Avertissement :
aujourd'hui, l'histoire que nous allons vous raconter est vraie. Nous vous
recommandons de la lire attentivement. Prenez votre temps et concentrez-vous
sur chaque mot comme vous savez le faire lorsque vous écoutez quelqu'un vous
rapporter des informations inédites sur le voisin. C'est que l'heure est grave
!
Jamais votre
serviteur n'aurait cru que les députés algériens ne sont pas armés. Il a fallu
qu'un journal aborde le sujet pour lui révéler qu'il n'est qu'un tas de viande
boursouflée d'ignorance, lui qui se vantait d'avoir une tête suffisamment
documentée. L'article de presse salutaire disait en résumé que beaucoup de
députés ont déposé au bureau de l'APN une demande dans laquelle ils expriment
le vu de posséder une arme, et que jusqu'à maintenant aucune suite n'a été
donnée à cette requête. N'écarquillez pas vos yeux sur les mots, vous avez bien
lu ! Nos Représentants du Peuple se promènent dans ce pays sans pistolet ?
Est-ce possible ? Vous conviendrez lecteur qu'il est très difficile d'avaler
une nouvelle aussi rugueuse et aussi amère ! Vous vous poserez certainement la
même question que nous : qu'attends le Pouvoir pour équiper nos députés d'un
pétard ? Est-ce là une décision qui nécessite réflexion et hésitation ? Faut-il
qu'un malheur se produise pour qu'enfin nos Gouvernants se rendent compte de la
gravité de cette négligence ? C'est pourquoi, nous les prions poliment de
s'occuper de ce problème le plutôt possible. Avant que l'irréparable n'arrive,
qu'à Dieu ne plaise !
Pourtant, tout le
monde est au courant de ce qui se passe dans notre pays. Les pages de nos
journaux sont remplies de faits divers qui vous glacent d'horreur. À tel point
que vous avez envie de vous enfermer chez vous à double tour et de n'en plus
sortir. Que dire alors d'un parlementaire qui n'est pas une personne ordinaire
pour être exposé ainsi, les mains nues, aux dangers qui pullulent dans la
patrie ! Disons le courageusement au risque de froisser certains sensiblards :
que nous soyons, nous citoyens lambdas, plongés chaque jour dans un quotidien
aléatoire et périlleux, peut se concevoir. Nous pourrions supporter ces coups
du sort dans le silence. Mais qu'un de nos Porte-parole le soit aussi est
inadmissible. Nous ne l'accepterons pas. Il ne sera pas dit dans les livres
d'histoire que nous sommes un peuple qui n'a pas veillé sur ses Représentants.
Nous ne serons pas la risée des générations futures ! Donnons maintenant un
bref aperçu du banditisme qui sévit chez nous à ceux qui pourraient pinailler
sur la nécessité d'armer les respectables locataires de l'APN.
Pour un oui ou
pour un non, des bagarres éclatent qui transforment nos quartiers en champ de
bataille, jetant sur le sol des cadavres et des dizaines de blessés. Armés de
gourdins, de couteaux, d'épées, de haches, de barres de fer, et parfois de
pistolets, les gens s'entretuent pendant des heures, ou pendant des jours, le
corps chevauché par Satan.
La cause ? Une ridicule partie de cartes ou
de dominos. Une insignifiante parcelle de terre. Une discussion idiote. Une
histoire d'amour. Bref, c'est souvent une broutille qui fait couler le sang de
deux familles, de deux tribus, de deux clans, ou de deux bandes de gamins.
Un simple
embouteillage transforme les automobilistes en bêtes furieuses, klaxonnant sans
répit, hurlant des grossièretés qui dégénèrent bientôt en affrontement
sanglant. Les nerfs à fleur de peau, les chauffeurs descendent de leur voiture
et se jettent les uns sur les autres poussé par le désir de tuer. Des crics,
des clefs à molette, des tournevis, des matraques, des poignards jaillissent
des malles. Il faut percer des ventres, fracasser des têtes, briser des os,
défigurer des visages, couper des veines et des gorges.
