Algérie

Note de lecture, L’otage, roman de Salah Chekirou : retour sur une décennie tragique



Note de lecture, L’otage, roman de Salah Chekirou : retour sur une décennie tragique

Par : Kamel Bouslama - El Moudjahid

On pourrait se demander, une fois refermé ce roman ambitieux, si les belles âmes dans ce récit ne sont pas celles que des critiques ont descendues en flammes avant que ne s'abatte une implacable censure sur un précédent ouvrage du même auteur, Le Tycon ou l'empire des sables, ramassé et détruit au terme d'une exceptionnelle première semaine de ventes...

Alors, pour mieux saisir la trame de L'Otage, il faut savoir &mdashou se rappeler&mdash qu'au début des années 1990, les jeunes filles montréalaises se targuaient d'avoir un «chum» (copain) outre-Atlantique, notamment dans notre pays. Grâce à internet, Suzanne, une jeune infirmière québécoise, arrive donc à Alger sans connaître la réalité sécuritaire du pays. Suzanne trouve alors un pays en proie à une violence inouïe. Les hordes terroristes semaient mort et désolation dans les villes et les villages. Au cours d'un trajet qui devait lui permettre de rejoindre Hamdane Benahmed, le père de ses deux garçons, elle est enlevée par un groupe terroriste.
Suzanne sera ainsi séquestrée durant 25 longs mois. «On m'a battue, torturée, violée, exploitée au point de me réduire à un débris humain. Je suis séparée de mes deux chers enfants depuis mon kidnapping, alors que je tentais de m'enfuir de ma première séquestration. Je fus réduite à l'esclavage et à la servitude dans des conditions atroces que nul humain ne peut supporter... J'ai vécu l'enfer dans ma chair», se remémore-t-elle à travers la plume de Salah Chekirou. Et de poursuivre : « Si ce n'étaient l'élan de solidarité et la mobilisation des Québécoises, des Québécois et des femmes et des hommes libres à travers le monde, y compris dans le pays où j'étais retenue, jamais je n'aurais pu tenir durant cette très longue et douloureuse tragédie que j'ai subie (...).»
Le premier tort de cette jeune infirmière québécoise, qui s'extirpe d'une grosse déception suite à une douloureuse rupture avec l'amour de sa vie, Suzanne Planturier, car c'est d'elle qu'il s'agit, est d'avoir intégré le service des soins palliatifs d'un grand hôpital montréalais, pensant qu'en côtoyant les malheurs de ceux que la vie n'a pas choyés, elle se remettra sur ses pieds. Plutôt courageuse dans ses choix ultérieurs qu'on peut ne pas partager, elle a eu le tort, durant son séjour algérien entaché d'un séquestre de vingt-cinq mois dans les maquis, d'avoir voulu protéger ses deux enfants, Sadjid-Jean et Okba-Romuald, nés d'une liaison avec l'ingénieur en télécommunications Hamdane Benahmed.
Cela dit, d'emblée, Suzanne met les points sur les «i» : «Nous sommes tous des otages de quelqu'un, de quelque chose. En ce qui me concerne, moi, Suzanne Planturier, citoyenne canadienne, toute ma vie, j'étais otage : otage de mes sentiments. Otage de ma sensibilité à fleur de peau. Otage de mon amour. Otage de ma bêtise. Otage des hommes que j'ai aimés. Otage de mes grandes déceptions. Otage du mal qu'on m'a fait. Otage des conditions désastreuses d'une vie tumultueuse. Otage des terroristes islamistes et otage de ceux qui étaient eux-mêmes otages de l'islamisme politique. Otage, enfin, de mes deux garçons que l'on a séparés de moi. »

Un roman captivant qui se lit d'un trait

Parsemé d'intrigues, ce tout dernier roman de Salah Chekirou nous replonge dans l'enfer des maquis terroristes de la décennie noire. Des personnages de triste mémoire défilent alors dans les pages de l'ouvrage, comme pour nous rappeler leur «rêve insensé» qui a failli faire sombrer le pays, État et nation, dans les abysses du Moyen Âge. Le roman, auquel ne manque surtout pas la touche de sensibilité qui blesse au c&oeligur les lecteurs les plus blasés, raconte ainsi, sans pleurnicherie ni condescendance, les malheurs existentiels d'une infirmière québécoise qui, pour ne plus tirer le diable par la queue, accepte les souffrances endurées au cours de sa captivité dans les maquis algériens et ce, durant la décennie noire. Écrit dans un style narratif, entrecoupé de dialogues qui donnent une assise à la trame romanesque, L'Otage, qui est récemment sorti aux Editions «Belle Feuille» de Montréal, se lit d'un trait, captivant son lecteur d'entrée de jeu.
Quoi qu'il raconte donc, le talent de Salah Chekirou reste intact. Ce qui serait assurément insupportable, chez d'autres auteurs par exemple, en l'occurrence cette prétendue écriture à la française, devient amusant ici, parce que cette écriture-là, le romancier l'a domestiquée à sa façon. Car ce qu'il raconte dans ce roman, plus sérieux qu'il ne le paraît, c'est un peu lui : accessible à une certaine mélancolie, L'Otage constitue, en effet, une manière d'autoportrait, coulé dans son héroïne, grande infirmière aux semelles de vent et capable de tout, même du meilleur.
En voici quelques lignes : «Dans le refuge, à l'ouest, le chef terroriste, qui retenait Suzanne et Samia en otages dans son harem, entra dans une colère noire. Il envoya son téléphone cellulaire se fracasser contre le tronc d'un pin d'Alep, à la bordure de la petite clairière. Djamel Zitouni, l'autre chef terroriste autoproclamé émir national à qui il avait envoyé deux émissaires depuis trois jours &mdashaux fins&mdash de ne pas toucher aux moines de Tibehirine, venait de l'informer en personne qu'il avait enlevé les sept moines du monastère (&hellip).» Eh oui ! C'était l'époque où les groupes islamistes faisaient parler la poudre et le sabre, de l'Ouarsenis aux confins de Collo, en passant par la Chiffa et les maquis de la Kabylie.
Mais il n'empêche : ce que Salah Chekirou réussit le mieux, ce sont ses commencements. On retiendra ainsi qu'à leur sortie, ses premiers romans ont été fort bien accueillis par la presse et le public d'ici et d'ailleurs. Établi au Québec depuis six ans, l'auteur, qui a plusieurs romans à son actif, notamment Le Grain de Sable, sur l'assassinat du président Mohamed Boudiaf, ou encore Le Tycoon et l'Empire des Sables, inspiré de l'affaire Khalifa, Zone de turbulence et Rendez-vous à El Qods, l'auteur donc explique que son tout dernier roman se veut un hommage aux combats des femmes d'ici et d'ailleurs, comme il est d'ailleurs mentionné en quatrième de couverture. «Ce roman rappelle une époque douloureuse, mais nous renseigne aussi sur des liens déjà étroits entre l'Algérie et le Québec», a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse tenue récemment à Montréal. En définitive, on aura compris que, s'il existe aujourd'hui un bonheur de lecture, astringent comme une huile pure, c'est celui que Salah Chekirou apporte avec cette désinvolture nonchalante qui n'appartient qu'à lui. Autre bon signe, à une exception près, l'éditeur ne met en avant aucun nom d'école. Nous laissera-ton supporter longtemps autant de liberté de lire ?

L'Otage, de Salah Chekirou,
Editions «Belle Feuille»,
Montréal, 466 pages




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