Algérie


Normal
«Ô temps ! Suspends ton vol.» Nul besoin d'insister auprès de nos concitoyens pour qu'ils fassent leurs ces vers de Lamartine et, ce faisant, suspendre momentanément le cours de leur existence. Il aurait suffi pour cela de voir au troisième jour de l'Aïd leurs mines réjouissantes et réjouies pour saisir la pleine mesure d'un retour à la vie «normale» rarement et aussi ostentatoirement égalé. C'est un miracle que ne réaliserait que la cryogénie s'il arrivait un jour qu'elle soit expérimentée sur l'homme car au début de la journée d'hier ces mêmes concitoyens ne ressemblaient en rien à ceux des trente derniers jours. «Normal», c'était le Ramadhan.«Hé vous, heures propices ! Suspendez votre cours : laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours.» Le mois de carême a, effectivement, donné libre cours à tous les comportements possibles, notamment le farniente ! Dormir beaucoup et travailler peu alors qu'il était «anormalement» attendu du musulman ascétisme et vie de spartiate.Depuis lundi la vie a repris son cours «normal», les étals de fruits et légumes «spontanément» nés se sont dissous dans la nature, les petits vendeurs auxquels suffisaient un tabouret et un cageot vide pour écouler un produit sur lequel, une nuit durant, se sont acharnées bien des mains de femmes de la maison réfléchissent à ce qu'est la prochaine débrouille. Si, gagne-pain oblige, ils n'y sont pas d'ores et déjà. Le pain est de nouveau chez les boulangers même si le plus gros des fournées se retrouvent en deuxième main sur les trottoirs de la ville. «Normal», c'est devenu une règle contre laquelle plus personne ne réagit : consommateur, direction du commerce et l'union corporative ès-qualité.Les artères, places et autres espaces de la taille d'un mouchoir de poche réquisitionnés d'autorité par les commerçants d'un mois ont repris leurs droits, presque trop brutalement aux yeux du citoyen lambda qui ne peut que constater leur «heureuse» mutation sinon le retour à l'ordre «normal» des choses. Les rues et venelles transformées en dépotoirs sont nettement plus propres et pour cause le plan Marshall du nettoyage fait durant deux jours par les services techniques des APC. Et si les statistiques de la délinquance, qu'elle soit grande ou petite, n'ont pas connu des pics importants, il n'en sera pas autant dit des accidents de la circulation, compte tenu de l'hécatombe enregistrée durant les trente derniers jours, même si le fléau en question a très peu de chances de retourner à des proportions «normales».Les fonctionnaires rejoignent de nouveau leurs bureaux et les deux ou trois heures prises au lit sur le compte de l'Etat durant le mois de Ramadhan seront récupérées dans le café du coin, à la limite de la réaction pavlovienne. Les usagers qui se pressent à hauteur des guichets des postes, impôts ou administration communale peuvent toujours attendre. «Normal», on ne change pas des attitudes quasi-naturelles. Dans cet univers surréaliste, les agents de police, qu'ils appartiennent à celle de la circulation, à la préservation de l'ordre public vont également retrouver leur «normale» activité, finie une «paix des braves» qui ne disait pas son nom seulement pour cause de préservation de la stabilité sociale. «Normal», il ne faut pas réveiller un peuple qui même debout parvient à dormir. Le temps suspendra son vol jusqu'au Ramadhan prochain et à son tour celui-ci suspendra le sien jusqu'à la rupture du jeûne. Normal, ainsi va la vie.
A. L.


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