Les marchés grouillent de voleurs qui
accomplissent leur sale besogne en plein jour. Avec une audace qui vous
estomaque, souvent une arme blanche à la main, ils s'emparent de la bourse ou
du panier de leur victime et disparaissent dans la foule. Des voyous montent
dans les bus et vident les poches et les porte-monnaie des voyageurs,
accompagnant parfois leur forfait de violences graves. Des kidnappeurs enlèvent
des enfants ou des adultes et demandent des rançons à leur famille, avec une
menace de mort au cas où elle refuserait de s'exécuter. Des ravisseurs
agressent sauvagement des automobilistes et s'emparent du véhicule. Même les
écoles et les universités ne sont pas épargnées. Des élèves et des étudiants
entrent en classe avec un couteau dans la poche ou le cartable.
Des enseignants
sont tabassés ou poignardés. Des malades mentaux aux gestes imprévisibles se
baladent dans les rues. Des ivrognes dégueulant sans trêve le contenu de leur
estomac sur les passants. Des drogués en quête de came, la caboche farcie
d'hallucinations meurtrières. Des mendiants collants qui vous barrent le
chemin. Des odeurs nauséabondes capables de pourrir une poitrine en un clin
d'oeil. Des objets lancés de nulle part qui vous balafre la figure ou vous
brise la nuque. Comme des crachats. Des boites de conserve. Des bouteilles de
bière. Des pierres. Un poste de télévision. Un meuble. Des trous creusés et
abandonnés ainsi. Des millions d'yeux empoisonnés par la convoitise, distillant
le mauvais oeil. Des aigris envieux jetant des sorts destructeurs à
l'aveuglette. Des chiens errants, la langue ruisselante de rage. Des chats
prêts à vous sauter au visage. Des myriades de mouches et de moustiques
vampirisant à qui mieux mieux. Des serpents, des scorpions et des rats.
Des virus. Le
pays est devenu une immense boîte de Pandore. N'importe où, à n'importe quel
moment, vous pouvez être victime d'une agression qui peut vous coûter la vie.
Notre peuple se laisse aller. Il faut sévir. Il a été trop gâté. Il profite de
la gentillesse de nos Chefs. Et qu'on ne vienne pas nous raconter des salades
sur ces actes criminels. Comme le chômage. L'injustice. La corruption. Le népotisme.
Le mensonge et la manipulation. L'absence de l'Etat. Les déperditions
scolaires. L'incompétence. L'autoritarisme... Ce sont là des balivernes
inventées par des journaleux. La vérité est que les Algériens, trop
chouchoutés, veulent devenir riches sans verser la moindre goutte de sueur. À
peine sortis de l'enfance, des morveux incultes rêvent de posséder un joli
magot, une voiture luxueuse, une villa spacieuse, et une mécréante étrangère
qui s'est convertie à l'Islam. En travaillant ? Que nenni ! Ils vous riront au
nez. Des millions d'emplois sont refusés quotidiennement. Le gouvernement
n'arrête pas d'en créer ! Ils préfèrent mendier et voler. Ces paresseux. Ces
parasites.
Mais faut-il répéter ici ce que tout le monde
sait ? Alors ? Dites la vérité : dans un pays pareil, est-il raisonnable qu'un
député ne soit pas en possession d'une arme ? Nous savons que vous ne pouvez
qu'être d'accord avec nous. Il serait irrespectueux de notre part de vous
attribuer un avis contraire au nôtre. Chez nous, un parlementaire doit porter
sur lui une arme à feu. Continuellement.
Mais certaines têtes stupides trouveront que
cette idée est déplacée et dangereuse. Il y a des tordus qui ne font aucune
confiance à nos députés. Beaucoup de gens avec qui nous avons parlé de l'idée
avant de l'exposer ici ont été jusqu'à dire :
- La plupart ne
sont pas assez préparés pour avoir un revolver dans la main. Comme ils adorent
les films westerns, ils se prendraient pour des cow-boys et se mettraient à
tirer sur tout ce qui bouge ! Il y aura du grabuge à l'APN. Au moindre mot, ils
dégaineraient, chacun se prenant pour Clint Eastwood. Ils ne voteraient plus en
levant la main, mais en tirant en l'air, un cigare coincé entre les lèvres.
