«Un Rêve arrêté», de Yacine Loutari, journaliste au long cours, est un court roman – ou une longue nouvelle – (106 pages), paru en mars dernier aux éditions Média-Plus de Constantine. C’est un texte sur le football, sport que l’auteur « adore », apprend-on dans la préface, et qui, coïncidence heureuse, peut se lire en 90 minutes chrono, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités. Il s’agit de l’« histoire très romancée » de Hamid, 17 ans, étoile montante du RC Aïn Ettine, né « avec un ballon entre les pieds », et emporté par une crise cardiaque à la veille de la rencontre capitale face à l’AC Ghedira, club de la ville à l’ombre de laquelle vivote la petite bourgade, racontée par la voix d’Ahmed, son frère aîné et tuteur qui, « fou de douleur », prend une décision « étrange, extravagante, farfelue, complètement folle», celle de jouer ladite rencontre et de marquer, malgré sa quarantaine bedonnante et son manque de talent caractérisé, le but de la victoire, afin de réaliser le rêve du disparu, et surtout en perpétuer la mémoire. En filigrane, transparaît une peinture de la ville d’El Eulma — travestie en Aïn Ettine au nom de la « liberté de souvenir » — au lendemain de l’indépendance, où le cinéma (un peu), et le ballon rond (beaucoup et même à la folie !), constituent les seules distractions des habitants, et où l’on rencontre force personnages attachants — quoique plutôt schématiques —, à l’image d’El Hadj Ferhat, septuagénaire érudit à l’autorité morale reconnue, lequel jouera un rôle déterminant dans l’obtention par Ahmed d’une licence de footballeur, Saci « le manchot », qui n’en a pas moins deux mains, ou encore Khemissi, géant débonnaire qui, lui, les a énormes, et qui partage avec le narrateur le même métier, à savoir celui de boucher. Par le style, ce premier
«bouquin », comme aime à l’appeler l’auteur, tranche avec une production littéraire actuelle boursouflée, emphatique, en ce sens que celui-ci se fait sobre, précis et, fidèle au précepte flaubertien, nous « rentre dans l’idée comme un coup de stylet ». En effet, s’il en existe parmi les journalistes-écrivains qui veillent scrupuleusement à marquer la différence entre les deux genres d’écriture, Yacine Loutari n’en fait assurément pas partie : la concision, l’efficacité du texte, de même que le soin apporté au choix des mots, soulignent l’influence d’une carrière passée à l’agence Algérie presse service (APS). Toutefois, c’est cette même influence qui semble jouer un mauvais tour à l’écrivain, le recours fréquent (pour ne pas dire abusif) à l’ellipse finissant par nuire à la narration, et parfois même déséquilibrer le récit. Un exemple parmi d’autres : le match RCAT – ACG, clé de voûte de l’histoire, est expédié en quelques lignes, ce qui laisse un goût d’inachevé au lecteur qui n’aurait pas été contre un temps additionnel, voire des prolongations. En dépit de cet aspect, Un Rêve arrêté reste un premier roman prometteur, et l’on en sort bien avec une certitude : à l’inverse de son personnage principal, dont on ne sait pas, fin ouverte oblige, s’il marque le but « salvateur» (pour l’âme de son frère et pour son équipe), Yacine Loutari, lui, y parvient, marquant du même coup le lecteur, et se posant comme un talent à « marquer » de près.
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Posté Le : 01/02/2018
Posté par : litteraturealgerie
Ecrit par : Issam Boulksibat
Source : elmoudjahid.com