algérie». Il affirme que «c'est une instruction d'Ouyahia qui interdit leur commercialisation et aussi à
leurs propriétaires de ne les revendre à personne». «Mais il y a en beaucoup
qui viennent des pays du Golfe», ajoute-t-il.
«AIDEZ-NOUS A REGLER NOS PROBLEMES»
En faisant remarquer qu'aucun ministre n'est venu à In Amenas durant les
six dernières années, Sellal pense que sa visite en
entraînera d'autres de ces collègues des autres secteurs. Ce qui pourra
contribuer à lancer des plans de développement socio-économiques intéressants.
Les analystes pensent en effet qu'il est impératif que les stragèges
de la lutte antiterroriste incluent dans leurs approches le développement des
régions frontalières. Si l'eau est source de vie, sa disponibilité pourrait
donc booster les initiatives et contribuer à la création de diverses activités
économiques et sociales. C'est un peu l'esprit qui a prévalu dans la
réalisation du projet de transfert de l'eau d'In Salah vers Tamanrasset avec
obligation de raccorder les quelques localités se trouvant sur les tronçons
reliant les deux pôles. Avec toute la sagesse que leur ont léguée la sérénité
et l'immensité des territoires, les populations de ces régions savent
aujourd'hui plus qu'à une toute autre conjoncture, qu'In Amenas, Hassi R'Mel ou Hassi Messaoud nourrissent
l'Algérie tout entière mais les laissent parfois ses propres enfants sans toit
décent.
«Nous n'avons rien ici, rien du tout ! Aidez-nous à régler nos problèmes
!», a lancé un habitant d'In Amenas à l'adresse du ministre des Ressources en eau.
Imprévisible plaisantin qu'il est, Sellal lui demande
: «Tout ? On peut alors vous ramener du whisky ?». L'infortuné lui répond sans
réfléchir : «Ramenez-le, même si moi je ne bois pas, d'autres le feront !». Des
moments de détente que tout le monde apprécie même si l'état miséreux de
l'environnement dans lesquels les propos ont été exprimés ne prête pas au rire.
Sellal disait à répétition aux responsables de son
secteur de travailler en comptant avec le long terme. «Ne voyez pas petit,
pensez à 2050, 2060 !», exige-t-il d'eux. «Le secteur agricole est mort à cause
du manque de moyens d'irrigation», lui a dit un agriculteur. «Je suis venu
aujourd'hui pour vous régler tous vos problèmes d'eau,» lui a-t-il répondu.
«Certains responsables font des projets qui ne servent à rien parce qu'ils ne
consultent pas la population pour connaître ses besoins», lui a dit un habitant
de Djanet.
ILLIZI SE MET AU BIOMETRIQUE
«Battez-vous pour faire entendre votre voix et participer dans la gestion
des projets», conseille le ministre à un membre de la société civile. «Notre
ville est délaissée, personne ne tape sur la table pour elle», lâche un citoyen
d'Illizi. «Qu'est-ce que je suis venu faire ici alors
?», interroge le ministre. «L'eau nous coûte cher, en plus, il faut qu'on ait
la pompe pour qu'elle coule dans les robinets parce que le débit est très
faible, celui qui n'a pas d'argent pour l'acheter, il l'a au compte-goutte»,
lui explique un habitant d'un quartier de la ville. «Es-tu sûr que l'eau est
jaillissante ?», demande un responsable central à son collègue de l'ANRH». «Non seulement elle est jaillissante mais de bonne
qualité», rassure le DG de l'Agence lorsqu'il a fait part de transfert d'eau à
partir de trois localités différentes vers In Amenas. «Pourquoi avoir attendu
autant d'années pour remédier à la couleur et au goût de l'eau de la région ?»,
avions-nous demandé au ministre. «A chaque temps, ses exigences !», a-t-il
répondu. «Vous devez nous dire exactement qui est le plus rentable pour les
populations, la réalisation d'une station de déminéralisation ou le transfert
de l'eau sur un itinéraire de 100
km des régions avoisinantes à In Amenas»,
recommande-t-il à un de ses cadres. «Tout en réglant ces questions, nous nous
devons de penser à des horizons lointains pour les générations à venir», dit Sellal. «Pour que demain, après notre mort, on ne nous
insultera pas», a-t-il noté. «Que Dieu vous bénisse ! Nous prierons pour vous
pour que vous deveniez président de la république !», lancent en cÅ“ur des
notables de la région à Sellal avec qui il discutait
aisément en targui.
Au-delà des multiples vicissitudes qui la rongent, Illizi
a quand même acquis le système d'établissement du passeport et de la carte
d'identité biométriques. «La procédure du passeport biométrique a été enrôlée
la semaine dernière au niveau de près de 150 daïras de la wilaya d'Illizi», nous a assuré le wali lundi dernier. «A partir de
cette semaine, aucun passeport classique ne sera délivré. Désormais, les
dossiers déposés recevront le passeport biométrique», a-t-il affirmé.
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Posté Le : 14/01/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Notre Envoyée Spéciale A Illizi: Ghania Oukazi
Source : www.lequotidien-oran.com