Algérie

«Nos recommandations ne sont pas prises en compte»



«Nos recommandations ne sont pas prises en compte»
Comment s'est déroulée votre dernière intervention à Irara 'Les éléments de la Protection civile ont effectué une longue opération pour repêcher les corps des quatre agents qui accomplissaient une opération d'entretien de la station de pompage d'Irara. L'intervention a nécessité 3 heures, en commençant par l'évacuation des eaux qui remplissaient le bassin avant de retrouver les corps inanimés des victimes de cet accident. Nous avons constaté une profondeur du bassin avoisinant les 5 mètres. Une importante quantité d'eaux usées jaillissait de l'adduction. Le bassin était déjà à moitié plein et, avec les gaz toxiques ? la dose létale est de 300 ppm, surtout le H2S ? c'est la mort directe.- A votre avis quel est le scénario de l'incident ' Etait-il évitable 'Ces travailleurs n'auront de toute façon pas pu échapper à la mort seuls. A cette profondeur, ils n'auraient jamais pu s'en soustraire. Le débit de l'eau était important et la concentration de gaz à forte toxicité a dû les emporter avant même la noyade. A 10 ppm de H2S, on est déjà au stade de l'anesthésie olfactive. L'hydrogène sulfurique ne pardonne pas.Quant au scénario, il est simple à reconstituer : au départ, il y avait deux victimes, les deux autres voulaient les sauver. La troisième est arrivée à la rescousse, puis elle s'est fait piéger par l'eau et les gaz. La quatrième victime est responsable d'hygiène et de la sécurité industrielle de la base, un agent normalement averti et bien formé, mais il n'a pas pu échapper à la mort lui aussi.- Etaient-ils préparés à ce genre d'intervention 'Ils étaient vêtus de tenues de travail mais pas de tenues de sécurité ni d'équipements de protection individuelle, à savoir un casque, des lunettes de protection, des cartouches adaptées aux gaz toxiques, un scaphandre et des bottes pour les rendre hermétiques à l'eau. Nous avons constaté qu'ils n'avaient pas de détecteurs multigaz. Ces derniers doivent être étanches à l'eau, robustes aux chocs, lumineux et avec un système de vibration qui alerte l'agent dès que le seuil de toxicité des gaz dépasse la norme acceptable sur le lieu d'intervention.- En l'absence de cet équipement, c'était donc la mort assurée vu le risque...Malheureusement, dans la plupart des accidents où la Protection civile a eu à intervenir, le constat de l'absence de moyens de protection et de sécurité est établi. Nous avons tiré la sonnette d'alarme pour attirer l'attention sur ces dangers et sensibiliser les instances concernées sur le danger des interventions non protégées dans les fosses septiques, les lieux confinés... Nous avons maintes fois sensibilisé sur la nécessité de se doter de moyens de protection et de sécurité individuels et collectifs. Le balisage du secteur des travaux, des détecteurs multigaz, un trépied à poulie, une ligne de survie, des détecteurs vibreurs-sonneurs, un dispositif d'aération artificielle, rien de tout cela n'existe, aucun respect des normes requises. Pour notre part, nous utilisons un fourgon électro-ventilateur (FEV). Il existe des dispositifs adaptés à chaque type d'activité pour amener de l'air frais qui peut sauver en cas d'inhalations toxiques. Ceci est valable pour les entreprises et les particuliers. En 2009, dans la zone industrielle de Hassi Messaoud, trois membres d'une famille ont péri dans un regard d'égout, à l'extérieur de leur domicile ; le père qui a vu trois fils mourir sous ses yeux a essayé de les sauver et il est lui-même resté dans coma durant 20 jours.- Quelles sont les règles de base à respecter 'Ce sont les mesures de prévention spécifiques à ce type d'activités dangereuses. La conception même des conduites, des stations de pompage ou de refoulement et des fosses doit répondre aux normes de sécurité. Les regards, tampons ou trappes de visite sont des exutoires pour bien aérer ; des cartes des stations et autres installation pour localiser les endroits à risque et aider la Protection civile à intervenir. Malheureusement, ce n'est pas le cas, hormis chez les entreprises pétrolières. Pour les équipes d'intervention, il faut cinq ou six éléments dont un secouriste sauveteur du travail (SST) spécialement formé pour faire les gestes qui sauvent, repêcher et ranimer une victime, effectuer les dégagements d'urgence ; il faut bien sûr qu'il soit doté d'une valise de réanimation pour les éventuels cas de décès, coma, arrêt cardiaque ou arrêt respiratoire. Ce secouriste doit être bien formé et entraîné à intervenir dans toutes les situations. Je précise aussi que des équipements de base sont systématiquement oubliés : le trépied à poulie, le balisage et les lignes de vie (ce sont des cordelettes qui lient les intervenants et permettent au moyen d'un code de savoir que l'agent confiné est en danger), sans oublier les équipements de base comme le casque, les chaussures de sécurité et le détecteur de gaz. Il en existe des spécifiques et des multigaz.- Vos recommandations ne sont pas prises en compte 'Elles sont écoutées dans le vif de l'action, mais il n'y a pas de changement d'attitude. Les statistiques sont stables, constantes ; toujours autant de victimes depuis une décennie, voire plus ces deux dernières années. Les entreprises prennent à la légère le danger, ne quantifient pas le risque lié aux fosses et autres installations. Elles doivent à tout prix inclure ces données dans leurs études et leurs investissements.Il y a donc deux facteurs : la probabilité, c'est-à-dire la fréquence de retour de ces accidents (en dix ans deux décès par an). L'autre facteur est la gravité et, s'agissant de vie humaine, tout incident est grave car il est porteur d'un risque de mort. Deux morts par an c'est deux morts de trop.- Et qu'en est-il des pouvoirs publics 'Depuis dix ans, nous avons entrepris une action de sensibilisation à la fois des citoyens, des entreprises et des autorités pour donner des directives et des instructions concernant l'obligation faite aux entreprises d'avertir à l'avance la Protection civile de l'ouverture d'un chantier de travaux ou d'entretien. Les procédures sont bafouées et même le permis de travail dans ces endroits à risques n'est plus en vigueur. Les entreprises n'ayant pas de moyens humains et matériels ne devront plus être habilitées à effectuer ce type de mission ; lors des soumissions, elles devront être écartées. Les équipements de protection doivent être obligatoires.Je voudrais enfin attirer l'attention sur un autre type de noyade qui cause un décès par an dans la wilaya de Ouargla. Les lacs Temacine, Meggarine et El Hadjira sont normalement interdits à la baignade soit pour absence d'autorité ou de présence de danger. Les profondeurs ne sont pas explorées, elles comportent des débris et les lieux sont sans surveillance. Il faut que les parents en prennent conscience.




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