C'est plus amusant. Ils ne résisteraient pas à la tentation de mettre quelques
pruneaux dans la viande de ceux qui ne pensent pas comme eux. C'est plus facile
et plus efficace qu'un débat. Seuls les membres du gouvernement échapperaient
aux coups de feu. Car on ne tire pas sur ses bienfaiteurs. Mais les pauvres
maires ne seraient pas à l'abri. Les citoyens aussi. Les motards et les agents
de l'ordre public qui insisteraient pour contrôler les papiers de la voiture.
Non, ce n'est pas une bonne idée d'armer ces quidams. Si au moins on était sûr
qu'ils n'utiliseraient leur pistolet que pour épater la famille et les voisins,
comme dans un mariage ou une circoncision, par exemple. Ou mettre de l'ambiance
dans une campagne électorale. Il serait exagéré de leur refuser ces petits
plaisirs innocents. L'odeur de la poudre est bonne pour le moral. Elle aide
aussi à supporter et à compenser certaines anomalies. Il nous faut reconnaître
aussi que du fric sans flingue, ce n'est pas chic. Mais ce n'est pas sûr. Ils
seront certainement tentés de jouer de la gâchette ailleurs. Nous ne parlerons
pas des accidents qui pourraient survenir. Par exemple, des épouses pourraient
être victimes de balles parties bien sûr par mégarde. Certains parmi eux
voudraient imiter le fameux héros espagnol Don quichotte, et iraient parcourir
le pays pour combattre le mal. Ils voudraient chasser. Comme ils n'auraient pas
de gibier à portée du pétard, ils tireraient sur les chiens et les chats
errants. Les pigeons. On découvrira partout des cadavres de vaches et de
moutons.
Ce qui ameuterait
les organisations de défense des animaux. Les médias du monde entier
accourraient. On enverrait des enquêteurs. Le droit d'ingérence serait évoqué.
La nation serait en danger. Vous comprenez ? Vos députés feraient mieux de
s'occuper de leurs électeurs au lieu de rêver à des feux d'artifice !
Du bavardage ! Rien que du bavardage ! Mais,
il aurait été malhonnête de notre part de ne pas donner la parole à nos
contradicteurs. Nous sommes dans une démocratie. Chacun a le droit légitime de
dire ce qu'il pense. Même s'il s'agit de bêtises, il nous faut les écouter
jusqu'au bout. En ce qui concerne nos députés, nous rappelons que ce sont nos
élus ! Nous les avons choisis après mûre réflexion. Sagesse et maîtrise de soi
font partie des innombrables qualités qui les caractérisent. Hommes posés, ils
l'ont montré maintes fois. Qui a entendu dire que l'un d'eux s'est emporté un
jour ? Calmes et paisibles, ils ignorent la colère. Nos mahatmas députés ! La
vérité est qu'ils méritent mieux qu'un pistolet ! Nous avons longuement
réfléchi à la question et voici ce que nous proposons aux Autorités concernées.
Il faut que chacun d'eux soit entouré constamment de plusieurs gardes du corps.
Ils se déplaceront dans des voitures blindées. Étant obligés de temps à autre
de descendre de ces engins, ils porteront dans ce dessein des masques importés
du Japon. Leurs enfants vivront et feront leurs études à l'étranger. Ici, ces
chérubins seront exposés aux dangers énumérés dans les lignes qui précèdent. Il
leur faudra habiter dans une Cité secrète. Jolie et équipée de tout ce dont
peut rêver un Algérien : comme un café, un restaurant, une mosquée, un
supermarché pour hommes et un autre pour femmes, bien achalandés. Chaque villa
sera entourée par un mur haut et épais. Avec une porte d'entrée blindée qui
s'ouvre comme un coffre fort. Il faudra installer des caméras de surveillance
partout.
Il y aura des
barrages fixes à intervalles réguliers sur la route qui mène à la Cité. Voilà
toute l'histoire, lecteurs. Votre serviteur espère vous avoir communiqué ses
inquiétudes. Il vous demande pardon de vous avoir gâché votre journée. Il
essayera dans les jours qui viennent de vous dénicher une histoire d'amour. Par
exemple, une Finlandaise qui tombe follement amoureuse d'un Algérien... Surtout
que notre journal sait choisir les photos qui conviennent... Mais trêve de
rêve. S'il vous plait !
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Posté Le : 24/09/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Boudaoud Mohamed
Source : www.lequotidien-oran.com