Algérie

Nos années rouges



Nos années rouges
L'une des blagues les plus en vogue au lendemain de l'indépendance racontait qu'un envoyé d'Ahmed Ben Bella, venant éclairer la population sur le «socialisme spécifique», expliquait la politique de l'Etat algérien en devenir en ces termes : «Le socialisme, c'est très simple : un bourricot pour toi et une 404 pour moi !» La petite boutade résume parfaitement les illusions engendrées par le socialisme autogestionnaire présenté comme un système noble et égalitariste.Conseillé par des personnages tels que Raptis ou Hervé Bourges, le président algérien, malgré des erreurs manifestes, faisait montre d'un volontarisme sincère. Les élites exilées rentrèrent pour construire leur pays, transformant l'UGEMA en UNEA, qui avec le courant nationaliste progressiste représentaient la gauche du FLN. Parmi elles, souligne Bbadredine El Mili (présidents algériens à l'épreuve du pouvoir), les étudiants venus d'Europe de l'Est font figure d'avant-garde.
Ce fut l'époque des rédacteurs de la Charte d'Alger et des thèses d'avril, celle de Harbi, Zahouane, Ouzegane, Benzine, dirigeant d'Alger Républicain devenu l'organe central du FLN. Raptis, Bourges et les «pieds rouges» officiaient en tant que conseillers à la présidence de la République. L'université, la Cinémathèque, le théâtre étaient animés par Berque, Mandouze, Galissot, Perregua, Rodinson, Arnaud, Langlois, Serge Michel, Boudia, Kateb Yacine, Mostefa Lacheraf, Malek Haddad, Mourad Bourboune, Bachir Hadj Ali, un melting-pot qui avait fait d'Alger et de l'Algérie un carrefour et une adresse révolutionnaire de référence.
«A côté de cette gauche essentiellement francophone, poursuit l'écrivain, les élites arabophones, regroupées autour de l'Institut d'études arabes sont fédérées par l'Humanisme musulman, la revue lancée par EI Hachemi Tidjani et les premiers fondamentalistes algériens. Le Dr Aroua, Malek Benabi, cheikh Sahnoun y écrivent, proposent une autre voie, invoquant l'exemple de Ali Jinah, Iqbal, Bamatte, EI-Mghani, etc. C'est dans ce climat de différends récurrents liés, encore une fois, aux origines sociales, à la langue, aux ancrages idéologiques et aux conditions de ralliement précoce ou tardif des élites à la Révolution qu'intervient le 19 juin qui mit fin à ce qu'il présenta comme une déviation», analyse Badredine El Mili dans son ouvrage Présidents algériens à l'épreuve du pouvoir paru aux éditions Casbah.
Car c'est justement cet élan dit marxiste qui fut invoqué pour justifier le «redressement révolutionnaire» du 19 juin 1965, le déclarant produit idéologique d'importation en inadéquation avec les valeurs fondamentales de la personnalité algérienne. En d'autres termes, le colonel Boumediène y voyait un système «athée». Pour autant, le deuxième président de la République algérienne lance lui aussi un programme de gauche teinté néanmoins d'une idéologie proche du baathisme. Il nationalisme les mines et les hydrocarbures, lance, les «grandes tâches d'édification nationale, à savoir les Révolutions agraire, industrielle et culturelle et entame une politique étrangère basée sur le non-alignement et une certaine proximité avec les pays socialistes.» Il fera fuir les «pieds rouges», réduit à la clandestinité les anciens soutiens de Ben Bella qui se regroupent au sein de l'ORP avant de créer le Parti d'avant-garde socialiste (PAGS).
Les élites de gauche reviennent dans le jeu politique en 1967, à la faveur de la guerre israélo-arabe et du lancement des programmes de «volontariat» dans les grands chantiers. «La suppression du mouvement étudiant au profit d'un mouvement de jeunesse et de volontariat était concomitante avec une orientation plus nettement socialiste et une utilisation de la jeunesse par le président Boumediène et l'aile gauche du FLN pour appuyer les réformes», écrit l'historienne Malika Rahal. Au-delà de la jeunesse, c'est quasiment l'ensemble de la gauche qui est ainsi ralliée au régime dans ce qu'on a nommé parfois le «soutien critique».


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